A force de trash-télévision assénée depuis l’avènement des lofts, starac, secret et tutti quanti, on pensait avoir tout vu dans le domaine de l’exhibitionnisme un tantinet malsain et pervers. Depuis hier, nous sommes passés au registre supérieur.
En effet, se montrer dans toutes les situations sur le net est devenu quelque chose d’anodin, voire de totalement intégré aux nouvelles moeurs cybernétique. Facebook, twitter ont fait du mylife.com un nouveau mode de vie, un credo, une façon de communiquer au monde, de dire aux autres « j’existe ».
Mais, depuis hier, un nouveau palier vient d’être franchi : des parents ont décidé de montrer la vie quotidienne de leur fille très lourdement handicapée en la filmant 24h/24 au moyen d’une webcam. Déjà, ma première remarque va vers la législation : quand au niveau des candidats des téléréalités, le CSA impose des heures de coupure pour raison éthique, comment appréhender ce genre de situation ?
Ensuite, ma deuxième question : pourquoi les parents en sont arrivés à cette extrémité ?
La première réponse vient des parents qui annoncent que la toilette d’Anne, la jeune fille, ainsi que les soins, prodigués hors champ, ne seront pas visibles du public d’internautes.
La deuxième réponse, c’est la compréhension du vécu des parents d’enfants handicapés, qu’ils soient polyhandicapés, autistes, paraplégiques, trisomiques, leur vécu n’a rien de commun avec ce qu’une personne jamais confrontée à cette situation peut imaginer.
Dans le contexte actuel, notre société, avec les mentalités narcissiques de notre époque, il est évident que pour une famille, avoir un enfant handicapé, c’est vivre au quotidien un chemin de croix, devoir être présent, mettre la vie en suspens, en pointillés.
Les parents doivent continuer de donner la tendresse et accepter de voir leur enfant dans sa souffrance. Il faut beaucoup d’amour quand on a un enfant handicapé. Il faut aussi être capable de renoncer à beaucoup de choses, voire à une vie sociale tout simplement. C’est une présence de tous les instants et un altruisme permanent mêlé d’amour.
L’Etat, la société, le monde, ne font pas de cadeaux. Si certaines allocations (dérisoires : l’allocation adulte handicapé, ou AAH, est d’un montant de 681,63 euros maximum) sont prévues, peu de structures correctes sont prévues pour accueillir le nombre d’enfants malades, que ça soit physiquement ou mentalement. Quand ces enfants arrivent à l’âge adulte, certains ont toujours une âme d’enfants, d’autres ont un corps tellement malade qu’ils ne peuvent même pas assurer les besoins de la vie quotidienne (manger, se vêtir, faire ses besoins). Adultes, ils ont toujours besoin de l’assistance d’une personne, ce qu’on appelle la tierce personne. Mais tout ceci a un coût : si il n’y a pas de structure adéquate, pas de place, ce sont les parents qui se substituent aux personnels spécialisés. Et pour eux, le parcours du combattant se transforme souvent en calvaire... Parcours où même pour certaines personnes, la solution serait la disparition de l’enfant aimé. On a vu des cas où les parents craquaient et passaient à l’acte, ce qui n’est pas forcément acceptable sur le plan moral, mais ô combien compréhensible sur les plans émotionnel et affectif.
Mais ce dernier cas aurait tendance à me laisser une impression de malaise, comme si je prenais une mauvaise télé-réalité en pleine figure. Dans une dépêche de l’AFP du jeudi 5 novembre, on peut lire ceci :
"Une webcam pour découvrir le monde d’Anne, 32 ans, polyhandicapée"
La dépêche se poursuit de la manière suivante : "Les parents d’une jeune femme polyhandicapée de naissance, qui ne peut ni marcher ni parler, ont annoncé qu’ils allaient installer une webcam au pied du lit où leur fille passe le plus clair de son temps, pour faire découvrir ce handicap "trop souvent caché".
"On ne donne pas notre fille en pâture, notre but est de la valoriser, de lui rendre sa dignité", a expliqué jeudi à l’AFP son père, Didier Lamic, qui habite avec sa famille à Tallard (Hautes-Alpes), près de Gap."
La volonté des parents est claire : ils veulent que les gens prennent conscience du vécu des personnes handicapées. C’est louable. Mais sincèrement, je me demande si cela servira.
Qui se connectera sur le site du monde de Doudou (c’est ainsi qu’ils appellent leur fille) ? Y aura-t-il réellement une volonté de comprendre ou un désir malsain de voir le vécu d’une personne malade ? Quand on sait que les "séquences" qui plaisent le mieux en télé-réalité sont les scènes trash, on est en droit de douter de la bonne intelligence de ceux qui vont se connecter et regarder la jeune fille dans son lit de souffrance. En fait, ce ne sont pas les parents que je condamne : ils doivent subir au quotidien des épreuves et ils se battent pour que le monde acceptent la condition de ces personnes différentes. Non, les nuisibles, je le crains, seront ceux qui tapis derrière leur écran d’ordinateur, avec des pseudos bien cachés, en toute discrétion et perversité, iront voir, observeront, se délecteront du malheur d’autrui, parce que eux sont bien portants.
Au fond pour beaucoup de gens, ça ne sera qu’une télé-réalité de plus. La seule différence résidera dans le fait qu’au bout de quelques jours, finalement, le quotidien de cette jeune fille finira par les ennuyer.
Et le prochain passage, ça sera quoi ? quelqu’un qui filmera sa propre agonie, pour montrer que l’euthanasie est une solution ? et derrière leurs écrans, les mêmes attendront l’heure fatidique, la fin, peut-être en se goinfrant de chips et en faisant des commentaires sur un chatboard.