Guerre en Ukraine : La géopolitique américaine, un jeu de massacre et carton plein pour les marchands d’armes
« Guerre en Ukraine : sur la base américaine de Ramstein en Allemagne, la démonstration de force des Etats-Unis » titre le journal le Monde, alors que se sont réunis autour sinon derrière les Etats-Unis, une quarantaine d’Etats. Après la décision de livrer des armes lourdes à l’Ukraine, alors qu’il y a peu tous s’y refusaient craignant une escalade fatale, voilà que les Etats-Unis appuient à fond dans cette direction, le secrétaire américain à la défense Lloyd Austin déclarant « L’Ukraine pense clairement qu’elle peut gagner. Tous ceux qui sont ici aussi ». On ne peut pas faire plus, avec ce tournant dans la guerre et cette limite franchie, pour barrer l’horizon à toute négociation de paix avec la Russie, en forme de fuite en avant.
Les objectifs de l’Amérique, pas de négociation et guerre totale par pays interposé
Lorsque quarante pays s’accordent pour livrer des armes lourdes à un pays en guerre contre un autre, que fait-on, sinon donner à cette guerre une dimension mondiale par pays interposé ? Au passage, on ne s’interroge nullement sur les conséquences, le ton guerrier se suffit à lui-même, posé sur son socle mettant au pinacle le « courage » de l’armée ukrainienne, sans trop insister sur les quelques 5 millions de déplacés que cela a déjà entrainé, sur les destructions massives de ce pays (mais on promet de mettre les moyens made in USA pour reconstruire) et combien de morts, civils et militaires côté ukrainien, actuels et à venir ? Mais encore plus, on prépare ainsi la plus grave crise humanitaire de l’Europe contemporaine. C’est un jeu de massacre programmé, avec une banalisation qui rappelle ces interventions américaines où on nous vendait une « guerre propre » et « juste », aux frappes chirurgicales, pour légitimer le pire, avec des conséquences que personne n’a encore chiffré. Les cris d’orfraie des médias occidentaux et des politiques concernant les morts de civils, traités ici comme « crime de guerre », font écho à cette thèse à l’illusion entretenue. Comme si la guerre était censée pouvoir être « propre », lorsque l’Occident la mène, laissant à penser qu’ainsi, si des civils sont touchés ici, ce serait une volonté délibérée de l’ennemi. Pour ce qu’il en est à Boutcha, concernant des accusations d’exactions sur des civils que des organisations indépendantes sont en charge d’établir, il faut les laisser travailler, loin de l’illusion d’une guerre transmise « en direct », comme on prétend nous la faire vivre, qui dirait tout à travers ce qui est vu, autre mythe médiatique. La chose est trop grave, et la prudence dans le cadre des conflits armés de rigueur, car la subversion est possible de tous côtés (1). La seule solution pour arrêter cela, c’est une paix négociée, sinon, il y aura d’autres horreurs, qui n’ont pas de camp dans cet « œil pour œil et dent pour dent » de la guerre.
L’UE, qui ne semble capable que de suivisme, piétine ainsi son credo fondateur, selon lequel son existence même était la garantie qu’il n’y aurait plus de guerre en Europe. Quel échec et quel discrédit ! L’ONU ne vaut pas mieux, qui ne fait rien pour la paix en collant à la doxa américaine. On voit combien la politique de sanction est totalement inadaptée à la situation.
Un risque réel de troisième guerre mondiale et voie sans issue
Cette escalade qui fait s’éloigner toute espérance de paix à court ou moyen terme, fait dire à la Russie que cela constitue un risque supplémentaire de Troisième guerre mondiale, mais on renverse la chose pour dire dans nos médias : « la Russie menace le monde d’une troisième guerre mondiale ». Le ministre ukrainien des affaires étrangères, Dmytro Kuleba, vient d’ailleurs de déclarer, en interprétant la déclaration russe sur le risque relatif à l’escalade actuelle : « la Russie perd son dernier espoir de dissuader le monde de soutenir l’Ukraine. Ains parle-t-on d’un danger « réel » de la troisième guerre mondiale. Cela signifie seulement que Moscou sent la défaite venir en Ukraine. Par conséquent, le monde doit redoubler d’efforts pour soutenir l’Ukraine afin que nous l’emportions et que nous préservions la sécurité européenne et mondiale ». Voici maintenant l’Ukraine désignée comme terrain des enjeux généraux de la sécurité du monde, dont le président Zelenski endosse l’uniforme tel le gamer d’un jeu de guerre, car sans un mot ni un geste pour en protéger son peuple qui va en payer le prix fort, seulement des appels vengeurs. Une démesure et un jusqu’au boutisme qui ne peuvent s’expliquer en dehors d’un nationalisme exacerbé doublé d’inconscience.
Il y a un cynisme assez incroyable dans cette escalade où on fait endosser les morts à un pays, un peuple, sous prétexte d’en affaiblir un autre. N’oublions pas ici les bénéfices énormes que prennent au passage les marchands de canons, et l’Amérique comme premier exportateur d’armes. N’oublions pas non plus que ce risque de Troisième guerre mondiale peut déraper en guerre nucléaire, contrairement aux affirmations selon lesquelles ce serait impossible, si on se réfère à l’incertitude de l’aventurisme dans lequel cette escalade nous emmène, dont personne ne peut dire l’issue.
Une volonté américaine qui poursuit ses propres buts, quoi qu’il en coûte
"Nous voulons voir la Russie affaiblie à un degré tel qu'elle ne puisse pas faire le même genre de choses que l'invasion de l'Ukraine", a déclaré lundi le chef du Pentagone Lloyd Austin. On ne peut pas être plus clair. Un changement de niveau d’implication qui viendrait selon d’aucuns ainsi d'une évolution dans l'appréhension des motivations russes. C’est bien ce qu’explique Jean-Sylvestre Mongrenier (Docteur en géopolitique, mais aussi Officier de réserve de la Marine nationale, rattaché au Centre d’Etudes Stratégiques de la Marine (CESM), à l’École Militaire) dans un article du Point (2) : l'Europe "semble avoir compris que l'avenir du continent (...) se jouera dans le bassin du Don" pour contrer le projet géopolitique russe de "négocier un nouveau Yalta" lui restituant "les Etats post-soviétiques". Comme si cela était sérieusement envisageable. On se sert de la fable que la Russie voudrait envahir l’Europe, en faisant régulièrement d’ailleurs un parallèle entre elle et l’Allemagne nazie, pour justifier cette escalade. Les Russes n’auraient pu, même en faisant tomber l’Ukraine en quelques jours, ce que n’a jamais affirmé Moscou comme objectif contrairement aux dires de l’essentiel de nos médias, occuper ce pays. Ce ne sont pas les quelques 100.000 à 150.000 soldats russes engagés dans la guerre qui l’aurait permis. Un pays plus grand que la France, de 40 millions d’habitants, c’est juste impossible, encore moins pour en envahir d’autres et les occuper.
Comment peut-on suivre ainsi une Administration américaine qui n’a rien à voir avec les intérêts des européens et des Ukrainiens, si on se remémore les fiascos de sa politique interventionniste partout, promettant à chaque fois la liberté pour laisser derrière elle le chaos, tout en tirant ses bénéfices du désordre organisé qui caractérise sa politique d’influence agressive, tel l’éléphant dans le magasin de porcelaine ? Les demandes de pays européens d’adhésion à l’Otan se multiplient dans ce contexte, jusqu’à la Finlande pourtant modèle de neutralité, avec un alignement total des pays occidentaux, alors que l’Amérique était en perte de vitesse relativement à son influence. Cette guerre, quel effet d’aubaine ! N’est-ce pas la confirmation que la politique américaine d’annexion militaire des Etats post-soviétiques et au-delà, des pays européens par l’Otan à travers ce tous contre un à présent, était bien une stratégie tournée contre la Russie, pour la provoquer. Même si cela ne saurait justifier dans l’absolu la guerre, on ne saurait être aveugle. Ceci battant en brèche l’affirmation d’experts de circonstance, systématiquement relayés par nos médias à sens unique, prétendant que le projet d’intégration de l’Ukraine à l’Otan ne serait pour rien dans ce conflit et même n’aurait jamais existé. Il suffit encore une fois de regarder la page de l’Otan concernant l’Ukraine, mise récemment à jour (3), qui confirme l’entrée voulue de ce pays dans l’organisation militaire de longue date, pour comprendre qui souffle sur les braises. On se remémorera qu’en 2008 Nicolas Sarkozy, président de la République, et Angela Merkel, chancelière de l’Allemagne, s’étaient opposés à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, craignant les risques de déstabilisation possibles de la région. Mais l’Amérique a passé outre avec sa politique de la « porte-ouverte » de l’Otan à l’Ukraine.
Le JT de France 2 de ce 30 avril ne fait pas dans la dentelle, trouvant comme seul motif à cette guerre un « mystère Poutine », dont on cherche dans la formation de sa personnalité les motifs. L’origine de tout cela réside en réalité dans un « statut quo » que voulait la Russie pour sa sécurité, alors qu’elle reprenait des couleurs par sa politique d’ouverture au marché, et un retour sur la scène internationale comme nouvelle puissance, ce qui n’a jamais été acceptée par les Etats-Unis. Elle impliquait que l’Otan reste à distance des frontières russes. Le basculement de l’Ukraine par un coup d’Etat soutenu par l’Occident en 2014, chassant le président pro-russe élu démocratiquement, était le pas de trop, qui impliquait l’entrée à plus ou moins court terme de ce pays dans l’organisation militaire sous commandement américain, et le risque de troupes et de missiles de celle-ci aux portes de la Russie. Un coup d’Etat armé s’appuyant sur les ultranationalistes néonazis affichant leur haine de la Russie, intégrés à l’organisation de la « nouvelle Ukraine », d’où la sécession de la Crimée et les revendications d’autonomie dans le Donbass russophone, avec les conséquences que l’on sait. Les accords de Minsk (2014-2015) en vue de négocier une certaine autonomie de cette région tampon, tentative ultime en réalité de rétablir les conditions de ce qui apparaissait comme option minimale pour la sécurité de la Russie, n’ont jamais été respectés par les dirigeants ukrainiens. L’Europe n’a rien fait pour le permettre. On soulignera que ces combattants ultranationalistes valorisés régulièrement par les médias, sont mis en cause par l’ONU et des ONG pour des crimes, viols, tortures, qui n’ont jamais été punis par les autorités ukrainiennes (4).
Des milliards de dollars pour les armes et la guerre. Où va le monde ?
Jo Biden vient d’annoncer une demande de rallonge de 33 milliards de dollars au Congrès pour principalement fournir davantage d’équipements militaires à l’Ukraine, tout en prétendant de façon cynique, que « Les Etats-Unis n’attaquent pas la Russie mais aident les Ukrainiens à se défendre… ». Il faut "remonter à la crise des Euromissiles à la fin des années 1970" pour retrouver un tel niveau de tensions dans les déclarations, explique à l'AFP Emilia Robin, une historienne spécialiste de la Guerre froide à l'université Panthéon-Sorbonne de Paris dans le Point (2). Pour Florent Parmentier, enseignant à Sciences-Po Paris « Les Occidentaux ont basculé dans "un second temps de la guerre ». "Il y a une forme de changement, on parle de plus en plus d'encourager l'Ukraine sur le chemin de la victoire" maintenant que ce pays a prouvé sa capacité à résister jusque-là, dit-t-il à l'AFP. Risque de "3e guerre mondiale" pour le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, menace de riposte "rapide et foudroyante" en cas d'ingérence, de la part de Vladimir Poutine ou encore commentaires du Kremlin selon lequel les livraisons d'armes "menacent la sécurité" européenne. La Russie "considère tout simplement qu'à partir du moment où il y a des livraisons d'armes de plus en plus importantes, la différence entre les belligérants et la non-intervention deviendra de plus en plus fine", juge l’enseignant (2). Pour le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, les déclarations russes relèvent de "l'intimidation à laquelle il ne faut pas céder". La France n'est "pas en guerre contre la Russie", répète-t-il, tout en participant de l’escalade ambiante. Ce que vient de dire le Premier ministre Britannique Boris Johnson dans ce contexte vaut son pesant alors qu’il participe de tout faire pour s’opposer à rétablir politiquement V. Poutine comme interlocuteur. Il prétend concernant ce dernier que, « Compte tenu du soutien massif de la Russie à ce qu’il fait, de l’apparente indifférence des médias russes à l’égard de ce qui se passe réellement en Ukraine, le paradoxe est que Poutine dispose de beaucoup d’espace politique pour faire marche arrière et se retirer ». Difficile de faire preuve d’un plus haut niveau d’intoxication informationnelle, et de moquerie irresponsable au regard de la gravité de la situation.
Pour l'ancien diplomate italien Marco Carnelos, du cabinet MCGeopolicy, qui seul semble présenter une certaine lucidité dans cette situation de tous les dangers : "certains dirigeants occidentaux, notamment américains et britanniques, avancent comme des somnambules vers la guerre. Je trouve que nous sommes dans la même situation qu'à l'été 1914, avec une escalade progressive, qui s'est achevée par la Première guerre mondiale. Nous avons les mêmes dynamiques, avec beaucoup de mauvaises interprétations, perceptions erronées de part et d'autre " (2).
Au regard de l’ordre international qu’entendent toujours dominer les Etats-Unis, voilà un élément de réflexion qui peut faire réfléchir, relativement à la débauche de milliards de dollars pour les armes dans ce conflit, qui devraient prendre un tout autre chemin : James Grant, Directeur de l’Unicef en juin 1990 à Barcelone, explique : « hier 7000 enfants sont morts déshydratés par la diarrhée pour laquelle il y a maintenant un remède très simple (…) 7000 autres enfants sont morts hier car ils n’avaient pas un vaccin qui coûte un dollar, chaque jour le nombre d’enfants qu’on pourrait sauver s’élève à 20.000 ou 25.000. (…) Mais malgré nos efforts les médias n’en parlent toujours pas. »… 6,3 millions d’enfants de moins de 15 ans sont morts en 2017, la plupart de causes évitables, selon les nouvelles estimations sur la mortalité juvénile publiées par l’UNICEF (5). A quand un nouvel ordre mondial fondé sur la paix qui donne les moyens d’un autre monde ?5). A quand un nouvel ordre mondial fondé sur la paix qui donne les moyens d’un autre monde ?
1- Il y a de triste mémoire le précédent de Timisoara, où fut mis en scène pendant la révolution roumaine (décembre 1989) un faux charnier plus vrai que nature, diffusé par toutes les télévisions du monde, qui s’avéra être une supercherie, des mois après. On se remémorera les mensonges de la Guerre du Golfe dénoncés par Reporters sans frontières, qui furent "colossaux", selon les mots même de son président d’alors, Jean-Claude Guillebaud (« Guerre du Golfe et télévision : un mariage stratégique », Guylain Chevrier, in Cahiers d’histoire, n°86 – 2002. https://journals.openedition.org/chrhc/1708)
3- https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_37750.htm
4-« Le régiment Azov a été accusé par l'ONU et certaines ONG d'exactions commises lors du conflit pour la Crimée et dans le Donbass, en 2014. Deux ans plus tard, un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a ainsi accusé le bataillon de viols et d'actes de torture. » Entre autres, "Un homme handicapé mental a fait l'objet de traitements cruels, de viols et d'autres formes de violences sexuelles par huit à dix membres des bataillons Azov et Donbass » https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-quatre-questions-sur-le-regiment-azov-ce-bataillon-ukrainien-accuse-de-compter-des-neonazis-dans-ses-rangs_5004578.html. Des ultranationalistes jamais punies par les autorités ukrainiennes alors qu’ils ont continué leurs actions racistes, comme contre les Roms en 2018 avec des assassinats, dénoncés par Human Rights Watch https://www.hrw.org/fr/news/2018/06/26/ukraine-attaque-meurtriere-contre-un-camp-de-roms. Ce qui jette un autre jour sur la prétendue « dé-idéologisation » de ce bataillon depuis 2014, pour justifier de lui livrer des armes, régulièrement mis en avant dans les médias français.
5-https://www.unicef.fr/article/un-enfant-de-moins-de-15-ans-meurt-toutes-les-5-secondes-dans-le-monde
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