Guillaume Depardieu : cible émouvante
Guillaume Depardieu est mort le jour où les marchés remontaient. Jamais motivé par la réussite, à la recherche d’une intégrité impossible, il avançait avec une jambe en moins pour capter l’humain, partout, toujours. Un apprenti pas si méchant que ça, même si du côté de Trouville il lui arrivait de tirer au pistolet après quelque algarade un peu trop arrosée. Alors quoi ? Retiendra-t-on la doublure d’abîmes gangrenée par les virus du fils au nom porté comme une grenade à retardement ou bien son parcours cinématographique ? Quel intérêt de le découvrir ex-prostitué, drogué et régulièrement mis en examen hormis pour la presse poubelle dont se délectent les masses qui ne vivent plus depuis longtemps. Il fuyait ça. La zombification de son existence. Il fuyait le lâche qui fossilise tout cheminement authentique. Il pouvait pleurer en s’imaginant avoir raté un plan.
Ne pas répondre aux questions d’une improbable journaliste en plein journal de 20 heures saborder toute forme de promotion. Dépourvu du moindre sens marketing, de la moindre velléité de fausse convivialité.

Je l’avais croisé dans un bar de seconde zone, loin des quartiers bobos branchouilles. Il était sensible, discutait avec l’autre, simplement, chargé d’une timidité exaltée. La souffrance de l’amputation avait avivé sa capacité d’empathie. C’était un poète plus qu’un comédien. Je retiendrai un film de la quarantaine qu’il avait su traverser en comète irréversible : Pola X du trop méprisé Leos Carax.
Le personnage qu’il campe est travaillé par l’obscurité d’un passé familial enterré illégalement par une famille entrée en déréliction. Pierre est un écrivain sur le point de se marier et vit une relation fusionnelle avec sa mère dans une demeure bourgeoise. Tout est blanc et emphatique, il prépare un roman intitulé
Isabelle qu’il découvre au cœur d’une forêt nocturne s’avère être sa sœur cachée, sorte de sauvageonne apeurée. Solitaire tourmentée comme lui. Les rétines emplies de cauchemars opaques.
Il ne sait pas d’où elle vient ni ce qu’elle vit, mais il l’aime et lui dit : "Toute ma vie, j’ai attendu quelque chose... qui me pousserait au-delà".
Guillaume Depardieu mute au cours du film, ses expressions varient comme une feuille sous la pluie, à l’abri de roches incongrues. Une impression d’inceste infiltre le récit. Ils se pénètrent visiblement lui et sa sœur impossible dans une scène qualifiée alors de pornographique alors qu’elle est puissamment lyrique. C’est son mauvais sang qui tient le film.
Son errance de déraciné vacillant. Sa lassitude mélancolique. Son âme refusant d’être engluée dans la boue des conventions. Et ce refus manquera au cinéma des vrais artificiers.
Herman Melville :
"L’idéal suprême de la perfection morale, chez l’homme, est bien loin du but. Les demi-dieux foulent des déchets, et vice et vertu ne sont que des déchets !"
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