Grâce à Paul Watzlawick, une approche de l’information qu’on ne peut plus ignorer.
Paul Watzlawick vient de mourir le 31 mars dernier à l’âge de 85 ans en Californie, à Palo-Alto. « Faites votre malheur vous même », disait-il dans un de ces livres ! Voilà qu’il y met du sien pour faire celui des autres, et bien au-delà sans doute du cercle des spécialistes qui ont trouvé dans les travaux de l’École dite de Palo-Alto une nouvelle approche de psychothérapie.
Il est étonnant, en effet, que les idées brassées dans ce groupe pluridisciplinaire constitué d’ethnologues - comme G. Bateson à l’origine -, de sociologues, de psychiatres, de psychologues et de linguistes, aient été diffusées depuis trente ans, du moins en France, bien au-delà de leur cadre thérapeutique originel. Et Paul Watzlawick y est pour quelque chose : ses dons de pédagogue savent rendre lumineux au non-spécialiste des concepts inédits ou parfois banals ; ceux-ci en deviennent même familiers grâce à la foule d’exemples auxquels son érudition peut recourir. Attaché à la compréhension d’ « une logique de la communication », - titre d’un ouvrage écrit en collaboration - P. Watzlawick a offert à qui s’intéresse seulement à l’information des outils précieux pour mieux la décrypter, du plus simple - et donc négligé comme tel - au plus complexe.
« La réalité de la réalité »
Il n’a pas cessé, par exemple, de mettre en garde contre « la réalité de la réalité », titre apparemment énigmatique d’un de ses ouvrages qui montre comment on n’accède qu’à une « représentation de la réalité » et jamais à la réalité, du seul fait des médias (les cinq sens, les mots, les images, le cadre de référence de chacun) qui s’interposent par définition entre soi et la réalité. Il ne faut pas, dit-il dans une image parlante, confondre « la carte » d’état-major et « le terrain qu’elle représente ». Or, on n’accède qu’à des cartes de la réalité. Certes, il n’était pas le premier à le dire. Magritte, on l’a rappelé sur AgoraVox, avait dans deux tableaux prévenu que la pipe et la pomme qu’il avait peintes, n’étaient ni une pipe ni une pomme, mais seulement « la représentation de l’une et de l’autre ». Seulement, du principe de « la représentation de la réalité » Watzlawick en a tiré, lui, une représentation générale de la communication.
La non-influence impossible
De même a-t-il combattu une croyance enracinée selon laquelle il serait possible de ne pas influencer autrui, comme si on pouvait adopter un « non-comportement » : car comment nier que tout comportement influence, que l’on agisse, ou s’en abstienne, que l’on parle ou se taise ? Il livre même une expérience personnelle montrant que deux individus peuvent s’influencer sans être en présence l’un de l’autre. Lors d’un colloque, alors qu’il se reposait après le déjeuner dans son bungalow, il avait entendu son voisin entrer dans le sien, puis, soudain, faire des claquettes ; c’était un collègue à l’air austère qui, seul, se dévergondait et ne se livrait à cette danse frivole que parce qu’il ne se savait pas observé. Un bruit venu du bungalow d’à côté, et il aurait cessé l’exercice, peu compatible avec son image compassée. Réciproquement, Watzlawick était influencé par son collègue à son insu, puisqu’en retour, il restait silencieux pour ne pas l’interrompre dans son jeu.
La dangereuse hypothèse autovalidante
La notion d’hypothèse autovalidante, elle-même, apparaît sous sa plume plus simple que ne le fait craindre sa propre appellation. C’est une hypothèse présentée comme démontrée alors qu’elle ne l’est pas. Les familiers de Paul Watzlawick connaissent son histoire de « la poudre à éléphants ». Dans un train entre Lyon et Paris, un vieux monsieur se lève de temps en temps, baisse la vitre et disperse au vent de la vitesse une poudre puisée dans une boîte à pillules. Intriguée, une jeune femme qui l’observe lui demande ce qu’il fait : « C’est de la poudre pour tuer les éléphants », répond-il. La jeune femme sourit : « Mais il n’y a pas d’éléphants entre Lyon et Paris », objecte-t-elle poliment. Et le vieil homme de répliquer avec autorité : « Justement ! C’est que ma poudre est efficace ! ». L’hypothèse autovalidante est en fait la compagne de tous les jours qui ouvre sur la représentation de la réalité la plus délirante : elle caractérise la réserve d’idées reçues dont par paresse on se suffit pour mettre sa vie en pilotage automatique. Combien de personnes s’en tiennent-elles par exemple au proverbe « Il n’y a pas de fumée sans feu. » ? À quoi Paul Watzlawick répond par la formule de Roda-Roda, « Un bon tas de fumier fera l’affaire » ! Il vient de résumer les travaux d’Edgar Morin sur « la rumeur d’Orléans » qui prétendait, en 1969, que des jeunes femmes disparaissaient des boutiques de prêt-à-porter tenues pas des commerçants d’origine juive.
Les paradoxes invisibles et pernicieux
Les paradoxes quant à eux deviennent passionnants à examiner quand c’est Paul Watzlawick qui les démontent. Il est stupéfiant comme on reste insensible à leur utilisation systématique. Ainsi une chaîne de supermarchés croit-elle intelligent d’écrire en gigantesques majuscules à l’entrée de ses magasins « Bienvenue », sans se rendre compte qu’en souhaitant ainsi la bienvenue à tout le monde elle ne la souhaite à personne. On retrouve ce même paradoxe dans l’incessante flagornerie qui irrigue les slogans publicitaires : « Parce que vous le valez bien ! » - « Vous ne savez pas ce que Truchmol peut faire pour vous ! » - « La star, c’est vous ! » etc. Comment de pareilles âneries peuvent-elles être débitées à longueur de pages publicitaires sans qu’on s’aperçoive que faire un compliment à quelqu’un qu’on ne connaît pas est déjà une absurdité, et qu’ensuite le décerner à tout le monde, comme dans le mot « Bienvenue », revient à ne le décerner à personne.
La relation interactive de la communication
Parmi les paradoxes étudiés par P. Watzlawick, il en est un qui est devenu célèbre ; il l’emprunte à G. Bateson : c’est celui de la « double contrainte » (ou « double bind » en anglais). Ses conséquences peuvent être tragiques puisqu’elles peuvent provoquer de graves dysfonctionnements psychologiques que l’École de Palo-Alto a particulièrement observés.
- L’exemple générique le plus simple est contenu dans l’ordre donné suivant : « Sois spontané ! » Pour peu qu’on fasse attention, on constate qu’il est rigoureusement impossible de se soumettre à un tel ordre : soit on refuse d’obtempérer car c’est la seule façon d’être effectivement spontané, et on passe pour désobéissant et donc méchant ; soit on s’y soumet et on cesse évidemment d’être spontané malgré soi.
- Or, combien de relations à fort investissement affectif ne sont-elles pas soumises à cette « double contrainte » qui ne peut qu’engendrer des traumatismes psychologiques et une démarche de guingois ? « Aime-moi ! » « Aimez-vous les uns les autres ! » : est-ce possible ? « Tu ne m’offres jamais de fleurs ! », reproche l’épouse à son mari. Et le jour où il se présente un bouquet à la main, « C’est parce que je t’en avais fait la remarque ? » lui demande-t-elle. Et voilà la relation interactive entre deux êtres à prendre en compte pour tenter de comprendre les troubles de comportement observés. « Je suis hargneuse, s’excuse l’épouse, parce que mon mari est renfermé. » « Mais, réplique le mari, je suis renfermé, parce que ma femme est hargneuse. »
Telles sont, prises au hasard, quelques unes des découvertes ou redécouvertes que l’on doit à Paul Watzlawick et au groupe de Palo-Alto dont il s’est nourri. Elles ont modifié la représentation de la réalité , du moins chez ceux qui ont ouvert ses livres, publiés au Seuil depuis trente ans. Il faut croire que ce délai est encore insuffisant si on en juge par les erreurs obstinément aujourd’hui diffusées par l’Éducation nationale. Après avoir lu Paul Watzlawick, on est peiné, en effet, de voir que l’on enseigne encore aux élèves qu’une information est « un fait », voire « un fait avéré » » et non « la représentation d’un fait », ou encore qu’il existe sans rire « un discours informatif » qui n’influencerait pas le récepteur ! Il semble qu’une génération ne suffise pas pour venir à bout des erreurs qu’un savoir scolastique et son clergé dispensent aux potaches. Paul VILLACH
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