Guitares du Sud
L'Amérique du Sud connaît une pléïade de guitaristes compositeurs qui ont marqué le siècle dernier. Le plus célèbre est peut-être Heitor Villa-Lobos qui a introduit le chôro (musique populaire) dans la guitare classique. Un autre brésilien, Baden Powell de Aquino, a beaucoup collaboré avec Claude Nougaro pour des tubes connus en France et l'une de ses chansons a été traduite pour le film "Un homme et une femme" de Claude Lelouch.
Le paragayen Agustin Barrios Mangoré fut le premier guitariste classique à enregistrer un disque. C'était pour le phonographe. Il a été redécouvert dans les années 1970. Son oeuvre "La Catedral" lui a valu les éloges mérités de ses pairs. J'ajouterai à cette liste le cubain Leo Brouwer (cubain) et Manuel Maria Ponce (mexicain).
HEITOR VILLA-LOBOS (1887 - 1959, Brésil)
Enfant, Villa-Lobos joue dans les Choros, groupes de musique populaire. Il commence la musique avec son père, écrivain et violoncelliste amateur. À la mort de son père lorsqu'il a 12 ans, il trouve accueil auprès de son grand-père mélomane qui lui apprend à jouer de divers instruments mais Heitor aura une prédilection pour la guitare. Le jeune musicien, plutôt autodidacte, découvre sa passion auprès des musiciens de rue.
À l'âge de 16 ans, en 1903, il décide de s'enfuir de chez lui et va parcourir le Brésil, plus particulièrement les régions du Nordeste, recueillant au cours de son errance d'authentiques chants traditionnels. Il fait à l'occasion des relevés de chansons. En 1906, il visite le Sud. Il est déçu par les musiques qu'il y entend car elles sont trop influencées par les immigrants européens.
Les études académiques lui déplaisent. Il quitte l'Institut et voyage dans différents états du Brésil. Il parcourt de nouveau les états du Nord. Il va de village en village et gagne sa vie en donnant des concerts. Il récolte de nombreuses musiques populaires.
Après 1915, sa musique commence tout de même à franchir les frontières et attire les visiteurs étrangers, comme Darius Milhaud alors secrétaire de Paul Claudel ou Arthur Rubinstein. Il arrive à Paris en 1923. Il y est bien accueilli par des amis dont Rubinstein, et il se rapproche de l'avant-garde.
Il fait des tournées en Europe et il est nommé directeur du Conservatoire international de Paris. En 1930, à la demande du gouverneur, il s'installe à São Paulo pour organise l'étude de la musique dans les écoles.
Son style est unique et combine des influences européennes, notamment celle de J.-S. Bach, compositeur favori de Villa-Lobos, avec des sources de musique traditionnelle brésilienne. Nous ne parlerons dans cet article que de son œuvre pour les guitares, bien qu'il ait composé pour d'autres instruments. A son actif 5 préludes, 12 études et 1 chôro. Le prélude n°1 et son chôro sont les plus populaires.
La musique la plus importante est contenue dans les Choros, les Bachianas brasileiras et la série de quatuors à cordes.
- Les études
Elles avaient été commandées par son ami et maître de la guitare classique à l'époque : Andrés Segovia. L'étude n ° 9 est une étude des arpèges et des notes brouillées, développant des idées musicales de Carcassi et Carulli. L'accent est mis sur les tiers, comme dans la cinquième étude. Ecouter : Etude n°1, par Andres Segovia.
- Les préludes : Ecouter : Prélude n°1 par Andrés Segovia. Prélude n°2.
- Le chôro
Ce genre s’est développé grâce à l’appropriation des danses européennes (et de la musique qui les accompagnait) par les communautés présentes à l’époque sur le sol brésilien. Il s’agissait majoritairement des peuples africains et, dans une moindre mesure, indiens. Chôro (tiré du verbe « chorar » en portugais) signifie « pleur » ou « plainte ». Un peu comme Saudade, le mot recouvre plus ou moins l’idée de nostalgie. Dès les années 1820, la guitare est populaire au Brésil et trouvera naturellement sa place dans le chôro.
Ecouter : Choro n°1 par Julian Bream. Scottish-Choro, par Gaëlle Soral.
BADEN POWEL DE AQUINO (1937 – 2000, Brésil)
Son père, Lilo, violoniste reconnu, l'initie à la musique. À sept ans il commence la guitare classique. Saudade et amours perdues sont des thèmes récurrents. Baden-Powell devient professionnel en 1952, à quinze an. Son talent pour la composition est reconnu à seize ans. A 18 ans, il compose ses premiers morceaux :
- « Encontro com a saudade »
- « Samba triste ».
Enfant des quartiers nord de Rio, au pied des favelas, à l’inverse des autres musiciens de Bossa venus du sud de la ville. Il apporte au style naissant les rythmes d’origine africaine qui restent présents dans la musique des rues.
Collaboration avec Vinícius de Moraes et Paulo César Pinheiro
Il rencontre les poètes Vinícius de Moraes (poète et diplomate qui l’introduira dans le mouvement Bossa Nova naissant à Rio) et Paulo César Pinheiro qui inspirent ses compositions, devenues des standards. Le terme d'afro-samba est né avec le travail réalisé par Baden Powell et Vinícius de Moraes.
Paulo César Pinheiro commence à travailler avec Baden vers la fin des années 60. À cette époque, Baden est déjà très connu. Paulo, qui a environ 15 ans, porte en lui toute la magie des sambas de Mangueira (quartier du centre de Rio), à l'ancienne.
Baden-Powell et Claude Nougaro
Baden Powell va travailler avec Claude Nougaro, qui écrivit « Bidonville » (1966) sur l’afro-samba saccadée de « Berimbau » composée en 1943 par Baden-Powell et Vinicius de Moraes.
Dans l’album de reprises de Nougaro qui sort en 1974 : « Récréation », le toulousain en donne une version très brésilienne, sur une battue de guitare à la Baden Powell.
1975, c’est l’année brésilienne de l’œuvre de Nougaro qui remporte de gros succès avec : « Brésilien » (Jose Capinan - Gilberto Gil) et « Tu verras », une adaptation française de « O que será » de Chico Buarque de Holanda). Baden Powell joue de la guitare sur le titre « Brésilien ». Le fils de Claude Nougaro, Pablo Toledo Nougaro, est né en 1976 de sa troisième union avec Marcia, Brésilienne divorcée du guitariste Baden Powell, rencontrée en 1975.
Ecouter : « Samba da bênçao » (chanson) deviendra « Samba saravah » en 1966 dans le film « Un homme et une femme » de Claude Lelouch.
Brésilien mon frère d'armes
Sur le parcours du cœur battant
Toi qui ris avec tes larmes
Ô toi qui pleures avec tes dents
Viens visiter l'occident
Ici les chanteurs de charme
Sont morts depuis bien longtemps
Brésilien mon frère d'armes
Sur le parcours du cœur battant
Toi qui ris avec tes larmes
Emperlant de dents tes cils
Débarque avec ton Brésil (…)
(« Brésilien », de Nougaro, accompagné à la guitare par Baden Powell) Texte intégral.
Tube du film « Un homme et une femme »
En 1966, son album « Tristeza » on Guitar rencontre un succès international. Pierre Barouh, amoureux du Brésil, fondateur du label Saravah, l’entremet en France en 1962. Il lui obtient la première partie de Jacques Brel à l’Olympia et lui présente Michel Legrand.
Le pianiste et compositeur Philippe Baden Powell
Fils aîné de Baden Powell, né en France où le musicien brésilien a vécu trente ans. Dans cette interview à France Info, il évoque son père.
« Nous sommes descendants de Noirs africains, d'Indiens du Brésil, de Portugais, mais la culture la plus présente chez nous est la culture africaine. Elle passe par la musique, la religion, des coutumes, des folklores... C'était déjà présent en Baden au moment où il composait. Tous les éléments qui constituent la culture de mon père, sa formation, ressortent à travers une expression rythmiquement et mélodiquement africaine.
Le grand-père de Baden [Vicente Thomas de Aquino, ndlr], là où commence notre famille, était un fils d'esclave né de la Loi du ventre libre [loi de 1871 qui libérait tous les enfants nés de parents esclaves]. Il est devenu musicien [il a fondé un orchestre constitué uniquement d'esclaves]. Les esclaves musiciens étaient des hommes libres, du fait de la musique, comme le rappelle le film Twelve Years a Slave. Mon arrière-grand-père était aussi un abolitionniste, un fervent militant pour les droits des Noirs au Brésil. Le Brésil est le dernier pays à avoir aboli l'esclavage en 1888. Dans notre famille, la musique, qui nous avait permis d'être libres et d'accéder à des connaissances et à d'autres milieux sociaux, est quelque chose de très important. Même sans devenir professionnels, 80% des membres de ma famille sont musiciens. »
« Mon père travaillait sans arrêt. Tout le temps. Ça veut dire qu'il dormait avec sa guitare. Même une fois marié, même après des années, il avait sa guitare dans le lit. »
Autres compositions notables :
« Tristeza »
« Das Rosas »
« Canto de Ossanha » (chanson)
AGUSTIN BARRIOS MANGORE (1885-1944, Paraguay)
Son nom de naissance est Agustín Pío Barrios. Il lui arrivait de s'habiller en indien guarani lors de ses concerts. Ses pièces sont largement inspirées par le folklore sud-américain, mais montrent aussi sa connaissance des compositeurs européens. « Diana Guaraní » évoque la guerre de 1864 au Paraguay.
Après sa mort en août 1944, lui et sa musique ont été oubliés ou ignorés pendant près de deux décennies. Il sort de l’oubli surtout dans les années 1970 et la sortie d'un disque consacré à Barrios par le guitariste australien John Williams (qui n’est pas la John Williams compositeur américain de musique de films) pour que sa musique se fasse reconnaître. « En tant que guitariste compositeur, Barrios est le meilleur du lot, Indépendamment de la mélodie, sa musique est mieux écrite, il est plus poétique, il est meilleur ! Et c'est plus de toutes ces choses d'une façon intemporelle. Alors, je pense qu'il est plus important que Sor ou Giuliani, et plus important pour la guitare que Villa-Lobos. » (Propos de John Williams,1993). Heitor Villa-Lobos dit à son propos « le grand Barrios est insurpassable ».
Pièces majeures :
La Catedral (1914, 1938) évoque la cathédrale de Montevideo (Uruguay) c'est une de ses plus grandes œuvres. Conçue à l’origine vers l’année 1921 en deux sections : « andante religieux » et « Allegro Solemne », cette œuvre est construite selon les canons baroques de Bach, à partir de ses partitas pour violon seul. Barrios ajoute un troisième mouvement : le prélude « Saudade » en 1938. La partie « Andante religioso » aurait été inspiré à Barrios par la cathédrale de Montévidéo, évoquant le son de ses cloches.
Ecouter : . La Catedral, par Ana Vidovic.
La partie « Allegre Solemne » par Thibaut Garcia.
Valse n°3, par Raphaël Feuillâtre.
Mazurka appasionata, par Raphaël Feuillâtre.
LEO BROUWER (1939, Cuba)
Compositeur, guitariste et chef d'orchestre cubain. Il est un compositeur majeur pour la guitare classique, mais a aussi écrit des œuvres pour toute sorte d'instruments et pour de nombreuses formations, ainsi que des musiques de film pour le cinéma cubain. Le jeune Leo est rapidement attiré par la guitare, à laquelle son père, biologiste passionné de flamenco, l’initie. Dès 1954, il crée sa propre méthode de travail, passant des heures à analyser des partitions et à s’inventer des exercices d’écriture, dont certains deviendront des pièces célèbres, comme la Fugue no 1 ou les Pièces sans titre pour guitare solo.
Bach, fugue : par Leo Brouwer (Concert 1982)
« Un jour de novembre » par Thibault Cauvin.
« Danza del Altiplano » par Mircea Gogoncea. De « Tres danzas concertantes » (1958)
« Preludios Epigramaticos (I-IV) », par Doris Ćosić. « Preludios Epigramáticos » (1981)
« Concerto da Requiem », par Shin-ichi Fukuda : hommage à Toru Takemitsu.
MANUEL MARIA PONCE (1882 ou 1886 - 1948, Mexique)
Compositeur mexicain, Manuel Ponce a écrit de la musique pour instrument seul, musique de chambre et orchestre. Ses partitions pour piano et guitare représentent l'essentiel de ses œuvres pour instrument seul si l'on considère les pièces qui nous sont connues.
Dans le répertoire pour guitare de Ponce, on relèvera notamment :
« Variations et fugue sur la Folia » (1929)
« Sonatina meridional » (1939).
« Concierto del sur » (version Narciso Yepes) : dédié à son ami Andrés Segovia.
L'une des chansons de Ponce encore fréquemment entendues actuellement est Estrellita (1912) : « Estrellita »
Bonne écoute !
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