Halloween, la fête des morts de rire
Comment et pourquoi l'ancienne fête des morts, la Toussaint, s'est-elle fait désacraliser et détrôner par les rires idiots – et cariés de bonbons – de l'Halloween moderne.
Plantons le décor d'un film d'horreur : le libéralisme incarne l'empire du moindre mal qui abroge la morale commune pour ne garder de dénominateur commun que l'argent et ses droits, dont l'objectivité arithmétique doit mettre tout le monde d'accord au contraire des anciennes valeurs trop humaines. Le libéralisme croit pouvoir aseptiser l'humanité de sa négativité substantielle en chassant cette dernière de la sphère publique – qu'il fallut d'abord séculariser bien sûr, pour que chacun n'ait plus qu'un même Dieu, l'argent, censé pacifier les communautés et épanouir les individus par son langage unique et rationnel. Dans une société libérale aboutie, comme la nôtre, l'ultime étape pour neutraliser cette négativité reste de lénifier les individus en les infantilisant. Ainsi devient récréatif tout ce qui jadis était vecteur de négativité, c'est-à-dire d'histoire, de tragique, d'humain, de sensé. De réel en somme.
C'est ici que Halloween entre en scène comme un exemple limpide qui a supplanté, infantilisé et vidé de son sens ce qu'était la Toussaint. Autrefois les enfants suivaient leurs parents pour honorer les proches disparus, se recueillir devant les tombes et les fleurir ; ils apprenaient à cette occasion le respect des ancêtres et la vérité de la vie. Aujourd'hui ce sont les parents qui suivent leurs enfants, se travestissent avec eux de déguisements qui rivalisent d’imbécillité et de mauvais goût ; cette exhibition nécro-carnavalesque enterre une seconde fois et définitivement les vrais morts, devenus has-been car n'ayant pas su négocier le tournant postmoderne du tout divertissement dans leur décor grisâtre et silencieux. Il faut savoir se vendre pour exister dans une civilisation libérale qui donne partout et fatalement la prédominance au divertissement dans ce qu'on appelle encore la culture : l’Événementiel pré-usiné tombant des écrans éclipse le Traditionnel ensemencé par les pères et vendangé par les fils. La Toussaint avec ses treize siècles d'histoire ne représente pas une affaire assez florissante pour tenir en respect la bouffonnerie sucrée d'Halloween.
Pour les mêmes raisons : parce que seul le dieu Argent doit fédérer les hommes, parce que l'humanité en marche porte une part de négativité qu'il faut proscrire pour la rendre inoffensive et bonne consommatrice, en l'asseyant sur une chaise roulante comme un vieillard gâteux et content de recouvrer son enfance, nous verrons à nouveau dans un peu moins de deux mois qu'il sera beaucoup plus drôle et lucratif de croire – et de faire croire – en ce milliardaire de Père Noël qui vide de sens le 25 décembre, plutôt qu'en ce misérable Jésus-Christ dont les cadeaux sont trop peu matériels pour avoir encore de la valeur.
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