Heureux enfants avec couteaux dans les mains
En trois jours à peine, quatre fois le sang a perlé sur ma peau. L’une des blessures quoi que restant très superficielle a nécessité un petit pansement. Hubert un de mes compagnons de stage, entrant dans l’exercice du soin à l’autre, s’est transformé en infirmier. Pourtant cet outil, le couteau, cela fait bien plus de 50 ans que je le connais, l’utilise régulièrement et assez bien même. Mais quatre fois il y a eu le petit manque d’attention qui a fait que… le petit défaut de concentration, du à la fatigue ou a autre chose et voilà la lame qui rentre dans la chair. Cela ne pardonne pas.
Faire sa cabane
Il y a eu cette première prise de conscience à propos des cabanes. Cela semblait tellement anodin, quand on est enfant de faire une cabane dans les bois, c’est un peu comme grimper aux arbres. Cela nous vient comme ça, comme instinctivement. Sauf que maintenant les chercheurs en pédagogie les plus en pointe le disent, les enfants ont besoin du jeu libre pour se construire. Quand ils construisent une cabane, de façon tout à fait inconsciente, ils font ensemble. Les enfants agissent concrètement, ils créent collectivement et à tout moment s’accordent les uns avec les autres. Ils se donnent des règles, ils montent des plans, ils sont dans la créativité collective, ils font équipe, ils modifient la réalité, ils changent leur environnement, ils sont dans quoi l’humanité se fait. Pour cela il faut la forêt, il faut les bois à disposition. C’est important pour les enfants de faire des cabanes dans les bois, c’est important pour nous.
Intérêt du risque
C’est comme quand ils grimpent aux arbres. Ils touchent la matière, la rencontre, il l’examine, en font connaissance. Très vite ils comprennent le danger que représente une branche morte qui ne supportera pas leurs poids. Posant le pied dessus ils pourraient chuter et se faire très mal. Ils prennent des risques et comme disait Alexander S. Neill le fondateur de la célèbre école de Summerhill en Angleterre, ils deviennent des hommes et des femmes : « Mais nous n’avons pas de loi en ce qui concerne grimper aux arbres. Grimper aux arbres fait partie de l’apprentissage de la vie, et défendre toute entreprise dangereuse consisterait à faire un lâche d’un enfant. ». Dans la nature les enfants apprennent vite à mesurer les risques, cela leur sera utile toute leur vie.
Donner leur des couteaux
La prise de conscience de ces derniers jours est venue lors d’un stage de sculpture sur bois vert. On y fabriquait des couteaux à beurre, des spatules, des cuillères… Nous avons utilisé la hache, la scie, la plane, le couteau… Il régnait dans ce groupe de plus de quarante personnes une sérénité étrange, le climat était franchement paisible. Un climat, une ambiance faite de l’addition de toutes ces hautes attentions données par chacun et chacune à un petit morceau de bois. Ambiance apaisée fruit des concentrations individuelle, devenant concentration collective. Le bruit et l’agitation ne sont pas de mise quand il s’agit d’approcher une lame très affutée de son doigt. Et collectivement on se prend au jeu, le moment du repas vient toujours trop vite, on n’a pas fini… La communauté humaine fabrique ses outils et ustensiles. C’est bon pour les enfants d’utiliser des couteaux. Cela les responsabilise, ça les aide à grandir.
Très précieux en quelques minutes
Quel meilleur exercice pédagogique ? A la fin il y aura un résultat. Il sera tangible. Un outil sera sorti de mes mains. C’est impressionnant comment un petit morceau de bois quelconque peut en quelques minutes devenir un objet précieux à nos yeux. Ces trois petites têtes sculptées, cette boule et ces trois rainures, cela suffit. Ce morceau de bois va maintenant rester près de moi. Il est devenu précieux, unique… il marque comme un cairn sur le chemin de mon itinéraire de vie, il est irremplaçable. On est d’un coup si loin de tout ce qu’à peine utilisé l’on jette, si loin de l’idée de poubelle. On a concrètement de son couteau, écorné le principe de « société de consommation » qui aussi surement que le glyphosate détruit la vie.
Enthousiasme
Etonnant de voir ces adultes de tous les âges, s’enthousiasmer et s’affairer avec entrain autour de leur petit morceau de bois. L’enthousiasme, ce plus sûr signe de jeunesse comme dit si bien André Stern. On le rencontre à tout moment ici. Les yeux sont gourmands d’un nouvel enseignement, les respirations s’arrêtent afin d’atteindre le plus haut point de la concentration. En soi la paix s’installe tant nous sommes loin du bruit et de la fureur de la ville. Tant le mental se met à la haute attention au diapason du corps. Ici l’on retrouve la stabilité afin c’est très simple de comprendre, de façonner avec précision et de ne pas se couper. Certaines on m’a dit ont vu de leurs yeux vu tomber des doigts par la hache sectionnés.
Retrouver le sauvage pour renouer avec la sincérité
Le danger est là, il existe. Dans la nature on risque d’avoir froid, on risque de s’égarer, on risque l’insolation, on risque de choper une tique, on risque de remplir sa botte d’eau, on risque de faire une mauvaise chute, autour du feu on risque de se brûler… mais ça ce n’est rien, tout ceci ne pèse rien quand on réfléchit un peu à tout ce que nous apporte la confrontation au réel. Voilà que d’un coup ce sont toutes les illusions qui volent en éclats, voilà que les suppositions ne servent plus à rien, voilà qu’il n’y a plus de mensonge, ce qui détruit la vie aussi sûrement que le glyphosate, il n’y a plus d’hypocrisie. Comme dit Neill encore lui : « La chose la plus frappante à Summerhill, c’est la sincérité de ses élèves. La question de la sincérité dans la vie et vis-à-vis de la vie est primordiale. C’est ce qu’il y a de plus primordiale au monde. » Il rejoint en cela Montesquieu pour qui la sincérité est la mère de toutes les vertus. « Dans la vie sauvage repose la sauvegarde du monde » dit Henry David Thoreau dans Walden, ou la vie dans les bois ou ailleurs, c’est juste ! Et le sauvage ne triche pas, le double langage n’existe pas dans la nature. Il y a des règles intangibles, on s’y soumet ou l’on se fait mal. « Comme j’étais tout le temps dans les bois quand j’étais petite, on me disait que le Serpent me piquerait, que je cueillerais une fleur empoisonnée ou que les elfes m’enlèveraient, mais dans mes promenades je n’ai rencontré que des anges, qui étaient beaucoup plus intimidés par moi que moi par eux, aussi je n’ai pas cette hardiesse dans la fraude que beaucoup pratique. » Emily Dickinson.
Permis couteau
Les humains sont aujourd’hui si éloignés de la nature sauvage qu’il faut pour les en rapprocher une progressivité remplie de lenteur. Les animateurs nature qui ont inventé l’idée du permis couteau devraient séance tenante recevoir les palmes académiques. J’ai mémoire d’enfants aux doigts coupés gravement avec un couteau. L’auteur de ces lignes à lui-même faillit se sectionner l’index gauche pour avoir pris la branche de sureau qu’il coupait, pour faire une sarbacane, en-dessous du point de coupe au lieu de la prendre au-dessus, c’est si évident… Il s’en est fallu d’un cheveu qu’il n’y ait plus de doigt, il a fallu en urgence aller se faire recoudre… il n’avait pas passé le permis couteau.
Toutes choses profondément humaines
Il y a dans « faire sa cabane » avec ses copains quelque chose de faire son nid à soi, comme tous les soirs le font les chimpanzés, il y a un peu du donner place au primate qui est en nous, qui déjà très tôt dans sa croissance souhaite s’émanciper de l’habitat de ses parents. Quel grand jour celui où pour la première fois on s’endort sous un autre toit que celui de ses parents. C’est un jour où l’on a franchi une étape, un jour où l’on a grandi. Grimper dans l’arbre c’est renouer avec nos très anciennes origines, c’est renouer avec la source. Dans « faire son bâton », son propulseur, son arc, son bol ou sa cuillère, il y a fabriquer son outil ou son ustensile, là encore, quoi de plus humain ? Quoi de plus profondément et réellement humain ? Dans ces pratiques des plus simples nous apprenons à renouer avec la nature, nous comblons l’immense fossé qui se creuse un peu plus chaque jour entre les humains et leur milieu de vie, nous rapprochons nature et culture, ces deux là qui jamais n’auraient du être séparés.
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