Haro sur les chômeurs !
De nouveau les chômeurs sont dans le collimateur de l’état : alors même que le chômage régresse. Ce qui en dit long sur notre modèle de société.
Longtemps le chômage fut tenu pour une calamité des sociétés modernes. Ceux qui le subissaient étaient regardés soit comme des victimes (à l’instar des handicapés), soit comme des parias. Eux-mêmes vivaient avec honte leur condition de chômeur, tellement l’apologie du travail – noyau dur de l’idéologie capitaliste – était prégnante dans les esprits. Quant aux allocations compensatoires, elles étaient dérisoires, même pour survivre - quand elles n’étaient pas inexistantes. La France des Trente Glorieuses fut celle du plein emploi et le chômage y était ridiculement bas (0,5% dans les années 60). Tout devait changer au cours des années 70, avec les chocs pétroliers successifs. Le seuil redouté d’un million de chômeurs fut atteint sous le septennat de Giscard et on finit par se faire à l’idée d’un chômage structurel, tout en continuant à aligner des propositions pour le réduire. Restait la question des revenus de substitution, fer de lance de la justice sociale. Même soumis à des barèmes et des modalités, ils étaient devenus absolument indispensables, tant pour la survie d’un nombre croissant de personnes que pour l’équilibre général de la société.
C’est ainsi que, sous l’influence d’une pensée de l’émancipation individuelle en progression dans les années 70 (Marcuse, Illich, Dumazedier), le chômage commença à se dédramatiser. Après tout, les loisirs étaient bien aussi importants que le travail dans une vie d’homme. Et le chômage pouvait aussi être l’occasion pour faire d’autres expériences sociales où le travail – le travail aliéné – n’aurait plus la première place. Cette attitude baba-cool, qui se satisfaisait d’une forme de marginalisation, fut à son tour battue en brèche avec l’offensive néo-libérale qui accompagna l’effondrement du bloc soviétique. Désormais ce fut la figure de l’entrepreneur que l’on porta au pinacle. Dans les années 80, Bernard Tapie avait donné le ton ; d’autres devaient lui emboîter le pas dans cette course éperdue à la fortune. Des terminologies nouvelles apparurent dans les conversations de café : start-up, bulle financière…On sait depuis que leur sens n’était pas surfait. De nouveau le balancier penchait du côté du travail, à l’amble avec le retour du rigorisme moral. Et ceux qui ne voulaient – ou ne pouvaient pas – suivre ce mouvement étaient mis à l’index, présentés comme des fainéants, des assistés, des parasites. Sarkozy enfonça le clou, divisant les français nécessiteux, selon qu’ils se levaient tôt ou non. Hollande ne fit que poursuivre, malgré quelques bémols à caractère social, cette pente qui mettait les chômeurs sur le banc des accusés.
Aujourd’hui, c’est leur fils naturel - de droite et en même temps de droite - qui veut durcir la législation à leur encontre. Désormais il faudra qu’ils apportent régulièrement des preuves de leur recherche active d’emploi, afin de justifier les quelques centaines d’euros qui leur sont versés chaque mois. En outre, ils ne pourront plus refuser les postes qui leur seront proposés, quand bien même ils ne correspondraient pas à leur formation ou qu’ils les entraineraient dans des déplacements excessifs et coûteux. Un premier refus réduira de 20% leur allocation. Et un second pourra entrainer leur radiation pure et simple de Pôle Emploi. En matière de solidarité sociale, on touche peu à peu le fond, les pauvres ne pouvant ainsi que devenir encore plus pauvres jusqu’à ne plus pouvoir survivre. Cette répression annoncée survient en plus dans un contexte favorable, avec une économie qui repart durablement à la hausse. Oui, il est grand temps qu’un nouvel homme politique fasse adopter le principe d’un revenu universel sans condition de versement. Ne fut-ce que pour insuffler un vent de liberté dans le monde du travail.
Jacques LUCCHESI
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