Haro sur les libertés civiles
Tony Blair quittera ses fonctions le 27 juin et risque bien de s’en aller sur un terrible constat d’échec. En effet, le Premier ministre britannique après une décennie de pouvoir estime que dans un pays moderne faire passer les libertés civiles devant les exigences de la sécurité nationale est une erreur. « Nous avons choisi en tant que société de mettre les libertés civiles du suspect, même s’il est étranger, en premier. Je considère que c’est une erreur de jugement », précise-t-il.
Afin de parachever son œuvre, il
compte profiter du mois qui lui reste au 10, Downing Street pour élaborer et
faire passer
Une première loi contestée
Après les attentats 11 septembre
2001 aux Etats-Unis,
En 2004, dans un ultime sursaut démocratique, les tribunaux britanniques se rappelèrent que leur pays avait dés 1679 mis la protection des libertés individuelles au coeur du système avec l’Habeas Corpus, protégeant notamment les citoyens contre les arrestations arbitraires. En conséquence, les tribunaux invalidèrent ces lois. Lord Hoffmann, un juge, (nommé Lords of Appeal in Ordinary, or Law Lords) déclara alors fort justement que « l’abrogation des droits des personnes mises en accusation représentait une plus grande menace pour le pays que le terrorisme ». A la décharge de Tony Blair, ce Lord a un lourd passif derrière lui. Il a voulu extrader Pinochet en Espagne pour juger ses crimes contre l’humanité et sa femme a des liens avec Amnesty International. Il est donc forcément soupçonné d’être un droit-de-l’hommiste béat, donc dangereux.
Pourtant, les Anglo-Saxons, peut-être plus que tout autre peuple, ont toujours attaché une importance primordiale à l’individualité et à la liberté d’action, de parole, d’investissement de l’individu en tant que tel. Ils tirent une grande fierté du fait que l’Habeas Corpus ait traversé les siècles au point d’être la pierre angulaire de leur société et ait inspiré une multitude d’autres nations à travers la planète Terre. Il y a peu, le seul fait de simplement penser à remettre en question ce principe était absolument impensable, anticitoyen, criminel. L’idée d’obliger les citoyens à disposer d’une carte d’identité et de devoir la décliner à la demande d’un policier, sans motif, était tout bonnement impensable.
Tony’s U-Turn
Tony Blair, lui, a procédé en quelques années à un magistral « U-Turn » qu’il se propose de finaliser en un seul petit mois. Il estime que bien que ces lois antiterroristes de l’après 11-Septembre ne représentent qu’"un moindre mal" elles sont "bien plus faibles que ce que nous voulions et ont été affaiblies perpétuellement par des amendements de l’opposition et attaquées constamment par les défenseurs des libertés civiles". Il a illustré ses propos en citant la disparition récente de trois suspects d’actes terroristes assignés à résidence. "La faute n’incombe pas à nos services ou au ministère de l’Intérieur" mais à la législation actuelle qui fait passer les droits des suspects en premier lieu.
La nouvelle législation, encore plus drastique
que les lois précédentes invalidées par les tribunaux, devrait donner à la
police le pouvoir d’appréhender et
d’interroger n’importe quel individu sur son identité et ses déplacements, sans
nécessairement que cette personne soit suspectée d’un crime ou délit. Si
les personnes appréhendées refusent de répondre, elles pourront être accusées
d’obstruction à une enquête de police et risquer une amende allant jusqu’à
L’Habeas Corpus se trouve ainsi attaqué violemment et vidé de sa substance par l’homme censé l’incarner au yeux du monde. Ce que ni les guerres napoléoniennes, ni les guerres mondiales, ni le terrorisme de l’IRA n’auront réussi à faire, Tony Blair, lui, le réussira peut-être. Pourtant, au cours des quarante dernières années, le terrorisme de l’IRA a causé beaucoup plus de dégâts, de victimes et de peurs que les attentats récents des terroristes islamistes radicaux. Personne alors n’avait proposé de restreindre des libertés individuelles d’une telle ampleur. Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi est-il primordial de limiter ainsi les droits des citoyens et de confier à la police des prérogatives extraordinaires en toute opacité ? Par quels moyens, alors que les précédentes lois ont été invalidées par les tribunaux, se propose-t-il d’en faire accepter de plus répressives ? Comment ose-t-il être aussi confiant, si ce n’est qu’il a l’intention de passer en force en s’asseyant royalement sur l’Habeas Corpus ?
Un combat d’avant-garde internationaliste
Dans un camp nous avons un Premier ministre britannique avant-gardiste soucieux de protéger ses concitoyens contre les menaces terroristes omniprésentes. De l’autre côté, la clique des « défenseurs des libertés civiles », les tribunaux, et tiens, même l’opposition politique (tant qu’à faire, autant profiter du climat délétère pour discréditer ses adversaires, non ?) qui s’arc-boutent sur leurs principes vieillots mettant leur nation en danger.
Cette rhétorique stigmatisante n’a-t-elle pas un
air de déjà-vu de ce côté-ci de
Blair s’inspire du Patriot Act des néocons
américains et se trouve lui-même plagié par Sarkozy ; la belle
internationale que voilà, bafouant les libertés élémentaires au nom du risque d’actes
terroristes, dont l’imminence s’étale opportunément dans la durée. Les USA, le
Royaume-Uni,
Et la police dans tout ça ?
La double mission de la police, la protection des citoyens et la défense de l’ordre établi, penche de plus en plus en faveur de cet ordre. En effet, les forces de l’ordre se voient dotées de nouvelles prérogatives leur permettant de contrôler, arrêter, garder à vue, indéfiniment dans certains cas, n’importe qui sans avoir de comptes à rendre à d’autres qu’au gouvernement. Pire, même, la culture du chiffre érigée en tant que principe d’évaluation de l’action policière incite les gradés et fonctionnaires subordonnés à faire du zèle pour « paraître » compétents. La justice apparaît de plus en plus comme une simple chambre d’enregistrement validant les actes policiers. Les juges eux-mêmes craignent cette dérive., notamment sur les peines plancher dès la première récidive.
Le voilà l’ordre nouveau qui, grâce à l’alibi de la menace terroriste représentée par une poignée d’individus, espère pouvoir contrôler la société dans tous ses recoins et se donne les outils pour criminaliser la contestation, sans avoir à se préoccuper des conséquences pour ceux soumis à leur arbitraire. Rien de nouveau me direz-vous, la police a toujours été le bras armé du gouvernement quel qu’il soit, démocratique ou fasciste. Sauf qu’à partir du moment où une fraction sans cesse croissante de la population conteste l’ordre établi, ressent personnellement dans sa chair cette érosion progressive de sa liberté, n’y a-t-il pas un risque élevé de confrontations entre le peuple et les forces de l’ordre, de considérer les valets de l’ordre comme autant d’ennemis à abattre ? N’est-ce pas d’ailleurs ainsi que cela se passe dans les pays autoritaires où la police est largement considérée par la population comme un instrument répressif au service exclusif du pouvoir ? Les policiers devraient être particulièrement sensibles à leurs nouvelles missions qui se profilent, car en fin de compte c’est eux qui seront en première ligne, seront discrédités parmi la population et en subiront aussi les conséquences dans leur chair et dans leur âme. Leurs conditions de travail et leur réputation s’en trouveront lourdement dégradées.
Et le peuple, qu’en pense t-il ?
Et puis après tout, « ceux
qui n’ont rien à se reprocher, n’ont rien à craindre ». N’est-ce pas un
commentaire récurrent que l’on rencontre sur Agoravox dès que le sujet des lois
liberticides est abordé ? En effet, peu d’entre nous se sentent
directement concernés dans leur vie quotidienne par cette nouvelle batterie de
lois liberticides, mais peu se projettent aussi dans l’avenir. Car ce n’est pas
nous qui décidons ce qui est illégal ou non ; c’est la loi, la police, la
justice ! Hors ces lois évoluent, et bien plus vite que notre faculté
d’adaptation aux nouvelles règles. Aujourd’hui, seuls les terroristes présumés
et les clandestins sont visés, ce qui en ravit certains qui du coup appuient ces
lois. Bien que le simple soupçon (entraînant je le rappelle l’arrestation,
l’interrogatoire et la garde à vue) puisse déjà rejaillir sur n’importe qui par
le simple fait du hasard, peu d’entre nous se sentent concernés et peu d’entre
nous en subiront les conséquences aujourd’hui. Mais demain ? Qui nous
garantit que la classe des suspects à arrêter, interroger, emprisonner ne sera
pas élargie en toute opacité sur la simple volonté d’un préfet, d’un ministre, du
président ? Un jour prochain, les contestataires du gouvernement en place
ne seront-ils pas eux aussi pointés comme des criminels, avec comme délit des
motifs aussi subjectifs et galvaudés que l’outrage, le refus d’obtempérer ou la rébellion
aux forces de l’ordre ? La délation que l’UMP favorise ne sera-t-elle pas
instituée ? Déjà, lors des manifs anti-Sarkozy post-électorales, n’a-t-on
pas vu des gens déférés manu militari devant les tribunaux en comparution
immédiate, condamnés lourdement, sans possibilités de préparer leur défense,
sans preuves autres que les PV de la police ? Certains de ces condamnés
sont probablement innocents, mais
qu’importe car c’est l’exemple qui compte, et puis, personne ne s’en soucie.
Comme l’a suggéré notre président, il vaut mieux voir quelques innocents en
taule plutôt qu’un criminel multirécidiviste dangereux en liberté ; c’est
un message porteur dans l’opinion.
Conclusion
Pour se prémunir de tels dérapages, nos démocraties ont patiemment institué des garde-fous pour assurer les libertés civiles en cas d’attaques provenant des hommes de pouvoir. Hélas, ces garde-fous sautent insidieusement les uns après les autres avec l’appui enthousiaste des « veaux » non avertis. Les gouvernements, depuis longtemps coupés de « ceux d’en bas », s’attaquent d’abord aux institutions protectrices de nos droits et après ils agiront comme bon leur chante, en toute légalité, n’ayant plus de contre-pouvoirs crédibles et légitimes pour canaliser leurs velléités de contrôle paranoïaque.
« Le pays devra se résoudre à l’ordre sécuritaire ou ne sera plus ». Est-ce vraiment ce que vous souhaitez ? Sinon, restez vigilant car il sera peut-être temps d’agir très bientôt.
Sources :
The Sunday Times (May 27, 2007) Blair : shackled in war on terror
Le
Monde (May 27, 2007) Tony Blair veut renforcer les pouvoirs de la police
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