Guilad Shalit : le sens de sa libération et la grandeur du judaïsme
Il m’est souvent arrivé ces derniers temps de critiquer, non pas certes Israël en tant que tel, pays pour lequel l’intellectuel juif que je suis nourrit la plus grande estime, mais certains de ses responsables politiques, pour la plupart dits de « droite », au regard de l’injuste traitement qu’ils réservent trop souvent aux Palestiniens.
Ainsi, il y a quelques jours à peine, me suis-je insurgé publiquement, par exemple, aussi bien contre le Président américain, Barack Obama, que contre le Premier Ministre israélien, Benyamin Netanyahou, à cause de leur refus de reconnaître, devant les Nations-Unies, la Palestine en tant qu’Etat souverain et indépendant. J’allais même jusqu’à dire, en un article publié dans la presse européenne francophone, qu’Obama, en plus d’avoir raté là un important rendez-vous avec l’Histoire, s’était montré indigne, en la circonstance, de son prix Nobel de la paix.
Je ne renie bien évidemment en rien cette prise de position, même si elle m’a parfois valu, de la part de mes amis israéliens, quand ce ne furent pas mes propres pairs juifs, les pires insultes : j’étais là, à leurs yeux, comme un traître, et le plus infâme qui soit, à ma propre cause. Passons : je sais que la solitude intellectuelle peut être aussi, quelquefois, le cruel et inéquitable lot d’une certaine forme d’idéalisme philosophique plus encore que de la simple incompréhension ou d’un grossier malentendu !
Car ce sur quoi je souhaiterais m’exprimer, pour l’heure, c’est sur ce magnifique sens de la grandeur humaine dont a fait preuve, je le reconnais ici bien volontiers, Benyamin Netanyahou en permettant la libération, advenue le 18 octobre dernier, de Guilad Shalit, ce jeune caporal de Tsahal (l’armée israélienne) que le Hamas détenait dans ses geôles depuis le 25 juin 2006, contre mille Palestiniens retenus prisonniers en terre d’Israël.
Oui : ce fut véritablement là, de la part du gouvernement israélien, un geste admirable. Mieux : un acte, en ce jour déjà historique, d’une portée véritablement biblique, dont certains, par ailleurs, n’ont pas saisi l’exacte et profonde teneur théologique, sinon métaphysique.
La signification ultime, « extraordinaire » au sens littéral du terme, de cette libération d’un seul homme (le caporal juif) en échange de mille autres (les militants palestiniens), prix pour le moins exorbitant, c’est l’actuel Président d’Israël, Shimon Peres, qui la révéla, en un discours dont la noblesse d’âme n’avait d’égale que la justesse des mots, au monde entier : « sauver la vie d’un Juif équivaut à sauver la vie de tous les Juifs », y a-t-il en effet rappelé très opportunément, non sans se référer implicitement là à l’une des plus belles et hautes pensées du Talmud.
Oui, c’est cela, très exactement, la grandeur du judaïsme : la vie d’un Juif n’a pas de prix, à l’exception, certes, du respect dû à l’Autre ! C’est même cela, encore mieux, qui définit, de manière très paradigmatique, ce que Israël nomme, suprême distinction accordée par ses instances étatiques les plus officielles, les « Justes parmi les Nations », avec, pour chacun d’entre eux, un arbre planté, symboliquement, dans les allées du mémorial de Yad Vashem, destiné à entretenir, notamment, le souvenir de la Shoah.
En ce sens, Guilad Shalit, à lui tout seul, incarne-t-il très emblématiquement, superbe leçon d’humanité, la conscience tout entière d’Israël, nation protectrice, comme nulle autre, de ses ressortissants.
Un bémol, toutefois, à ces paroles, aussi sublimes soient-elles, de Shimon Peres. Car, encore trop pris qu’il est dans la loi mosaïque (la loi du talion : œil pour œil, dent pour dent), le Président n’aurait pas dû aussitôt ajouter, fût-ce pour calmer la colère des plus orthodoxes de ses concitoyens, que jamais Israël « n’oubliera, ni ne pardonnera » les crimes perpétrés, à l’encontre des Juifs, par les terroristes du Hamas.
Car la vraie et définitive grandeur de son judaïsme eût été de dire, surtout pour le prix Nobel de la paix qu’il est également, qu’Israël sait au contraire pardonner, aussi difficile cela peut-il être parfois, sans toutefois, effectivement, oublier : ce qui n’est du reste jamais là, ce sacro-saint devoir de mémoire, qu’une des données les plus fondamentalement intrinsèques, justement, à l’essence du judaïsme.
Ainsi est-ce peut-être là, très précisément, que le judaïsme, sans certes vouloir rien enlever aux autres religions ni confessions, a quelque chose à apprendre, en toute humilité, du christianisme, de son authentique charité comme de son infinie compassion : le pardon, à l’instar du message christique, à ses ennemis.
Il est vrai que c’est un agnostique, résolument attaché à la laïcité, qui écrit en cette tribune aux accents peut-être trop œcuméniques, paradoxalement, que pour se voir acceptée par tous…
Difficile concorde, pour paraphraser l’immense Emmanuel Levinas, qui parlait là, quant à lui, de liberté !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas - Métaphysique, esthétique, éthique » (Presses Universitaires de France), signataire du JCall (European Jewish Call For Reason - Appel des Juifs Européens à la Raison), mouvement de juifs progressistes préconisant la coexistence, pour une paix juste et durable, des Etats d’Israël et de Palestine.
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