Guerres et paix
Il y a eu la guerre d’Afghanistan, suivie peu après par la guerre d’Irak. Il y a eu ensuite la guerre de côte d’Ivoire, puis celle de Libye. Aujourd’hui on a la guerre en Syrie et au Mali. Nous n’en sommes qu’au début du siècle, et pourtant, nous avons démoli et massacré autant, sinon plus, que pendant les 50 dernières années du siècle dernier. Et on nous dit que nous vivons dans une période de paix. Nous avons fini par nous persuader que nous sommes en paix depuis bientôt 70 ans. Je n’ose imaginer ce que ce sera le jour où nous ne serons plus en paix.
Pour continuer notre longue période de paix (depuis 1945), nos guerres ne sont plus des guerres. Ce sont des interventions, des opérations de maintien d’ordre. On pourrait voir dans cet arrangement avec les mots une volonté de camouflage, de manipulation ou une non prise de conscience des réalités. Même s’il y a tout ça, il y a en plus quelque chose de beaucoup plus profond.
Par le passé, quand une guerre éclatait entre deux pays, les deux belligérants se reconnaissaient comme nations. Il y avait des règles, plus ou moins respectées, mais elles existaient néanmoins. Il y avait même des codes de début et de fin de guerre. Même quand ils se massacraient, chacun avait conscience de massacrer des humains comme lui, appartenant à une nation, un peuple. Pendant qu’on se faisait la guerre, on ne perdait jamais de vue la paix qui surviendra au bout du conflit. En fait, une fois les hostilités commencées, on ne se battait plus que pour obtenir une paix avantageuse. Mais il y avait aussi des affrontements auxquels on évitait de donner le nom de guerre. On les appelait expéditions, interventions, opérations, etc. ces opérations s’appliquaient aux conquêtes coloniales. Ici, pas de nations, pas de peuples, encore moins de prisonniers de guerre ou de règles. La « paix » ne survenait qu’après l’écrasement de « l’ennemi ». C’était la négation de l’adversaire en tant qu’humain. Le protagoniste d’en face n’est même pas un ennemi, c’est un obstacle qu’il faut éliminer, quelque chose qui ne devrait pas exister sur terre.
Il semble que c’est ce concept de déshumanisation de l’adversaire qui prévaut aujourd’hui, non pas seulement dans un but de manipulation des opinions, mais surtout parce qu’il est encore ancré dans les esprits dès lors que le conflit se trouve en dehors de l’Occident. Une autre réalité transparait dans ce concept. Dans une guerre entre occidentaux, les rapports de force, en terme d’armes et de moyens militaires, sont tels que l’hécatombe est inévitable. Le souvenir des deux guerres mondiales est toujours présent dans les esprits. Une vraie guerre, reconnue comme telle, ne se mesure qu’en fonction des malheurs que l’ennemi peut nous faire subir. S’il est capable de faire des dégâts chez nous, alors c’est un vrai ennemi, à qui on peut faire une guerre gérée par des règles – surtout destinées à prévenir certains excès de sa part. Dans le cas contraire, il n’est même pas digne d’être considéré comme un ennemi. Il ne serait, tout au plus, que quelqu’un à mater. Le respect de ce qu’il est dépend donc entièrement de ses capacités militaires. Une telle vision du monde instaure de fait un rapport entre nations basé sur la loi de la force, force souvent projetée hors des frontières, à des milliers de kilomètres
Une guerre chez soi, avec un pays dévasté et des familles endeuillées, ça calme. On y réfléchit à deux fois avant de remettre le couvert. Ça, c’était avant. Aujourd’hui, la tendance serait plutôt à l’intervention à outrance, ne sachant plus ce que c’est que d’avoir son quartier ou sa maison détruite par des bombes, ou de devoir vivre sans eau ni électricité. Quel que soit le degré d’empathie que l’on pourrait avoir pour les souffrances des victimes d’une guerre, peu de gens savent ce que c’est que de perdre sa famille à la suite d’un raid, ou de vivre dans la peur et les privations. Pour beaucoup, les opérations guerrières ne sont que des chiffres : nombre de morts, de blessés ou de réfugiés, quantité d’hommes engagés de part et d’autre, etc. De l’abstrait. Alors on l’habille de mots, de périphrases, en faisant appel aux grands sentiments. On va même chercher des dictons et des citations du style : Si vis pacem, para bellum, comme si l’ancienneté ou le latin pouvait donner plus de poids aux mots. Il y en a même qui vont jusqu’à théoriser les conflits et d’autres qui tentent de philosopher sur la guerre, ignorant ou faisant semblant d’ignorer que c’est déjà le bagage minimum de tout cadre militaire dans toutes les armées du monde.
Dans notre monde virtuel, les choses sont devenues encore plus ubuesques. Sans nous en rendre compte, nous avons été façonnés par 60 ans de cinéma hollywoodien. Les interventions militaires sont présentées – et nous l’acceptons – comme des opérations de police, avec tous les ingrédients habituels dans ce type de films, allant jusqu’aux têtes mises à prix, les arrestations musclées, la comparution devant un tribunal et l’exécution finale. Tout le monde est content. Les fomenteurs de la guerre ont retiré tous les bénéfices qu’ils pouvaient retirer, et le public a bénéficié d’un super film en live, plus vrai que nature puisqu’il est vrai. Ça ne choque personne que le monde soit réduit à une scène sur laquelle se déroule un script déjà vu cent fois dans la petite lucarne de la télé ou au cinéma. Dans un bureau à Washington, quelques personnes influentes décident de procéder à l’arrestation ou l’élimination, quelque part dans le monde, d’un dangereux malfaiteur ayant enfreint la loi dont ils sont les dépositaires et les défenseurs. Une fois la décision prise, toute personne vivant sur cette terre est sommée de collaborer sous peine d’être reconnue comme faisant obstruction à la justice ou comme complice. La cible elle-même est tenue d’accepter cet état de chose et toute résistance de sa part à son arrestation ou à son élimination sera considérée comme une rébellion flagrante contre l’ordre et aggravera son cas. Si on continuait la comparaison, on s’attendrait presque à entendre la sempiternelle « vous pouvez garder le silence, bla-bla…bla-bla ».
Du cinéma au réel, il y a longtemps que les autorités occidentales ont franchi le pas. Mais le pire, c’est que, dans notre esprit, ce pas a aussi été allègrement franchi par une sorte de raccourci. Il y a eu une sorte de glissement par analogie du cinéma à la réalité, glissement favorisé par un conditionnement masquant toutes les contradictions contenues dans cette analogie. Au cinéma, les sheriffs, attorneys, agents fédéraux ou décideurs de la Maison Blanche sont payés et mandatés par leurs concitoyens pour faire respecter leurs lois, chez eux. Ils sont là pour ça. Par quel mécanisme les a-t-on investis de ce pouvoir sur la terre entière ? Qui les a élus ou mandatés pour qu’ils s’occupent du respect de la loi mondiale ? Quelle constitution mondiale leur a permis d’éliminer Mouammar Kadhafi ? En vertu de quelle loi irakienne ont-ils traqué et fait exécuter Saddam Hussein, pour lequel George Bush aura accumulé tous les clichés, allant même jusqu’à jouer les Ponce Pilate. Il ira même plus loin que Ponce Pilate, car et le jugement et la mise à mort de Saddam Hussein, seront effectués par les irakiens.
Nous nous disons démocrates. Mais nos principes démocratiques s’arrêtent à la première exception qui surgit. Finalement notre démocratie est truffée d’exceptions. Elle est devenue une sorte de concept avec quelques petites règles démocratiques noyées dans un océan d’exceptions toutes acceptées comme normales. Par exemple il est tout à fait légitime de nier ses droits à quiconque nous fait peur, que cette peur soit motivée par un support réel ou non. Même sans faire appel à la peur, il suffit de ne pas aimer quelqu’un pour que l’on accepte toute exaction ou menée antidémocratique à son encontre. On pourrait également citer le cas de tous ceux qui sont diabolisés. Toute personne diabolisée n’a plus droit à bénéficier des principes démocratiques et peut donc être combattue au nom de ces mêmes principes.
Toutes ces contradictions qui sont en nous sont gérables par quiconque dispose de moyens et sait prendre du recul. C’est bien ce qui se passe. Pour ce qui concerne la guerre, il existe pourtant des mots et des règles simples pour ne pas s’emmêler les pinceaux et mieux gérer nos contradictions. Envoyer 10 hommes ou 1000 hommes dans un pays et tuer 1 ou 1000 personnes de ce pays, c’est faire la guerre à ce pays. Faire la guerre par proxy, c’est faire la guerre, le fait d’utiliser des tueurs à gages n’y change rien. A supposer que François Hollande ait de « bonnes raisons » de faire la guerre en Syrie, le peuple français est en droit de connaître ces « bonnes raisons ». Les cacher ou les travestir c’est trahir ce peuple. Il y a, de surcroit, une certaine lâcheté à ne pas assumer la responsabilité de ses décisions, surtout dans un domaine qui engage la vie de plusieurs personnes et dans lequel beaucoup de français voient la grandeur ou le rayonnement de la France. Une grandeur construite sur l’hypocrisie et la bassesse, est-ce vraiment une grandeur ? L’Histoire le dira. Mais on peut deviner qu’elle ne retiendra pas la période Sarkozy-Hollande comme une époque glorieuse.
Avic
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