Guéant a-t-il franchi le Rubicon ?
Guéant n'en est pas à sa première petite phrase qui trahit ou laisse découvrir petit à petit les facettes des ces conceptions politiques et philosophiques. Pour lui, les immigrés sont ouvertement responsables de l'échec scolaire, de la délinquance urbaine, du chômage et ils constituent une menace pour l'Identité Nationale. Ses prédecesseurs sur la question de l'immigration (Besson, Hortefeux, Sarkozy) se sont eux aussi fait remarquer par des réformes (5 lois depuis 2003) et des déclarations ambigues. Il arrive donc sur un terrain préparé, aplani. Son action vient en confrontation avec une certaine idée de la République et de la France, a-t-il franchi le Rubicon ?
D'abord, il convient de signifier ce que nous entendons par « Rubicon » quand nous proférons des propos si graves. En effet, la rigueur intellectuelle doit être le garant de la force du propos. Il ne s'agit pas de crier au loup quand il n'est pas là, juste pour mobiliser l'attention.
La politique gouvernementale en matière d'immigration a été qualifiée assez tôt par certains organisations de xénophobie d'Etat. Nous (la Cimade) préférions parler de déshumanisation puis d'industrialisation. En effet, ce que nous partageons avec nos partenaires, amis et camarades de combat, c'est l'analyse du glissement de la politique d'immigration vers une sortie des principes et valeurs de la République, ceux-là même que ce même gouvernement demande aux requérants de la nationalité de faire la preuve de leur assimilation. Oui, nous le dénonçons depuis au moins 2003, avec la 1ère loi Sarkozy : le mouvement des gouvernements successifs en matière d'immigration se caractérise par :
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une suspicion généralisée à l'égard des étrangers : fraude à l'asile, mariage de complaisance dit « gris », parentalité intéressée, étudiant déguisé, travailleur profiteur, …
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une crispation identitaire : retour de la notion d'assimilation, subjectivité administrative sur l'appréciation d'une demande de naturalisation, mort du droit du sol,
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une déviance politique : arbitraire des décisions, pourvoir discrétionnaire accru des préfectures, écartement et écartèlement de la société civile et des contre-pouvoirs institutionnels (défenseurs des enfants, ...), déloyauté de l'administration (convocation piège),
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une fragilisation juridique : recours non suspensifs, délais impossibles, inaccessibilité de la défense, difficultés matérielles, inéquité des procédures, limitation du pouvoir du Juge des Libertés, …
Mais il ne faut pas confondre un itinéraire et la localisation du véhicule. Si le gouvernement s'approche dangereusement de la frontière, l'a-t-il pour autant franchie ? C'est cette appréciation qui a pu nous distinguer les années précédentes. Aujourd'hui, depuis la loi Besson et la gouvernance de Guéant, nous pouvons partager l'analyse de nos camarades, nous sommes en face d'un gouvernement qui a franchi le Rubicon en matière d'immigration. L'année dernière, notre texte d'analyse s'intitulait « Où est le Rubicon ? », cette année nous l'avons trouvé...
Qu'est-ce que le Rubicon ? C'est la limite au-delà de laquelle l'Egalité, la Liberté et la Fraternité ne sont plus assez présentes pour présider à la gouvernance de la République. C'est la limite au-delà de laquelle les pouvoirs ne sont plus tout à fait séparés. C'est la frontière entre un état de droit et un monde où les libertés individuelles sont une plaisanterie et où l'individu peut être un jouet dans les mains de l'autorité. Bref, c'est ce qui distingue une République démocratique d'un système autoritaire, un monde civilisé d'une barbarie. Ce n'est pas tant l'allongement de la durée légale de rétention de 32 à 45 jours qui nous a fait basculer, mais c'est plutôt la création de la notion de zone d'attente élastique qui potentiellement transforme le pays en zone de réduction des droits et libertés individuelles. Ou encore, c'est l'absence de statut juridique pour l'individu entre le moment où il sort de la Garde à Vue et le moment où il entre en Centre de Rétention. C'est aussi la généralisation de ce qui fut une exception :
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enfermement d'enfants (356 en 2011)
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morts sur les routes des migrations (+ de 2000 en 2011, 18 000 depuis 1990)
Les interventions policières ou les pratiques administratives ne considèrent plus la particularité de chaque cas mais standardisent les traitements comme de vulgaires articles industriels.
Autre indicateur : les directives européennes, en particulier la directive retour, que nous avons décrié et critiqué, deviennent des remparts, des moyens de régulation de la politique de Guéant.
Oui, entre leurs mains, le statut de l'Homme a changé :
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un enfant n'est plus tout à fait un enfant
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la femme enceinte n'a plus droit à l'égard qui lui est dû
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les conjoints sont désunis
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le demandeur d'asile est un fraudeur
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le travailleur est un voleur
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le jeune est un délinquant
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l'étudiant est une menace
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les membres d'une famille, des parasites
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le malade est un profiteur
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un mort sur les routes migratoires, un candidat en moins
Le Rubicon est franchi par les propos de Guéant sur la fraude sociale, la délinquance, la laïcité transformée en islamophobie, sur l'asile, sur le travail, pratiquant allègrement l'amalgame, la confusion, la stigmatisation.
Ils jouent avec le feu et ils nous brûlent.
Les objectifs d'expulsion grossissent chaque année (*4 depuis 2000). Augmentent le nombre de retenus (expulsions * 2) et le nombre d'arrestation (retenus * 4). Les simples contrôle de routines n'y suffisent plus, il faut boucler les quartiers, provoquer le désordre pour interpeller, cueillir à la sortie des écoles, tricher pour enlever les familles chez elles, …
La violence se banalise, s'accepte, on ne s'émeut plus aux cris d'un expulsé dans un avion... tous les vols en ont !
Le Rubicon est franchi par la méthode de l'injuste punition collective : sous prétexte de lutte contre les abus, plutôt que de contrôler, les droits de tous sont restreints.
Pourquoi les objectifs ne portent-ils pas sur la diminution des condamnations de la France pour atteinte aux Droits de l'Homme ?
Pourquoi les objectifs ne portent-ils pas sur la diminution du nombre de recours (sans toucher à la possibilité d'en formuler) ?
Pourquoi les objectifs ne portent-ils pas sur la qualité de l'accueil ou des processus d'intégration mutuelle ?
Pourquoi investir 550 000 000 € pour expulser des gens ? Combien de cours de français cela fait ? Qu'est-ce que cette somme représente en matière de politique d'intégration ? De formation professionnelle ?
Parce que c'est un choix politique ! Ce gouvernement fait le choix d'une politique qui éloigne les étrangers de la communauté nationale, du séjour régulier, des droits fondamentaux. Une politique qui a peur des étrangers, une politique xénophobe au sens littéral du terme.
Les barbares ne sont pas ceux qui nous envahissent, ce sont ceux qui ne font pas de nous des Hommes.
Hospitalité, Hospitalité, Hospitalité ! Nous avons besoin de prendre soin les uns des autres et non de désigner des boucs émissaires qu'il nous suffira de tuer ou d'exclure pour voir nos maux s'en aller avec eux.
Nous n'avons pas besoin que de la froideur des chiffres et des textes pour nous gouverner mais aussi et surtout de l'esprit et du cœur puisque ce sont eux qui font que nous sommes des humains.
Bons sentiments ? Non, clivage !
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