Gulliver empêtré ou le Président dans le piège à rats
Ferrante : II est là tout entier. Allez, allez, en prison ! En prison pour médiocrité. (Il sort.)
Henry de Montherlant, La Reine Morte ( 1942)
Rappelez-vous et écoutez bien la parabole des rats que débite dans le film intitulé Skyfall Javier Bardem Raoul Silva/Tiago Rodriguez à Daniel Craig/ James Bond, lequel est prisonnier et ligoté sur une chaise :
"Salut James et bienvenue. Est-ce que l'île te plaît ? Ma grand-mère aussi avait une île. Rien de bien extraordinaire. On en faisait le tour à pied en une heure. Mais pour nous, pour nous, c'était le paradis. Un été, on est allés la voir et on a découvert que les lieux étaient infestés de rats. Ils étaient venus sur un bateau de pêche et s'étaient gavés de noix de coco. Alors comment on chasse les rats d'une île ? Hmm ? "
Quel dommage que M. Macron n’aille pas au cinéma ! Ou bien quel dommage (si par hasard il a malgré tout vu Skyfall) qu’il n’ait pas conservé en mémoire la scène de l’excellent monologue de Silva face à James Bond et sa parabole des rats que nous vous invitons à voir et lire en entier in fine.[i]
Cela lui aurait permis de faire l’économie d’une allocution inepte et sans intérêt qui lui ferme tout avenir.
M.Macron a en effet écarté l'idée d'un gouvernement d'union nationale et appelé les autres partis à dire "jusqu'où ils sont prêts à aller" pour coopérer. Privé de sa majorité absolue à l'Assemblée nationale, le président a reconnu lors d'une courte allocution le besoin d'"apprendre à gouverner et légiférer différemment". (Mais qu’a-t-il donc fait durant cinq ans ?). Jugeant l'hypothèse d'un gouvernement d'union nationale "pas justifiée à ce jour", il a appelé les partis d'opposition à "dire en toute transparence jusqu'où ils sont prêts à aller" pour "bâtir des compromis" avec la majorité présidentielle.
Mais il n’y aura pas de compromis pour le Président, sauf à démissionner ou à se faire éjecter pour sortir de la ratière dans laquelle il est entré par orgueil, suffisance, confiance en soi exacerbée et, pour tout dire, mésintelligence des circonstances et des aspirations profondes de ceux qu’il méprise et continue cinq ans après à prendre pour des imbéciles.
- Le Président ne fait pas et ne fera pas partie de la solution du problème
M. Macron aura finalement réussi avec un talent mais aussi une médiocrité qui forcent tout à la fois l’admiration et le contentement, à se mettre lui-même dans une ratière dont il ne sortira pas, sauf à ses dépens.
L’insolent Peter Pan bloqué dans son adolescence pensait sans doute pouvoir une fois de plus jouer un tour de passe-passe à tout un électorat et le rouler dans la farine au nom d’une métamorphose dont il est incapable et à laquelle il ne croit pas un instant et le voilà réduit a quia[ii], bien incapable de trouver la seule issue du labyrinthe qui s’impose à lui : plier les gaules, déguerpir et démissionner.
L’image mise en exergue d’un Gulliver empêtré, immobilisé par ses compatriotes lilliputiens qu’il n’aura cessé de mépriser, violenter et prendre pour des imbéciles et des bas du front, s’impose d’évidence.
Elle n’est pas sans rappeler – d’où le titre de ce texte -, l’analyse effectuée voici bien longtemps par le politologue Stanley Hoffmann[iii] qui montrait de quelle manière deux types de contraintes pesaient alors (1971) – tout comme maintenant -, sur les actions extérieure et intérieure des Etats-Unis, tout comme aujourd’hui, en juin 2022, celles de l’Europe, de la France et de son « président » : celles qui résultent de l’état du système international et celles qu’imposent le système politique international, intérieur, national, constitutionnel, social, politique et économique, le tout sur fond de conflit européen.
Trois conflits en réalité, étroitement imbriqués, qui s’imposent désormais à un dirigeant totalement démonétisé qui a perdu sa légitimité politique en se trouvant désormais confronté à une opposition et une véritable assemblée nationale : un conflit politique, économique et social intérieur, en France.
Mais aussi un conflit dans le cadre d’une UE dont la situation économique et financière imprudemment engagée dans les prises de position ineptes de l’Euro comme dans celle des « sanctions économiques » prises à l’encontre de la Russie, la fragilisent dangereusement au point de lui faire déjà mettre un genou à terre.
Un conflit militaire enfin, qui va s’imposer définitivement comme celui d’une Europe et d’une France qui ne sortiront pas indemnes – à cause de dirigeants incapables qui ont fait leur temps -, de l’enjeu d’une vraie guerre entre Etats-Unis, OTAN et Russie, l’Ukraine étant passée par pertes plutôt que profits.
M. Macron qui demandait qu’on « vienne le chercher » a été retrouvé. Il est désormais à terre.
- Gulliver à terre et ligoté
Le fait est que dans cette Vè République monarchique, pour la première fois (enfin, au XXIè siècle…) le Roi est non seulement effectivement nu mais personne ne souhaite le rhabiller, au point qu’il pourrait bien devoir quitter la scène précipitamment, chaussures et habits à la main.
« C’est plus qu’une gifle, c’est un camouflet pour Emmanuel Macron : Ensemble ! perd 157 circonscriptions et obtient une majorité très relative de 245 députés. Le président paye son arrogance et ses flottements. Comment va-t-il réagir face au message clair et définitif que lui ont envoyé les électeurs qui ne veulent plus de sa politique ? Rester sur l’Olympe et continuer à jupitérer tout seul dans son coin en tentant, au coup par coup, d’obtenir des majorités ? Attendre cyniquement que le spectacle de la France ingouvernable devienne insupportable et organiser la dissolution de l’Assemblée dans un an, deux ans ? En espérant recomposer un « cercle électoral de la raison » autour de lui ? La seule façon de prendre acte du séisme politique serait un changement de Premier ministre immédiat avec une personnalité de droite. Le fera-t-il ? », s’interroge Valérie Toranian dans La revue des Deux Mondes.[iv]
« La moitié de la France n’a pas voté. Elle forme une majorité antipolitique : celle des invisibles, des désabusés, des déprimés. »
Notre pays n’est pas seulement ingouvernable, écrit-elle dans son éditorial que nous citons ci-après.
Il est profondément bloqué. La moitié de la France n’a pas voté. Elle forme une majorité antipolitique. Si on y ajoute les forces antisystèmes, contestataires et radicales qui ont voté pour les extrêmes, cela donne un pays en rupture à presque 70 %. La France périphérique contre la France urbaine, celle des outsiders qui se sentent profondément exclus et celle des insiders qui n’ont pas à se plaindre de leur situation. Notre crise n’est pas seulement politique et institutionnelle. C’est une crise existentielle et culturelle. Si le pouvoir d’achat est la première préoccupation des Français, ce n’est pas uniquement parce que certains n’arrivent pas à finir leur fin de mois. C’est aussi parce que le pouvoir d’achat représente le pouvoir d’exister dans une société où les valeurs traditionnelles (et populaires !) du travail, de l’autorité, de l’héritage républicain, du patriotisme ont été détrônées par les emblèmes de la consommation et de la jouissance immédiate. Le téléphone mobile est considéré comme produit de première nécessité (et il l’est la plupart du temps car ne pas l’avoir est pénalisant) ; les réseaux sociaux et leurs algorithmes imposent une surenchère permanente de consommation ; et la vie rêvée sur Instagram impose ses normes irréelles, favorisant amertume, jalousie et ressentiment. Le fossé ne peut que s’agrandir entre ceux qui jouissent de leur statut et ceux qui courent après la jouissance dans une perpétuelle insatisfaction.
Lire aussi / Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely : la France sans fard
Comme l’explique parfaitement Jérôme Fourquet dans le Figaro Magazine, « il y a donc quelque chose d’éminemment statutaire dans la consommation et le fait que des millions de Français de la classe moyenne soient entravés dans leur pouvoir d’acheter et soient donc relégués au rang de citoyen-consommateur de seconde zone, constitue une bombe politique, que les responsables étatiques tentent de désamorcer par la politique du carnet de chèques ». Face à cette ardente obligation de consommer, l’État est perçu comme l’instance devant satisfaire un manque perpétuel. Les partis qui promettent toujours plus d’argent magique ont de beaux jours devant eux. Mais la frustration qu’ils engendreront (car comment être à la hauteur d’une attente qui en masque tant d’autres ?) est une bombe à retardement. »
- Médiocrité encore et toujours
Une bombe politique, électorale et constitutionnelle que l’intéressé aurait pu facilement désamorcer en usant d’un sens politique qui lui aura manqué.
En refusant un gouvernement d’Union Nationale dont il a déclaré qu’il n’était pas justifié et qu’il aurait pu constituer sur la base d’une autorité constitutionnelle, en jouant intelligemment un rôle de chef de l’Etat et en distribuant les postes tout en tenant compte de la nouvelle donne parlementaire qu’il ne pourra écarter et ignorer, M. Macron a en effet très probablement raté la formidable occasion qui s’ouvrait à lui de présider et de s’imposer à un autre Premier ministre et à un autre gouvernement que l’équipe de rescapés du Radeau de la Méduse qu’il a péniblement réunie et qui est en train de couler.
Mais voilà, ce type de choix politique suppose finesse et intelligence (ce dont il est manifestement dépourvu), mais aussi existence d’un chef et d’un Etat, ce qui n’est pas vraiment le cas et qui n’est pas sans rappeler la fameuse phrase de Charles De Gaulle à l’ancien président Albert Lebrun : « Au fond, comme chef de l'Etat, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef ; qu'il y eût un Etat.".[v]
Mais le feu d’artifice continue et voilà que l’Actualité qui est décidément bonne fille nous offre un spectacle épatant, début d'une "première Saison" prometteuse.
Nous assistons à un florilège de médiocrité, y compris dans le camp de « l’Homme qui voulut être Roi » et qui vient de prendre un coup direct dans la soute à munitions du navire LFI avec le formidable scandale du couple de Thénardier de LFI, embarrassé par une sale affaire... d’emploi illégal.[vi]
Quant au chef actuel de l’ex-majorité , nous dirons donc qu’il a désormais amplement montré l’étendue de sa nullité.
Quant à l’Etat, il ne lui manque plus que d’être réellement et fermement repris d’une main forte tant il est vrai que la France ne demande qu’une seule chose : un vrai Gouverneur pour remettre un toit sur la maison.
On en reparlera très vite.
[i] Skyfall (2012) excellente vidéo à propos du moyen d’exterminer les rats sur l’île : https://youtu.be/ewaklWObvR8?t=7 et texte : https://jamesbond.fandom.com/fr/wiki/Raoul_Silva
[ii] A quia, saligia, Trésor du Français. https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article7275
[iii] Alfred Grosser. Stanley Hoffmann, Gulliver empêtré, Essai sur la politique étrangère des Etats-Unis (Le Seuil, Coll.« Esprit ») 1971 . https://esprit.presse.fr/article/grosser-alfred/stanley-hoffmann-gulliver-empetre-essai-sur-la-politique-etrangere-des-etats-unis-29894
[iv] Valérie Toranian, La victoire du RN, la déconfiture de la Nupes, le crash de Jupiter, La Revue des Deux Mondes,20 juin 2022, https://www.revuedesdeuxmondes.fr/la-victoire-du-rn-la-deconfiture-de-la-nupes-le-crash-de-jupiter/
[v] Charles de Gaulle - Mémoires de guerre III - Albert Lebrun (1871-1950), https://www.lettresvolees.fr/degaulle/lebrun.html
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