Henda Ayari, la femme qui accuse Tariq Ramadan de viol, présente sa version des faits lors d’une interview sur BFMTV
En octobre 2017, Henda Ayari dépose plainte pour viol contre Tariq Ramadan, le célèbre et controversé islamologue suisse, souvent invité par les chaînes de télé françaises.
Suite à son dépôt de plainte, Henda Ayari se rend sur différents plateaux de télé pour témoigner de son calvaire. Elle raconte son viol notamment lors de son passage sur la chaîne d'information continue BFM TV.
Mais, dans son livre « J'ai choisi d'être libre » publié en 2016, Henda Ayari avait déjà raconté ce viol.
Dans « J'ai choisi d'être libre », Henda Ayari explique qu'elle fut adepte de la religion salafiste, et elle relate comment elle a pu se libérer de ce « mouvement sectaire » qui la « détruisait peu à peu ». Et il se trouve qu'elle consacre un chapitre à un certain Zoubeyr, un théologien qui, en 2012, l'a violée dans une chambre d'hôtel.
En 2017, lorsqu'elle dépose plainte, elle révèle que ce Zoubeyr est en réalité Tariq Ramadan.
Nous avons donc dans « J'ai choisi d'être libre » une première version de la description du viol qu'elle affirme avoir subi.
Lorsque Henda Ayari se rend sur le plateau de télé de Bfm TV en octobre 2017, elle donne une seconde version, sensiblement différente. Cet article se propose de lister les différences entre les deux versions.
Version du livre
Dans son livre « J'ai choisi d'être libre », Henda Ayari raconte son arrivée à l'hôtel parisien de Tariq Ramadan. Elle monte à l'étage où se trouve la chambre du théologien suisse. Elle entend la voix de Tariq Ramadan à travers sa porte, car il est en train de téléphoner. Elle frappe, il lui ouvre, elle le découvre « encore plus beau qu'à la télévision ». Il lui offre une pâtisserie orientale, qu'elle accepte pour ne pas paraître impolie, mais, ayant la gorge nouée, ne la mange pas et la garde « bêtement à la main ».
Elle écrit ensuite : « Je me sentais à la fois intimidée, et profondément heureuse de me trouver face à cet homme admirable. (...) Il me sourit, je restai debout, un peu raide, très intimidée. Brusquement, il se retourna vers moi, m'enlaça, et m'embrassa fougueusement. Je m'étais d'abord raidie sous l'effet de la surprise, mais je me laissai très vite aller. Ses mains me tenaient solidement aux épaules, ses lèvres étaient douces et sa barbe me chatouillait la joue. J'étais bouleversée. Cet homme m'avait fait venir, il m'embrassait, cela voulait forcément dire que pour lui aussi ce moment était important. Sa voix chaude murmurait à mon oreille, j'avais le sentiment de vivre un rêve. Je me sentais délicieusement soumise. Il m'embrassa, et je m'abandonnai...
Hélas, le rêve se transforma peu à peu en cauchemar. »
Elle explique que Tariq Ramadan s'est transformé en une personne qu'elle n'aurait pas pu imaginer et qu'il a profité de sa faiblesse et de l'admiration qu'elle lui portait. Elle raconte que la transformation de Ramadan s'est matérialisée dans ses gestes, ses attitudes et ses paroles : il est devenu « vil, vulgaire, agressif aussi bien physiquement que verbalement ». Elle explique que : « par pudeur, je ne donnerai pas ici de détails précis sur les actes qu'il m'a fait subir » . Et lorsqu'elle a décidé de se rebeller, elle s'est mise à lui crier d'arrêter. Mais il l'a insultée, humiliée, giflée et violentée. Selon elle, il a perdu le contrôle de lui-même, et elle a craint qu'il la tue : (lire gratuitement un passage du livre sur Google Books).
Version BFM TV
La version qu'elle donne sur le plateau de BfmTV se trouve dans la vidéo ci-dessous vers 8 minutes 45 secondes. Vous pouvez aussi lire le compte rendu en dessous de la vidéo.
Dans la version télé, l'islamologue, après l'avoir accueillie dans sa chambre d'hôtel, lui propose une pâtisserie orientale, qu'elle refuse. Tariq Ramadan va alors se laver les mains, car lui-même vient de manger des pâtisseries orientales. Henda Ayari explique ensuite : Tariq Ramadan « revient, et à ce moment-là, il m'embrasse directement, quelques secondes après, il m'embrasse très fort, directement. Là, je reconnais que je me suis laissée faire. Par contre, ce qui c'est passé quelques secondes après, cela était le pire, je n'ai jamais vécu cela, cela était l'horreur. Il s'est littéralement jeté sur moi comme une bête sauvage, je n'ai pas eu le temps de respirer, je me suis retrouvée sous lui. Tout de suite, j'ai dit non, cela va trop vite. Non, s'il te plaît arrête. Plus je disais non, plus il s'est mis en colère. » (à 8minutes45s de la vidéo ci-plus-haut)
Analyse des différences entre les deux versions
Le récit semble commencer par une toute petite différence : dans le livre elle écrit avoir accepté une pâtisserie par politesse mais ne l'a pas mangée, alors que sur Bfm TV elle dit avoir refusé la pâtisserie. Mais cela revient finalement au même : dans les deux cas, elle n'a pas mangé de pâtisserie, on peut donc dire qu'elle l'a refusée. Il n'y a pas vraiment de différence.
Ensuite, dans son livre, Henda Ayari témoigne d'un début de relation physique avec Ramadan qui paraît tout à fait normal, et ressemble de près à une expérience amoureuse « classique ».
Notez que dans son livre, Henda Ayari écrit que la « voix chaude » de Ramadan murmurait à son oreille. On suppose bien sûr qu'il doit lui dire des mots doux, car elle écrit avoir un « sentiment de vivre un rêve ».
Mais ce moment de « rêve » n'existe plus dans sa version pour la télé. Henda Ayari reconnaît simplement s'être « laissée faire » : c'est une différence notable, car elle passe complètement à la trappe la dimension positive de sa première étreinte avec Ramadan. L'épisode où la « voix chaude » de Ramadan murmure à son oreille après le premier baiser disparaît. Dans cette nouvelle version pour la télé, Ramadan va donc pouvoir la violer immédiatement après le premier baiser.
Dans la version du livre, Henda Ayari écrit : « Hélas, le rêve se transforma peu à peu en cauchemar ». Le passage du rêve au cauchemar est donc graduel. Pourtant dans la version télé, cela ne paraît absolument pas graduel : elle dit qu'après le baiser, quelques secondes après, cela était « l'horreur » : il se jette sur elle comme une bête sauvage ; elle se retrouve allongée sous lui, et elle lui demande alors de s'arrêter. C'est incohérent avec la version du livre où la dégradation de la rencontre se fait « peu à peu ».
Dans la version télé, elle déclare : « Tout de suite, j'ai dit non, cela va trop vite. Non, s'il te plaît arrête ». Dans la version du livre elle écrit : Tariq Ramadan « se transforma sous mes yeux en un être vil, vulgaire, agressif aussi bien physiquement que verbalement. Par pudeur, je ne donnerai pas ici de détails précis sur les actes qu'il m'a fait subir. Il suffit de savoir qu'il a très largement profité de ma faiblesse, et de l'admiration que je lui vouais. Il s'est permis des gestes, des attitudes et des paroles que je n'aurais jamais pu imaginer. Et quand je me suis rebellée, quand je lui ai crié d'arrêter, il m'a insultée et humiliée. Il m'a giflée. Il m'a violentée. ». Dans le livre, il paraît clair que Henda Ayari assiste dans un premier temps sans protester à la transformation de Tariq Ramadan, qui se permet alors « des gestes, des attitudes et des paroles » que jamais elle n'aurait pu imaginer. Il lui fait subir des « actes », que par pudeur elle ne décrit pas dans les détails. Puis ensuite, dans un deuxième temps, elle se rebelle et lui demande d'arrêter. Et c'est à ce moment qu'il l'a gifle et la violente. Autrement dit, tout laisse entendre qu'elle a d'abord accepté une relation sexuelle avec lui même si elle a jugé cette relation sexuelle « agressive », puis qu'ensuite seulement elle a décidé d'y mettre fin. Par contre, sur le plateau télé, elle raconte qu'immédiatement après le premier baiser elle s'est retrouvée sous lui et lui a dit d'arrêter. Il semblerait donc que la relation sexuelle n'avait même pas commencé que déjà elle lui disait de ne pas aller plus loin. Bref, les deux versions ne semblent pas raconter la même histoire.
Au final, la version télé est énoncée de telle manière qu'on a l'impression qu'elle rentre dans la chambre, que Tariq Ramadan va se laver les mains après lui avoir offert une pâtisserie orientale, puis en revenant de la salle de bain l'embrasse fougueusement, puis quelques secondes après commence à la violer. Le nouvel énoncé de Henda Ayri donne à son récit un effet de grande brutalité du passage à l'acte.
En fait, son récit se rapproche maintenant de celui de Christelle, une autre plaignante qui raconte elle aussi que Tariq Ramadan s'est jeté sur elle quelques minutes après son arrivée dans la chambre d'hôtel : « Il a donné un coup de pied dans mes béquilles et s’est jeté sur moi en disant : « Toi, tu m’as fait attendre, tu vas prendre cher ! » » (letemps.ch)
Le mode opératoire devient quasiment le même : Tariq Ramadan se jette sur ses victimes.
La version du livre laisse pourtant entendre qu'elle a dans un premier temps accepté la relation sexuelle avec lui, puis qu'elle lui a demandé d'arrêter.
Pas de conclusion hâtive
Même si les deux versions racontées par Henda Ayari ne semblent pas tout à fait identiques, cela ne prouve pas que cette personne aurait menti et que Tariq Ramadan ne l'aurait pas violée.
Tout d'abord, il est possible de plaider que, éventuellement, Henda Ayari n'a pas décrit correctement le viol dans le livre. Peut-être s'agit-il d'une version romancée, ou tout simplement mal rédigée.
Mais admettons que la version du livre soit correctement rédigée.
On peut alors juger que Henda Ayari, sur un plateau télé qui n'invite pas à la confidence très intime, n'avait certainement pas envie de s'étaler sur certains sentiments éventuellement positifs envers Tariq Ramadan. Cela pourrait être la raison pour laquelle elle omet de parler du moment de « rêve » qu'elle partage avec Ramadan au début de la relation physique avec lui.
Et puis, il y a peut-être aussi le fait que la journaliste était là pour maintenir le cap vers un discours simple, sans nuances, facile à comprendre par tous les télé-spectateurs. Un petit détail m'a frappé lors de cette interview sur BFM TV. Au début, Henda Ayari raconte à la journaliste ce qui s'est passé avant la nuit du viol présumé. Elle déclare que pour elle le rendez-vous avec Ramadan à Paris était « extrêmement important » et explique pourquoi : « je voulais lui poser des questions sur la religion et puis je pensais aussi, je me suis dit : il s'intéresse à moi. Peut-être qu'on pourra devenir plus proche ». C'est intrigant, on dirait que, dans la lancée, elle pourrait déclarer en direct des sentiments pour cet homme qu'elle admirait tant. Mais la journaliste l'interromp alors, de façon un peu sèche, en déclarant : « cela s'est transformé en cauchemar », ne laissant à Henda Ayari guère de possibilité d'en dire plus à ce sujet (à 7minutes20s) (BFM TV).
Il ne faut donc surtout pas sous-estimer la pression de l'environnement extérieur qui a pu conduire Henda Ayari à faire quelques raccourcis dans sa présentation des faits lors de son passage télé.
Il sera intéressant de voir si elle présentera lors du procès la version du livre ou la version télé. Tariq Ramadan lui-a-t-il murmuré des douces paroles après l'avoir embrassée, a-t-elle vécu un moment de rêve avant le viol présumé ?
Quoiqu'il en soit, ces différences de version posent tout de même question : est-il acceptable qu'une victime d'un viol vienne présenter sa version des faits sur un plateau télé, alors que les conditions même de l'exercice tendent à simplifier la déclaration qu'elle est amenée à y faire ?
Comme le prouve l'incroyable enquête du journal Le Monde (lire ici la surprenante enquête du journal Le Monde), l'affaire Tariq Ramadan est terriblement complexe. Dans ce cas, est-il judicieux d'en présenter une version simpliste ? Une affaire judiciaire ne devrait-elle pas se dérouler uniquement dans des conditions sérieuses, celles d'un procès en justice ?
Claude Gracée
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