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Accueil du site > Tribune Libre > Guerres impérialistes : des soldats sans visage

Guerres impérialistes : des soldats sans visage

On sait tout des djihadistes ; leurs chefs, leur modus operendi, leurs origines, les noms des groupes auxquels ils appartiennent, jusqu’aux détails de leurs différences. Rien de ce qui les concerne ne nous est étranger. Leurs états d’âmes nous sont aussi familiers que ceux de nos collègues de travail. Ce qu’on appelait prudemment nébuleuse, n’en est plus une. Ses contours sont désormais bien dessinés. On sait qui est qui et qui fait quoi, au point que toutes leurs actions sont devenues prévisibles.

Il est loin le temps où le « soldat ennemi » n’était qu’une ombre lointaine, cantonnée au front lui-même lointain même quand il se trouvait à nos portes. Seuls nos soldats savaient vraiment ce que représentaient, en termes de menace et de mort, ceux qu’ils avaient en face. Et nos soldats, nous les connaissions bien. Ils étaient des nôtres, ils étaient nous. Chaque soldat avait la tête d’un frère, d’un père, d’un fils ou d’un ami, et parfois même, était le reflet (parfois nostalgique) de ce que l’on fut pendant le service militaire.

Bien sûr, l’Armée reste l’Armée. On peut utiliser et triturer les mots dans tous les sens, il n’en demeure pas moins que les militaires sont formés pour tuer. Tuer le plus efficacement possible avec un minimum de dégâts pour soi. On a bien essayé d’enrober cette dure vérité par des mots plus doux, plus acceptables. On a ainsi vu disparaître le ministère de la guerre, remplacé par le ministère de la défense. C’est moins agressif, et même plus noble. Quoi de plus beau que de défendre sa patrie ? L’armée devenait de fait un instrument de défense nationale. Les discours sonnaient faux, mais restaient acceptables. Il y eut bien quelques interventions extérieures et quelques « évacuations de ressortissants français », mais l’armée restait notre Armée, les soldats restaient nos soldats.

Jacques Chirac vint à passer par là et décida de transformer notre armée en armée de métier, imitant en cela beaucoup de pays. Décision lourde de conséquences, car elle entrainait la redéfinition de la nature même de l’armée telle que nous la connaissions jusqu’ici. Il a fallu tout revoir, y compris ses rapports avec les citoyens. Et, de fait, livre blanc après livre blanc, l’armée a été remaniée, restructurée, avec à chaque fois des réductions d’effectifs et des fermetures de casernes dont la présence était parfois la base de l’économie de certaines villes-garnisons. Ainsi relookée, elle est devenue une armée de spécialistes, super entrainés et hyper efficaces…mais pour des interventions extérieures. L’armée, qui aime bien les sigles et les abréviations, appelle ça Opex : opérations extérieures. Toutes ses capacités et ressources sont mobilisées dans ce sens. La défense nationale ? Oubliée. Seuls les discours y font encore référence. D’ailleurs, comment envisager de défendre le sol d’un pays comme la Frances avec une armée de seulement 120 000 hommes, dont tous les moyens sont orientés vers l’offensive ? Et se défendre contre qui ? Qui, dans le monde, a intérêt ou oserait attaquer la France ou un autre pays européen appartenant à l’OTAN ? Car la défense de la France est désormais assurée par l’OTAN, c’est-à-dire l’étranger. Qui l’eut cru ?

En plus de l’indépendance politique perdue, la France perd ses moyens de défense propres. Son armée agit et fonctionne comme l’OTAN et toujours dans le cadre de l’OTAN pour la moindre de ses Opex, sachant qu’en cas de coup dur ou de difficultés, elle peut faire appel au grand frère américain. Du coup, tous les militaires, qu’ils soient américains, français, anglais ou allemands, appartiennent tous à la même armée. Les armées nationales sont diluées dans une sorte de machin dont le commandement échappe aux pays membres et qui protège des intérêts venant d’ailleurs. Comme pour aggraver le flou, ces militaires combattent aux côtés de compagnies de sécurité privées accompagnées de leurs cohortes de brigands fanatisés, le tout formant pour le coup, une vraie nébuleuse élargie et inextricable.

Comment, alors reconnaître les siens ? Comment justifier leurs actions, connaissant le pédigrée de leurs associés ? Dans aucune culture, aucune société on ne dénigre son armée. Ni en France ni ailleurs. Les commémorations, les défilés, les prises d’armes dans tous les pays permettent de maintenir cette règle. Alors on ne dénigre pas, on ne condamne pas. Mais on fait pire : on ignore. On préfèrera dire l’Armée française que « notre » armée, soldats français que « nos soldats ». La grande solidarité nationale qui existait en profondeur avec la grande muette a disparu. Il n’y a plus que des supporters, au même titre que ceux d’une équipe de football lors d’un grand match, avec la connaissance des joueurs en moins. On applaudit et vibre avec eux quand ils gagnent, on est triste quand ils perdent, mais ça ne va pas plus loin. On n’est pas vraiment concerné.

Ces soldats inconnus, qui se battent pour la France, se battent-ils pour les français ? Personne ne peut le croire, pas même eux. D’ailleurs, ils ne se posent pas la question. Ils font leur job. Car ce n’est qu’un job, comme n’importe quel autre job. Ils font le boulot auquel ils ont été formés et pour lequel ils sont payés. Ils sont en opération parce que c’est leur métier et que leur patron le leur a commandé. Et aussi parce que c’est un bon moyen de gagner du galon et d’accumuler des points pour la retraite, ou d’arrondir les fins de mois pour continuer à payer les traites de la maison ou les études du petit dernier. Dans un contexte économique aussi incertain que celui que nous vivons, l’armée apparaît comme une sorte de nid sécurisé permettant de subvenir aux besoins de sa famille, même si, pour beaucoup, il ne s’agit que d’un CDD. On rentre dans l’armée comme on irait se faire embaucher dans n’importe quel emploi civil. Aux yeux du public, il n’y a aucune différence. Au point que l’on ne tolère plus un seul mort dans les combats, tout comme on le refuserait dans un lieu de travail ordinaire. On est même plus prêt à accepter un accident de travail mortel dans une usine que la mort d’un combattant, évènement qui, même s’il est indésirable, ne peut pourtant pas être considéré comme un accident de travail.

Mais ces morts ont au moins un mérite. Celui de nous rappeler, de temps à autre, que les militaires ont un visage. Un visage d’hommes que l’on envoie tuer et se faire tuer. En mettant une vie derrière chaque visage, on peut prendre la mesure des missions qu’on leur confie en notre nom, et peut-être se poser des questions que les militaires, de par leur statut, ne peuvent pas se poser. Par exemple, pourquoi le gouvernement français les implique dans toutes les guerres étasuniennes. Ou encore, pourquoi sont-ils devenus les premiers supplétifs des américains dans leur impérialisme, détrônant la Grande Bretagne comme en avait rêvé Sarkozy. On le voit bien au Mali, où les Etats-Unis reprennent progressivement les rênes, reléguant la France au rôle de lieutenant dans une coalition afro-française, pour laquelle elle a déjà dépensé des dizaines de millions de dollars – 96 millions de dollars pour la seule MISMA.

Il serait intéressant de pouvoir répondre à ces questions. Mais l’idéal serait que les militaires se donnent eux-mêmes un visage en prenant conscience qu’ils sont des soldats de la nation et non de l’état, l’état n’étant qu’une structure que se donne une nation pour pouvoir vivre sa vie. Il faudra qu’un jour des constitutionnalistes, des juristes, des sociologues ou n’importe quelle autre personne autorisée arrive à nous ancrer cette idée dans la tête.

Avic

Réseau International


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11 réactions à cet article    


  • leypanou 1er mars 2013 10:10

    Quelques mauvaises formulations à mon avis. Par exemple, quand vous dites : « On est même plus prêt à accepter un accident de travail mortel dans une usine que la mort d’un combattant » ; ça, c’est votre opinion.

    Je ne pense pas que le français lambda voit les choses de la même manière. Quand on s’engage comme soldat, c’est qu’on est prêt à mourir car la mort fait partie des risques du métier. Et ce n’est pas comme dans un travail quelconque où ce serait un accident.

    A un moment, vous dites : « Les armées nationales sont diluées dans une sorte de machin dont le commandement échappe aux pays membres », il faut préciser en dehors des Etats-Unis CAR le commandement est assuré par les Etats-Unis, un général etats-unien n’acceptera pas d’être aux ordres d’un autre général, de quelque pays qu’il soit (pour cela, lisez par exemple l’article de R Debray dans le Monde Diplomatique de Mars 2013).

    Et quand on voit des personnes politiques qui osent se dire « gaullistes » et qui n’ont trouvé rien à dire sur la réintégration de l’OTAN, on ne peut que sourire. Il est certain que ce ne sont pas les nouveaux chiens de garde qui vont oser relever l’incohérence manifeste.


    • Traroth Traroth 1er mars 2013 11:41

      « quand vous dites : « On est même plus prêt à accepter un accident de travail mortel dans une usine que la mort d’un combattant » ; ça, c’est votre opinion »


      Quand vous verrez un accident du travail faire la Une des journaux, vous me préviendrez...

      « il faut préciser en dehors des Etats-Unis » : J’ai l’impression que l’auteur le dit très clairement en fait.

    • observateur observateur 1er mars 2013 12:12

      l’islam a été désigné comme ennemi total il y a bien longtemps, voici une archive du monde diplomatique datant de 1994 : islam ennemi total


    • Christian Labrune Christian Labrune 1er mars 2013 10:21

      « Ces soldats inconnus, qui se battent pour la France, se battent-ils pour les français ? Personne ne peut le croire, pas même eux. D’ailleurs, ils ne se posent pas la question. Ils font leur job. Car ce n’est qu’un job, comme n’importe quel autre job. Ils font le boulot auquel ils ont été formés et pour lequel ils sont payés. »

      ----------------------------------

      Et le soldat inconnu Avic, qui vient ici régulièrement, depuis quelques jours, nous expliquer qu’au fond la civilisation occidentale et le djihadisme, c’est kif-kif, pour qui se bat-il ? A-t-il été formé ? Par qui ? Par les Frères musulmans ? Par les salafistes ? Par le Qatar ? C’est quoi, son job, exactement ?

      Se trouvera-t-il encore, comme les fois précédentes, un certain nombre de crétins victimes du syndrome de Stockholm pour venir lui lécher les babouches et lui dire que sa soupe est bonne ?


      • Traroth Traroth 1er mars 2013 11:39

        Et si au lieu de critiquer les personnes, de déformer leurs idées, vous cherchiez à répondre honnêtement à leurs idées ?


      • ALEA JACTA EST ALEA JACTA EST 1er mars 2013 21:29

        @labrune
        Tout à fait d’ accord avec vous.Une fois de plus l’ auteur de cet aricle attaque une institution en se faisant passer pour quelqu’ un qui veut la défendre.La ficelle est un peu grosse mais certains internautes atteints d’ angélisme semblent mordre à l’ hameçon...


      • Robert GIL ROBERT GIL 1er mars 2013 10:52

        Boris Vian disait « on ne fait pas la guerre pour la patrie, on la fait pour les banquiers et les industriels »...ça n’a pas changé !

        voir : LE PS ET LA POLITIQUE EXTERIEURE DE LA FRANCE


        • Stof Stof 1er mars 2013 12:01

          Le Costa Rica n’a plus d’armée depuis des décennies. Et il s’en porte très bien. Sans doute parcequ’il ne fabrique pas d’armes.


          • cedricx cedricx 1er mars 2013 20:07

            tiens, et bien ce n’est absolument pas ce que j’ai vu et entendu sur la question ! (reportage ARTE je crois)


          • Stof Stof 2 mars 2013 12:05

            Je ne connais pas ce reportage, mais je connais le Costa Rica (j’y ai passé un mois dans une ferme). C’est le pays le plus riche de la région, sans coup d’état depuis au moins 60 ans.

            Après, comme n’importe quel autre pays riche, ils ont aussi des problèmes de redistribution des richesses, de délinquence, de corruption etc.
            On ne parle pas de pays parfait, mais de pays modèle. Au même titre que la Suède dans un certain nombre de domaine. Bref.

          • ALEA JACTA EST ALEA JACTA EST 1er mars 2013 20:32

            Encore un article captieux,qui cache son objectif,qui veut porter préjudice, qui mélange tout, qui fait l’ amalgame et qui est plein d’ affirmations gratuites quand ce ne sont pas de simples contrevérités .Vous affirmez que les français sont les supplétifs des américains:c’ est avoir la mémoire bien courte... pour ne pas dire aucune mémoire du tout !!! Encore une fois j’ ai l’ impression de lire un communiqué rédigé par un sympathisant de forces dj....istes( je vous laisse compléter).Si vous avez de la sympathie pour eux, il faut le dire clairement car ça ira plus vite et ça nous évitera de nous perdre en circonvolutions inutiles.
            la plus belle « perle » de ce papier est sans doute celle-ci : « la France perd ses propres moyens de défense !! »
            La France a malheureusement perdu énormément de choses ces derniers temps, mais s’ il y a bien un domaine que personne ne songe à lui contester, c’ est bien celui d’ assurer sa propre défense et de faire profiter à ses alliés de son parapluie nucléaire( entre autres...).
            La France a developpé ses propres armes qui sont très CRÉDIBLES et personne ne peut mettre en doute l’ indépendance de sa sécurité...

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