GUERRE et EAU, du lieutenant-colonel (R) Franck Galland
Recension du dernier livre du lieutenant-colonel (R) Franck Galland par Henri de Grossouvre
En 2014, en plein pendant l’opération SERVAL au Mali, Cédric Lewandowski, directeur du cabinet civil et militaire du ministre de la défense, confie au lieutenant-colonel de réserve Franck Galland une étude sur la gestion de l’eau en OPEX. Cette étude du futur auteur de « Guerre et eau » fera date et servira intégrer la dimension stratégique de l’approvisionnement en eau dans la manœuvre militaire des armées de terre, de l’air, et de la marine.
Ancien directeur de la sûreté du groupe Suez puis chef d’entreprise ayant créé son cabinet d’ingénierie-conseil spécialisé en résilience urbaine, Franck Galland est devenu un expert incontournable pour les municipalités et les gouvernements, tant en France qu’à l’international, sur les enjeux stratégiques et sécuritaires liés aux ressources en eau. Il est également le fondateur d’Aqua Sureté[1], plateforme permanente de rencontre et d’échanges techniques entre gestionnaires du risque sur les infrastructures hydrauliques, services de l’Etat et fournisseurs de solutions.
La guerre et l’eau sont étroitement liées de deux manières différentes, d’abord par le stress hydrique de certaines zones géographiques suscitant tensions et conflits armés, mais aussi par l’approvisionnement en eau des théâtres d’opération. Un soldat sous climat tempéré a besoin de 10 litres d’eau par jour, et de 30 litres en climat chaud. A cela s’ajoutent les besoins d’eau des hôpitaux militaires en campagne et de l’eau « technique » utilisée pour l’entretien des matériels et véhicules. Les interventions françaises en pays arides pour combattre le terrorisme doivent prendre en compte cette contrainte. « Depuis le 11 septembre 2001, combattre le djihadisme impose en effet d’intervenir en milieu désertique et de revoir les doctrines d’emploi des forces en y incorporant l’accès à l’eau comme sujet primordial » souligne Franck Galland au début de son ouvrage. Il faut en particulier privilégier un accès à l’eau souterraine par des forages réalisés dans les règles de l’art, et réduire l’empreinte logistique de l’eau en bouteille qui comme le soulignait, en octobre 2009, lors du Naval Energy Forum, le commandant de l’US Marine Corps, le général James Jones, « a représenté à elle seul, 51% de la charge logistique du corps des Marines engagé en Afghanistan » !
« Gouverner c’est pleuvoir ! »
Sun Tzu avait déjà recommandé au VIe siècle avant JC de détourner les fleuves dans l’Art de la guerre et « dans la Rome et la Perse antiques, il était également d’une pratique courante de souiller les points d’approvisionnement en eau de l’ennemi ». Mais la Première guerre mondiale, de par l’ampleur inégalée de sa mobilisation, marque une étape stratégique et technologique dans la prise en compte de la dimension hydrique au combat. Durant le premier conflit mondial, rappelle Franck Galland, de nombreux soldats ont été mis hors de combat en raison de maladies hydriques, comme le choléra, la dysenterie bacillaire ou la fièvre typhoïde, en raison d’un manque d’accès à une eau saine. L’approvisionnement et la manœuvre militaire de l’eau n’avaient, en effet, guère été pensés au début de la guerre par les dirigeants politiques et le haut commandement français. Une prise de conscience de leur dimension stratégique fut en revanche mieux intégrée par les Britanniques, puis par les Américains lors de leur entrée en guerre en 1917.
« Fort heureusement avec la montée en puissance du Service des eaux aux armées créé en avril 1915, et grâce à l’action féconde de deux officiers, ingénieurs polytechniciens, Alphonse Colmet-Daâge et Philippe Bunau-Varilla, bien des progrès seront accomplis jusqu’à la signature de l’armistice du 11 novembre 1918. » L’ingénieur Philippe Bunau-Varilla issu de la promotion 1878 de l’Ecole Polytechnique avait été précédemment ingénieur à Panama pour la construction du canal. Il inventa un nouveau procédé de purification de l’eau visant à « réduire le volume de chlore ajouté à un niveau indécelable au goût, tout en garantissant une stérilisation efficace de l’eau consommée ». Cette méthode, dite d’auto-javellisation imperceptible, sera essentielle aux troupes françaises lors de la bataille de Verdun. Restée à la postérité sous le nom de verdunisation, cette innovation sera introduite dans le domaine civil après la guerre, sauvant notamment la ville de Reims d’une épidémie de fièvre typhoïde en 1924.
Au Maroc, l’eau sera également importante dans la conduite de la guerre, mais ici comme vecteur de pacification. La construction de réseaux hydrauliques en zones urbaines comme en zones rurales sera l’une des clés de la politique de développement menée par le maréchal Lyautey lorsqu’il s’agissait pour lui de « gagner les cœurs et les âmes » en rappelant « qu’un chantier vaut un bataillon » !
« Guerre contre l’eau » depuis 1945
- Franck Galland sur un site United Water (Etats-Unis)
En revanche, Franck Galland montre dans la deuxième partie de son livre de manière documentée « que la seconde guerre mondiale contrairement à la première, intègre très tôt l’eau comme facteur clé de succès dans l’art militaire ». Le 2 septembre 1939, « le Grand Quartier général met sur pied les premières Compagnies du Service des eaux, au Centre de mobilisation générale du génie à Angers ». Des géologues civils mobilisés en tant qu’experts seront utilisés durant la drôle de guerre pour favoriser le déplacement des troupes sur des terrains secs, faciliter les manœuvres et l’utilisation de l’artillerie, car les canons lourds demandent une stabilité des sols, mais aussi pour déterminer des points de forage.
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