Haïti, l’Afrique et le Président (fable édifiante)
Sans doute pour célébrer le huitième anniversaire du tremblement de terre qui a fait 230 000 morts en Haïti, le président des Etats-Unis a baptisé ce pays (et dans le même élan l’ensemble du continent africain) du doux terme générique anglo-saxon de « shitholes », ce qui ne signifie pas vraiment « pays de merde » comme les médias francophones l’ont diffusé, mais littéralement « trous à merde », autrement dit « trous du cul ».
La nuance n’est pas un détail, car si le produit évoqué est biodégradable et cesse d’importuner le sens olfactif des promeneurs assez rapidement, les organismes qui en assurent la mise en rayons ne cessent jamais leur production, et c’est bien ce qui semble donner du souci à l’homme le plus puissant et le plus distingué de la planète.
Parce que, vous comprenez, il en a assez de procurer aux 58 000 Haïtiens vivant aux Etats-Unis le beurre et l’argent du beurre et il ne veut pas qu’ils commencent à lutiner la crémière ! Certains de ces insulaires originaires de ce grand « shithole » bénéficient même du « statut provisoire de protection » depuis plus de trente ans, et ça suffit comme ça, épicétou.
Il n’y est pour rien, lui, dans la situation de ces pauvres gens auxquels il préfère de loin les Norvégiens qui, eux, ne sont pas assez nombreux à venir s’installer dans le plus beau pays du monde, ce que le Président a fait savoir à son homologue scandinave lors d’une visite officielle cette semaine.
Le monde entier sait déjà qu’il a un bouton nucléaire plus gros que celui de la Corée du Nord, alors, il ne va pas se laisser intimider par des gens qui voudraient s’installer sans autorisation et qui n’ont pas de bouton du tout. De leur côté, les Haïtiens n’ont pas été surpris outre mesure pas ses commentaires à propos des lois d’immigration, puisqu’il avait déjà déclaré à leur sujet qu’ils avaient tous le sida. Et c’est peut-être le spectre d’une diffusion incontrôlable du virus qui pousse Monsieur le Président à appliquer le principe de précaution.
Bien sûr, le fait que la révolution haïtienne ait été capable pour la première fois dans l'histoire de mettre définitivement fin à l'esclavage des populations amenées d’Afrique aux Amériques et de forger une nation indépendante n’est pour rien dans le jugement de président ! Le fait qu’Haïti ait fait l’objet, à cause de (ou grâce à) son rôle décisif dans la contestation de ce que les planteurs du Sud (dont huit présidents américains) appelaient une « institution particulière » n’a rien à voir avec la situation présente.
La révolution haïtienne en 1793 était insupportable pour les planteurs américains, et le mauvais exemple ne devait pas faire tache d’huile. La diabolisation d'Haïti a été poussée très loin, au point que le Congrès a imposé en 1824 un « gag order » (consigne de silence) qui interdisait de prononcer le mot « Haïti » au Congrès. Haïti a servi de « bête noire » dans une campagne de dénigrement délibérée contre les descendants du peuple qui a le premier brisé ses chaines. Il faut rappeler que la France (qui a déclaré en 2001 l'esclavage « crime contre l'humanité ») avait imposé à cette nation en 1804 une pénalité de 150 millions de francs-or comme condition de reconnaissance de son indépendance, ce qui a endetté Haïti pour 120 ans et englouti jusqu'à 80% des impôts perçus pendant cette période.
Les États-Unis ont envahi Haïti vingt-six fois entre1849 à 1915, et occupé le pays pendant dix-neuf ans sous le prétexte que le pays était « ingouvernable ». Pendant cette occupation, les américains ont permis l’achat de terres par des propriétaires étrangers et mis en place un système de « maintien de l’ordre » qui a jeté les bases de la dictature de Duvalier de 1957-1971.
En accusant Haïti d’être à l’origine de l'épidémie de sida, les médias ont mis à mal l'industrie du tourisme, ce qui, avec la destruction délibérée de la population porcine d'Haïti, a plongé l'économie dans une spirale désastreuse. Les industriels américains ont saisi l'opportunité offerte par l'exode rural massif pour établir des ateliers qui exploitent cette misère en pratiquant les salaires les plus bas du monde.
Baptiser « shithole » ce pays (ce qui induit le respect que l’on porte à ses habitants) n’est pas seulement une insulte, mais aussi un affront provocateur à la conquête de sa propre liberté par le peuple haïtien.
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