Nouvelles tranches de vie quotidienne dans une région déboussolée et sinistrée par 24 jours de blocage. Il est significatif de noter que les medias parlent de moins en moins de "grève générale" Tout le monde a bien compris qu’il s’agit de tout autre chose
Dimanche 8 février
Temps de merde. Hier après midi, pêche, mais la mer était trop mauvaise. On ne mangera pas de poisson ce week-end… Aujourd’hui, il pleut et il fait gris. On reste à la maison.
A la radio, on ne parle que du départ vers Paris d’Yves Jégo, comme si c’était un scandale… Faut bien qu’il rende compte des centaines de millions d’euros qu’on lui réclame ce brave homme…
Il ya 3 jours à Paris, Canal + a diffusé un reportage brûlant sur les békés de Martinique. Tout d’un coup, entre ça et le départ de Jégo, la presse nationale s’intéresse aux Antilles. Comme je le disais dans mon post de la semaine dernière, il n’est pas sûr que ça soit vraiment une si bonne chose. Ça va décourager les touristes et encourager encore plus le LKP dans ses postures de prestance intransigeantes. « Nou détèminé – nou pa molli – nou ka kontinié » (on est déterminé, on ne faiblit pas, on continue) c’est à peu près le seul discours que Domota est capable d’exprimer.
Lundi 9 février
Journée « île morte »… Comme si le cadavre bougeait encore… Pas de grosses différences avec les jours précédents. De toute façon les stations sont à nouveau fermées. Les lolos et les supérettes restent ouverts. Yves Jégo s’entretient à Paris. Ici les politiques locaux parlent de « changement de statut ». RFO est en grève… mais continue à relayer fidèlement les discours et les actions du LKP. France Antilles rend compte de la manifestation de samedi à Basse-Terre. Ils annoncent 20 000 manifestants !!! J’y étais, j’en ai compté 4000…
La station Texaco de Baillif, une des très rares a être réellemnt occupée par des grévistes.
Lundi après midi : Ça y est, le chinois du 8 à 8 a été rattrapé par les tontons macoutes… Ils sont montés à Saint Claude dans la matinée et l’ont forcé à fermer. Ce soir, gros tas de palettes et de poubelles devant la boutique. J’apprends par le pharmacien qu’il a été prévenu à temps et a pu fermer son rideau avant leur arrivée.
Le 8 à 8 de Saint Claude, fermé par les tontons macoutes. Le chinois a nettoyé les palettes mais pas osé rouvrir...
Mardi 10 février
Bouffée d’Oxygène ce soir en surfant sur Internet. Je connaissais le site d’info
DOM Actu, le seul sur lequel un débat sur les Antilles peut se dérouler en temps réel sans modération préalable. Contrairement aux quelques réactions publiées par
France Antilles ou
RFO, quasiment toujours favorables au Kollektif, les gens qui s’expriment sur
DOM actu sont en très grande majorité opposés au mouvement et en colère contre la manière dont les médias locaux présentent le conflit. J’y apprends ce soir qu’une
pétition a été lancée sur Internet « contre le blocage de la Guadeloupe », près de 2800 signatures ce soir… Ça commence à représenter quelque chose, presqu’autant que de manifestants à Basse Terre Samedi…
Le bruit court que les distributeurs de billets sont vides. Je m’arrête à la Poste de Saint Claude en passant. Il reste quelques billets. La queue n’est pas trop longue.
Mercredi 11 février
Aux infos ce matin : un accord a été trouvé en Martinique concernant la baisse des prix… Après 5 jours de manifestation seulement… Wow… Trop forts les martiniquais… Faudrait envoyer Domota pour qu’il apprenne ce que c’est que la négociation sociale.
Covoiturage avec 2 collègues pour aller travailler à Ste Rose. Il y a pas mal de monde sur les routes. Le Leader Price de Goyave qui résistait encore la semaine dernière a fini par fermer. C’est pas trop grave, on a pu faire des réserves. Ça n’est pas comme les vieux, ou les travailleurs de la banane, payés à la semaine. Eux n’ont pas la trésorerie d’avance pour faire de telles réserves. Une amie infirmière libérale me dit que depuis quelques jours c’est elle qui apporte à manger aux personnes âgées isolées qu’elle soigne. Leurs placards sont vides et leurs familles n’ont plus d’essence pour les ravitailler.
A Ste Rose, une station est réquisitionnée. Queue raisonnable de 300 ou 400 mètres seulement. A 16 h quand on repart la station est fermée, des pneus s’entassent devant et les gendarmes mobiles sont là, mais ils ne rigolent pas. Ils sont en tenue de manifestation. Par contre, personne en face. On ne saura pas ce qui s’est passé exactement.
17 h à la Marina de Basse Terre : 2 cars garés sur le côté, dépassant largement sur la chaussée. Ce sont les tontons macoutes : ils sont sur le bas côté avec leur uniforme : T-shirt bleu marine avec LKP-SECURITE en gros sur la poitrine. Deux d’entre eux se prenant très au sérieux règlent la circulation. Apparemment ils ne sont pas en expédition. Le bâtiment devant lequel ils sont appartient au Comité d’Entreprise des Hôpitaux. Seraient-ils logés par le CGOS ?
Jeudi 12 février
L’Institut Medico-Educatif de Gourbeyre a du fermer après un raid des tontons macoutes qui ont dégradé les bâtiments, inondé le centre d’huile de vidange. Pour la sécurité des enfants, la directrice a dû se résoudre à les renvoyer chez eux. Chez eux ça veut dire dans des familles déjà en grande précarité, qui sont bien incapables de leur assurer en ce moment le minimum. Une maman affolée a appelé ce matin parce que son enfant épileptique n’a plus de traitement.
13 h : le LKP vient de se retirer une fois de plus des négociations, soi-disant parce qu’ils veulent que s’applique le pré-accord discuté la semaine dernière, pré-accord dont tout le monde sait bien que l’Etat ne peut pas le signer car il faudrait l’appliquer à tous les départements, ce qui est totalement inconcevable sur le plan économique. Domota cherche-t-il l’affrontement violent ? Plus le temps passe, plus les signaux dans ce sens paraissent clairs : 24 jours de blocage sans aucun résultat alors que la Martinique a obtenu des avancées en 5 jours, aggravation chaque jour des violences contre les commerçants et les non-grévistes, discours borné sans aucune possibilité de négociation. Le LKP ne négocie pas, il a fixé des revendications inaccessibles dans le seul but semble-t-il d’en arriver au clash. Ça n’est sans doute pas pour rien qu’ils parlent sans arrêt dans leurs discours des événements de 67, et que circule sur Internet le hoax des 4000 gendarmes et des cercueils en plastique…
Après midi tranquille. En passant à Vieux Habitants, longue queue devant la station d’essence ouverte. Pour aujourd’hui on n’a pas besoin se s’y coller, le réservoir est plein. Par contre le 8 à 8 de Marigot est ouvert, lui… Je n’y étais jamais rentré. Et devinez quoi… Ce sont des chinois qui le tiennent… Apparemment ils sont bien organisés : nombreux à l’intérieur, des guetteurs dehors. En attendant on peut refaire le plein de lait et de yaourts, ça commençait à manquer sérieux.
Ce soir, on apprend à la radio que Nouvelles Frontières et un autre grand tour operator ont décidé de détourner tous leurs séjours vers la République Dominicaine. Ce qui est dingue c’est que les journalistes locaux annoncent ça en passant, après avoir passé une demi-heure à critiquer les annonceurs qui annulent leurs contrats publicitaires sur leurs stations… (comme si ça avait un quelconque intérêt d’annoncer des soldes qui de toute façon n’auront pas lieu car les commerces sont fermés de force…)
Bientôt la fin d’une nouvelle semaine de "mobilisasyon" La lassitude commence à se sentir de plus en plus dans les échanges avec les gens. Il vaudrait mieux qu’un accord soit trouvé rapidement avant que le mouvement finisse de pourrir ou se lance dans une fuite en avant violente et raciste comme certains de ses dirigeants l’ont sous-entendu à plusieurs reprises.