Histoire de la femme
« Dans aucune espèce vivante les mâles ne tuent les femelles… sauf chez les hommes. Battre et tuer sa femme n’est donc pas un acte bestial, mais bien l’exception du mâle humain » Françoise Héritier anthropologue et ethnologue (1933-2017).
« Le féminisme n’a jamais tué personne, mais le machisme tue tous les jours. » Benoîte Groult.
Pourquoi depuis les temps lointains, toutes les religions n'ont-elles cessé de rabaisser les femmes et se sont-elles acharnées à leur ôter toute liberté ? Pourquoi les femmes ont-elles été cantonnées dans le seul rôle de la maternité ? Pour les hommes, la nature a fait des femmes, des ventres.
« Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… »
Sont-ce les femmes qui vécurent heureuses en ayant eu beaucoup d’enfants ? Quelle tromperie ! Dans des temps encore proches, c’était l’homme seul, qui en tirait de la fierté et pouvait ainsi montrer à tous, sa virilité.
Les hommes (les mâles), ont usurpé le pouvoir que la nature justement, avait donné aux femmes. Ils ont toujours peur qu'elles arrivent à le reconquérir. Parce qu'à l’origine, la société humaine comme la plupart des sociétés animales, était matrilinéaire. La seule divinité, la divinité primordiale, c’était la Grande Déesse.
Les déesses Mères sont les manifestations les plus anciennes de la divinité selon l’historien des religions Edwin Oliver James (1888-1972). La Grande Mère c’est la fondatrice permanente, hors du temps, en quelque sorte immortelle.
« Bien avant la naissance des Dieux, l’humanité était placée sous la protection de la Grande Mère, créatrice des mondes, des éléments et des créatures qui la peuplaient ». Françoise Gange, Avant les Dieux, la Mère universelle (Les Dieux menteurs).
Il fut un temps, avant l’avènement du patriarcat, il y a huit à dix mille ans, le sexe féminin était sacralisé, parce qu’il était "la porte du divin". Le pouvoir de donner la vie était un mystère absolu au sein des sociétés primitives, les premiers hommes n’ayant pas conscience de leur rôle de pères dans la procréation. Lorsque les mères, sans doute avant les pères, se rendirent compte du rôle du mâle dans la procréation, elles continuèrent à s’accoupler avec différents mâles, afin que ceux-ci ne sachent jamais de quel enfant ils étaient le père. Le mot de "père" n’existait pas. Ainsi, l’économie domestique de type communiste était largement répandue dans les temps primitifs.
D’ailleurs, dans la nature, l’importance du père est réduite, et chez les humains, son rôle ne dépend que d’une convention sociale.
La femme n'avait pas besoin d’un Dieu lorsqu'elle gérait l'espèce humaine. Elle est la matrice de l'espèce et la nature n'a jamais à s’en plaindre. La matrilinéarité, qui n’est pas un système de compétition pour le pouvoir, n’a pas besoin d’une "Révélation" pour justifier son rôle, puisqu’il est légitimé par la nature elle-même ; il s’agit d’une organisation sociale issue du rôle naturel de régénération et de nourriture, donné à la mère.
Les premières représentations humaines en argile, en os ou en pierre représentent la divinité avec des caractères féminins hypertrophiés, parce qu’elle était révérée comme source unique de vie, comme les "Vénus de Laussel" et celle de Willendorf qui ont 35000 ans.
Alors que les attributs masculins ne sont presque jamais représentés.
Jusqu’aux recherches de Marija Gimbutas (Le langage de la déesse, 2006), les anthropologues pensaient ne rien pouvoir tirer des dessins "géométriques" qui ornaient les poteries, les statues et les cavernes. Or ces derniers représentent pour la plupart la Déesse Mère. Ces dessins, associations de V ou de chevrons représentant des oiseaux aquatiques, symboles de la source, de la rivière, de l’eau, de l’humidité, de la vulve, sont autant de métaphores de la vie, et le serpent celle de l’énergie vitale, de la force créatrice de la nature, de la régénération et non du "Mal". Tous ces emblèmes de la déesse se retrouvent de –30000 ans à –6000ans. La religion centrée sur la déesse a donc existé bien plus longtemps que les religions indo-européennes et chrétiennes.
Cette mythologie des premiers âges reflète une structure de pensée, un ordre de l’univers, une relation entre la déesse et la nature. Elle est la maîtresse des animaux sauvages, la gardienne des plantes, la guérisseuse et la Reine de la Montagne. « C’est la Grande Mère, qui de ses entrailles, donne naissance à toute chose » Marija Gimbutas.
Par la naissance, la mort et le renouveau, cette mythologie révèle une représentation cyclique du temps et non linéaire comme dans les religions du Livre.
Dans la Bible, le temps est en effet, représenté comme une "flèche" dressée du Commencement, la Création, jusqu’au Jugement dernier, avec l’avènement du Messie ou du Royaume de Dieu.
La Déesse Mère fut également à l’origine des arts : le filage et le tissage, mais aussi la flûte, la charrue, le joug pour les bœufs, et même le bateau. Le plus ancien "orchestre", daté de –18000 ans, avec des instruments fabriqués en os de mammouth gravés de symboles de la déesse, fut découvert en 1975 en Ukraine (Le langage de la déesse, page 103)
« Remarquable absence d’images de guerre et de domination masculine ; l’art centré sur la déesse, révèle un système social équilibré, ni patriarcal, ni matriarcal. » Marija Gimbutas
Les recherches de l’archéologue sont contestées par quelques-uns de ses collègues. Des contestations très polémiques, qui sortent de leur contexte les réflexions de Marija Gimbutas, parce que ses conclusions portent un coup irrémédiable aux idéologies patriarcales issues du monothéisme biblique qui conditionne encore l’Occident et l’Orient.
Le mâle humain dès qu'il comprend son rôle de géniteur, entrevoit dans ses fils sa propre continuation par-delà la mort. C’est à ce moment-là qu’il prend le pouvoir. Il s'est donc approprié la femme, pour assurer sa descendance personnelle. Il est devenu le Père. Il a usurpé le rôle dévolu à la femme, il a ôté le "Principe féminin" de sa vision du monde, et il a donc aussitôt abusé de son nouveau pouvoir. Il a d'abord fait de la femme sa servante afin qu'elle ne lui fasse plus d'ombre. Il s’est surtout approprié la sexualité de la femme, afin d’avoir l’assurance d’être bien le père de ses enfants.
Bien avant l’épisode de Moïse dans la Bible, c’est Sargon (XXIII siècle av J.- C.), qui va inaugurer l’ordre patriarcal, en s’arrogeant le pouvoir et en descendant la grande prêtresse de son piédestal pour la mettre à son service. Il était lui-même né d’une grande prêtresse et d’un père inconnu. Il fut abandonné dans une corbeille enduite de bitume et déposée dans l’Euphrate (un symbole récurrent dans les mythologies orientales et qui se retrouve bien sûr, dans la Bible avec Moïse).
« À dater de Moïse les lois lévites exigent que toute femme soit vierge jusqu’au mariage sous peine de lapidation, et qu’une fois mariée, elle soit fidèle également sous peine de mort. » Françoise Gange
« Le sexe féminin se trouve occulté, vilipendé avec l’avènement des religions monothéistes… Cela se traduit par des représentations s’accordant sur l’aspect sale mais surtout bestial de la "nature" de la femme qu’il s’agit de dompter… » Elva Zabunyan, Cachez ce sexe que je ne saurais voir.
« Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordé sur elles » Le Coran, sourate IV, verset 34.
« La femme est à l’origine du péché et c’est à cause d’elle que tous nous mourons ». Le Livre de l’Ecclésiastique (La Bible).
Puis l’homme s'est mis à détruire le monde. Parce que le mâle n’est pas fait pour la paix.
C’est en effet à partir de ce moment que l’homme invente la propriété privée afin de la transmettre à ses fils (et non à ses filles), avec comme conséquence, l’institution de la guerre permanente.
« D’où viennent les guerres et les effusions de sang, d’où viennent les disputes et les conflits, d’où viennent les désaccords et les divisions ? Tout cela vient de l’appropriation, de la propriété ». Peter Riedemann (1553).
« La femme hait la mort. Il lui faut vivre pour accomplir sa destinée » René Quinton
On passe dès lors d’une culture de la Vie à une culture de la Mort.
« Se met alors en place la culture belliqueuse que nous connaissons, focalisée sur l’exploitation sans merci tant de la nature que des hommes, et sur l’accumulation des richesses et des biens matériels » Françoise Gange, Avant les Dieux, la Mère universelle (Les Dieux menteurs)
Ce fut le commencement de l’ère du « Mensonge fondamental », qui façonna l’incohérence de nos sociétés.
Que de crimes et de souffrances à partir d’un vain fantasme, le leurre de sa perpétuation à travers sa descendance. Se soucier de son immortalité est quasiment exclusivement masculin.
Si la femme, à travers la Déesse Mère est la source de la vie, l’homme dans cette recherche de l’immortalité est source de mort. Achille, symbole même du "Héros", ne craint pas la mort parce que pour lui, la notoriété et le souvenir de son nom par-delà les siècles, sont bien plus importants que sa vie.
Le mental masculin bien loin de la sagesse stoïcienne, croit toujours pouvoir agir, même lorsque c’est hors de raison ; c’est pourquoi il a inventé les armes, et c’est le plus souvent, une idéologie qui les met en action.
L’ancienne histoire est effacée par les nouveaux Maîtres qui, à partir de leur prise de pouvoir écrivent la leur : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre (Genèse, 1). Avant eux il n’y aurait eu que le Chaos, le Tohu-bohu. Ils inversent les valeurs, s’arrogeant la Création pour mieux la dominer.
La Bible exprime très bien ce " Renversement des Valeurs". Alors que le serpent est le symbole de la sagesse de la Mère, la Bible va faire d’Eve l’alliée de Satan, du Mal.
Ce n’est pas grâce au Serpent, (symbole de la Déesse Mère dans toutes les cultures), mais grâce à Yahvé, que l’homme, prenant « connaissance » de son rôle dans la procréation, sort alors de sa torpeur et prend conscience que la Déesse Mère est une "superstition", puisque sans le mâle la femelle est stérile. Il démonise alors le symbole de La Mère, le Serpent, ainsi que la femme en général.
Les matriarchies étaient des sociétés de réciprocité ; elles ne permettaient pas l’acquisition d’un pouvoir politique ou l’avènement d’une classe dirigeante. Elles vivaient en communautés avec des rituels de redistribution qui n’excluaient personne. L’existence humaine n’y était pas séparée des cycles de la nature et il n’y avait donc pas comme dans les sociétés patriarcales de dualisme entre Nature et Culture. Il ne pouvait donc pas y avoir de conflit, de lutte, entre la Nature et la Culture, donc d’exploitation ou de destruction de la Nature.
Le mépris généralisé de la nature, caractéristique des cultures dominantes, est le résultat de la désacralisation du "Principe féminin". La nature soumise, pillée et exploitée est niée en tant que réalité vivante et mise à mort par tous les patriarcats du monde.
Même la Bible recèle le souvenir de ces temps de paix sous l’égide de la Déesse Mère. Jérémie interpelle les Judéens résidant en Egypte parce qu’ils rendent hommage à Astarté, la Reine du Ciel, alors qu’Yahvé a interdit de rendre un culte à d’autres dieux que Lui. Mais les Judéens répondirent à Jérémie :
« Ce que tu as dit au nom du seigneur, nous ne l’acceptons pas. De toute façon nous allons remplir nos promesses de brûler de l’encens à la Reine du Ciel et de lui verser des libations, comme nous le faisions, nous et nos pères, nos rois et nos chefs dans les villes de Juda et de Jérusalem. Nous avions alors du pain à satiété, nous étions dans l’abondance et nous ne savions pas ce que c’était que le malheur. Or depuis que nous avons cessé d’offrir l’encens à la Reine du Ciel et de lui verser des libations, [c’est-à-dire depuis que nous sommes soumis à Iahvé], tout nous manque, et nous périssons par le glaive et la famine ». Jérémie, 44, 16 à 18
Si l’on tient compte de ce "Renversement des Valeurs", la chute biblique, le péché originel, c’est bien la Chute de la Déesse Mère.
Le langage à l’époque de la Déesse, était un « signifiant transcendantal », une langue de l’immédiateté, une langue intuitive, sentie, comprise par intuition, sans spéculation, ne comportant aucune ambiguïté entre signifiant et signifié. Comme la musique elle se refusait sans doute à toute paraphrase, se situant au-delà du bien et du mal, du vrai et du faux. Une langue ne séparant pas « l’esprit et la matière, l’âme et le corps, la pensée et le sentiment, l’intellect et l’intuition, la raison et l’instinct » Françoise Gange.
Dans l’Évangile de Jean (1,1) il est précisé : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu ».
Le pouvoir des « dieux usurpateurs » s’exprime aussi par la parole, par le raisonnement, afin de donner une explication, une justification à ce renversement des valeurs. C’est la parole du pouvoir, la parole du dominant. C’est le commencement en effet de l’ère du verbiage, c’est-à-dire, de la propagande.
« Tout langage est langage du mâle, car le sujet parlant est masculin. La femme n’a pu et ne peut s’y inscrire, même si elle l’a toujours tenté, encore et encore […] Et si la femme veut s’inscrire dans la langue, elle doit adopter un Moi masculin… je ne peux pas changer cet état de chose. En revanche, ce que je peux, c’est contourner cette langue masculine dominante en ayant recours à l’ironie. Mais je ne puis pas m’en débarrasser, elle est la langue des dominants, et ceux-ci ne sont assurément pas les femmes. » Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature 2004. Interview "Le Monde" du 19 janvier 2007.
« Il est probable que dans la vie comme dans l’Art, les valeurs ne sont pas pour une femme ce qu’elles sont pour un homme.
Quand une femme se met à écrire un roman, elle constate sans cesse qu’elle a envie de changer les valeurs établies – rendre sérieux ce qui semble insignifiant à un homme, rendre quelconque ce qui lui paraît important. Et naturellement, le critique l’en blâmera ; car le critique du sexe opposé sera sincèrement étonné, embarrassé devant cette tentative pour changer l’échelle courante des valeurs ; il verra là, non simplement une vue différente, mais une vue faible ou banale ou sentimentale, parce qu’elle diffère de la sienne » Virginia Woolf, L’Art du roman.
Le système patriarcal, dominateur, conquérant, assoiffé de pouvoir et de biens matériels, a façonné un système de pensée qui découpe, sépare, s’attache au quantitatif, dissèque une partie de la réalité en laissant de côté le reste du monde. Alors que l’esprit féminin, à l’instar du "taoïsme", tient mieux compte de l’interdépendance entre toutes les choses, de l’ensemble des éléments du réel, dans une globalisation de la pensée.
Encore aujourd’hui, « … des femmes doivent prendre des risques pour remettre en question les schémas établis par la société des hommes » Laetitia Casta, Version fémina du 15 janvier 2024.
L’homme (le mâle), est par nature agressif, sa sexualité le porte à dominer, à combattre ; il n’est jamais satisfait, sans cesse à la poursuite de nouveaux combats ou d’absolu dérisoire. Ses gènes boursouflent son ego afin qu’il se donne le plus de mal possible pour chercher, pénétrer, engrosser. Toutes les armes qu’il a inventées de la sagaie à la bombe nucléaire ne sont que des avatars de son sexe. Une société régentée par la femme ne peut-être une société agressive. De par sa fonction biologique, la femme est d’abord réceptive, elle ne peut être menée par l’agressivité, sauf pour défendre sa progéniture.
Après des millénaires de domination masculine, certaines femmes cherchant à se libérer peuvent paraître aussi agressives que les hommes, mais c’est une conséquence de l’état de la société, qui les a en quelque sorte masculinisées. Même si certaines féministes refusent l’évidence, Woman, vient de womb et de man : homme doté d’un utérus, ce qui détermine chez la femme patience, attention, compassion, pragmatisme, équilibre.
Même si deux siècles avant Jésus Christ, en Chine la société est également dirigée par les hommes, la pensée chinoise, repose avec le "taoïsme", sur la croyance en une double force cosmique à la fois féminine et masculine (le yin et le yang). Au temps des Han (200av J.-C.), la tradition attribuait la conception du Yin et du Yang à Hi-ho, la Mère du Soleil. Le sang menstruel, est appelé « le sang nourricier » dans le tantrisme alors qu’il est impur dans les religions monothéistes (Le Lévitique XV, 19), et Le Coran (II, 222), qui représentent la femme comme le Mal incarné. Dans le taoïsme comme dans le tantrisme, l’homme et la femme peuvent atteindre par la sexualité, l’extase, c’est à dire une sorte de transcendance personnelle. Dans le Tantra le féminin est même valorisé et le principe masculin repoussé au second plan ; un féminisme mystique, subversif et transgressif par rapport aux conventions sociales.
D’autre part dans la plupart des religions polythéistes, babylonienne, égyptiennes ou celtiques par exemple, les femmes participaient à la vie religieuse, donc à la vie sociale, et donc à la politique.
Alors que les religions monothéistes, créées par les mâles, ont imposé aux femmes un statut inférieur : voici ce que dit Paul : « Comme dans toutes les Eglises, que les femmes se taisent dans les assemblées : elles n’ont pas le droit d’y parler ». 1er Épître aux Corinthiens, verset 34.
« Mais toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à sa tête ; car c'est exactement comme si elle était rasée. Si la femme ne porte pas de voile, qu'elle se fasse tondre ! Mais si c'est une honte pour une femme d'être tondue ou rasée, qu'elle porte un voile ! » Corinthiens, 11 : 5-6.
Selon la cosmologie d’une peuplade de Patagonie aujourd’hui disparue, les Selk’nam, le monde était autrefois gouverné par les femmes. Un ordre matriarcal qui s’effondra le jour où des hommes massacrèrent toutes celles qui détenaient l’autorité et instaurèrent la soumission des survivantes.
Ruth Shady, une archéologue péruvienne a mis au jour en 1994, des ruines de la ville de Caral dont l’histoire remonte à 5000 ans avant notre ère, une civilisation qui a connu neuf cents ans sans aucune guerre : sans aucun doute elle devait être dirigée par des femmes.
Dans Avant les Dieux, la Mère universelle (Les Dieux menteurs), Françoise Gange relève que l’une des caractéristiques du patriarcat est la frénésie de la fécondité et que le "nom", est une véritable obsession et l’extinction de la lignée, une véritable calamité. Pour beaucoup, c’est encore un phantasme bien vivace.
À Karakoum, dans le Turkménistan, une civilisation très raffinée et non guerrière a été mise au jour dans les années soixante-dix. Les sépultures ne révélèrent aucune arme mais beaucoup d’objets d’art mettant en valeur la beauté. Il s’agissait bien sûr d’une société fondée sur la matrilinéarité. Ses habitants vivaient en paix et la prospérité régnait ; leur agriculture était florissante grâce à une irrigation très poussée. Il semble que cette civilisation ait disparu vers 3000 av. J-C, après la prise du pouvoir par celui qui serait le premier roi de l’humanité.
En Nubie (Soudan), les Reines Noires ou Candaces (sœurs), ont régné durant sept siècles, à partir du 3e siècle av. J –C.
Au centre de la famille, les femmes possédaient les biens et choisissaient leur époux. Elles régnaient sur le foyer et le troupeau, les hommes étant chargés des travaux pénibles. Ce qui, comme il est dit plus haut, devait calmer leur agressivité naturelle. Les Reines Noires ont vécu en paix avec les pharaons. Les deux pays ont entretenu des relations diplomatiques et commerciales, jusqu’à ce que l’Egypte, sous les Hyksos, (des Eurasiatiques qui ont envahi une grande partie de l’Egypte entre 1730 et 1560 av. J.-C.), décide d’annexer la Nubie qui se défendit avec une force et une volonté qui surprit les assaillants (Zacharie Mayani, Les Hyksos et le monde de la Bible).
Encore aujourd’hui, des tribus comme les Mosuos en Chine ou d’autres en Amazonie, continuent à vivre en harmonie avec la nature, et hommes et femmes prennent les décisions en commun. Pour ces gens-là, la terre, l’eau, l’air, la forêt, n’appartiennent à personne.
Pendant longtemps il a été difficile de présenter toutes les traditions qui montraient le statut privilégié de la femme, parce que tous les chercheurs, baignant dans l’idéologie du "progrès" situaient l’épisode du matriarcat au milieu de la chaîne qui menait de la promiscuité préhistorique, au stade ultime de l’évolution : le patriarcat.
« Non, les femmes préhistoriques ne passaient pas leur temps à balayer la grotte […] Elles poursuivaient les grands mammifères, fabriquaient des outils, et exploitaient des formes d’expression symbolique ». Marylène Patou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme. Une histoire de l’invisibilité des femmes.
Seul au XIX° siècle, Paul Lafargue avait bien compris le rôle nuisible de l’avènement du patriarcat et dans la revue "Le Socialiste" (septembre 1886) il dresse un panorama éloquent des mœurs et traditions de nombreuses sociétés primitives ne connaissant pas la famille paternelle. Des Naïrs en Inde aux Iroquois en Amérique du Nord, en passant par les Touaregs en Afrique, ce sont les femmes qui gouvernent la maison et qui ont plusieurs hommes afin qu’aucun d’eux ne puisse se revendiquer comme père. Il n’y a pas de pères, il n’y a que des oncles, les frères qui ont bien évidemment le même sang que la mère. Le clan, le nom, c’est celui de la mère.
Était-il inéluctable de quitter la liberté des chasseurs-cueilleurs pour atteindre l’abondance matérielle par la domination des uns sur les autres et sur la nature ?
C’est à cela que répondent entre autres David Graeber et David Vengrow, un anthropologue et un philosophe dans « Au commencement était … » (2021), « une anti-histoire », démontrant que les schémas classiques d’organisation sociale ne suivent pas des lois inéluctables d’enchaînement de causes et d’effets.
Le système de domination actuel ne serait qu’un accident de l’Histoire. Même conclusion pour l’anthropologue français Pascal Picq ou les philosophes Baptiste Morizot et Philippe Descola pour qui des sociétés anciennes n’avaient pas d’Etat, parce qu’elles avaient mis en place des mécanismes visant à empêcher l’émergence de pouvoirs hiérarchiques et donc une domination. Certes, elles n’avaient pas inventé l’énergie nucléaire, les voyages spatiaux, et surtout, ne comptaient pas des milliards d’individus. Autrement dit, d’autres façons d’organisation sociale sont possibles et envisageables.
L’idéologie patriarcale en imposant au masculin d’être dominant, comme il a imposé au féminin d’être soumis, a faussé tous les rapports humains, et le premier, l’amour entre deux êtres. L’amour n’est devenu dans les sociétés patriarcales que l’instrument de l’assise de la lignée du mâle. Le déséquilibre artificiel entre les deux moitiés de l’humain ne pouvait qu’amener le déséquilibre de l’humanité toute entière, une humanité en pleine névrose.
« Le monde patriarcal a pris ses assises non seulement sur l’écrasement de la femme, mais aussi sur un véritable dressage de l’homme, qui a dû se séparer toujours plus de ses composantes féminines, sensibilité, intuition, compassion, spontanéité, pour tenter de devenir ce guerrier, ce chef sans peur et sans reproche de la "deuxième histoire" de l’humanité […] Alors que la femme, exclue des rôles sociaux majeurs (intellectuels, politiques, religieux) a été transformée en "corps sans âme", caricaturale machine à séduire et à engendrer, l’homme rivé au rôle épuisant de chef sempiternel est devenu une non moins caricaturale machine à dominer et à vaincre en toutes occasions ». Françoise Gange, ibid.
Enfin, est-il utile de rappeler qu’avec l’avènement de l’omniprésence de la Marchandise et de la propagande publicitaire, le corps de la femme, même libéré par l’évolution des mœurs et de la loi, est à encore transformée en objet ?
« Le corps dévoilé, offert, instrumentalisé des femmes est à l’exact contrepoids de leur durable absence sociale et politique. La surreprésentation du corps féminin manifeste de façon violente l’organisation de son éviction du corps politique ». Marie-Joseph Bertini, Cachez ce sein que je ne saurais voir.
« La femme est l’avenir de l'Homme » Louis Aragon. Cela semble une gageure ; de toute façon ce sera long et non sans heurts, bien sûr, mais partout où c’est possible, en douceur mais fermement, les femmes devront participer pleinement au pouvoir. L’être humain doit changer totalement sa façon de gérer son espèce et la terre sur laquelle il vit, sinon il va à sa perte. Déjà pour André Breton, dans Le manifeste du Surréalisme, il était urgent de "féminiser" la société pour la rendre moins violente et moins portée sur la guerre.
Dans les pays démocratiques, les partis ou certaines entreprises tentent de faire une place plus importante au féminin, mais cela consiste souvent à donner aux femmes le même rôle qu’aux hommes, à les inciter à montrer la même capacité à entrer en compétition, à faire preuve d’esprit de conquête. Alors que le principe féminin qu’il est urgent de réintégrer dans l’esprit des décideurs, est cette composante féminine de conciliation, d’organisation sociale, et surtout de « responsabilité », qui a été démonisée et refoulée depuis cinq mille ans.
« Je montrerai [mes seins] dès que les hommes commenceront à s’habiller avec une sorte de pantalon qui montre leur [pénis] ».
« Chaque femme a le droit de décider si elle veut et quand elle veut un enfant ». Dr Madeleine Pelletier (1874-1939).
« À l’évidence, le progrès ne consiste pas à mettre sur pied un pouvoir "mixte", intégrant des femmes qui agiraient et penseraient comme les hommes, mais bien à permettre à l’autre moitié de nous-mêmes de s’exprimer […] L’humanité, réconciliée avec ses deux moitiés, masculine et féminine, doit pouvoir avancer vers un nouvel âge du monde, dans le sens d’une sacralité retrouvée. » Françoise Gange, ibid.
« La femme ne doit devenir l'égale de personne. Elle doit s'appartenir. Elle doit se libérer de l'image que lui impose une société dominée par les valeurs masculines. Elle doit surtout ne pas faire de l'homme le modèle de sa libération. C'est ainsi qu'elle va créer une société nouvelle ». Alan Watts (1915-1973), Amour et connaissance.
Les femmes doivent reprendre en main les affaires de l’humanité et faire les choix inverses, un changement à cent-quatre-vingt degrés.
Les femmes doivent ré-instaurer la solidarité entre les mères autour et pour les enfants. Ré-instaurer également, répétons-le, le sens des responsabilités inhérent à la mère et qui le plus souvent fait défaut au père. Entraide (solidarité) et responsabilité, sont les bases de la seule structure sociale valable. Le sentiment maternel est le seul sentiment susceptible d’être exempt d’hypocrisie, d’égoïsme, de calcul ou de duplicité, et donc capable de faire régner la justice.
Les banlieues sinistrées sont de véritables poudrières entretenues depuis de longues années par la démagogie des hommes politiques. Les seules qui y voient clair et sur qui tout repose, le travail, l’éducation de nombreux enfants, l’entretient de la maison, ce sont les femmes. Chaque jour à grand peine, elles tissent de précaires liens sociaux qui risquent pourtant se déchirer à tout instant par l’inconscience de jeunes mâles en rut, gonflés de frustrations, et à qui la religion a donné le pouvoir. Dans ces quartiers, les hommes vivent totalement en irresponsables ; seules les femmes, si elles étaient soutenues par les élus, la justice et la police arriveraient à changer les choses, mais elles ne sont pas écoutées. Toutes les femmes, qui en ont la possibilité et les moyens, devraient aller les aider à « tirer la manche des politiques ». C’est aux femmes des Cités que devraient aller l’argent des subventions au lieu d’être saupoudrées à des quantités d’associations prétendument socioculturelles, d’une incompétence et d’une inefficacité évidentes, souvent même, complices de trafics en tous genres.
Tout ce que les hommes ont inventé craque de partout parce que leur pouvoir n’est pas naturel. Ils n’ont jamais compris comment marchait une société. En tout temps ils n’ont fait qu’abuser du pouvoir qu’ils avaient volé, pour laisser libre cours au seul sentiment qui les anime : la volonté de puissance, en fait l’instinct premier du mâle, l’instinct de domination, dont la seule finalité est l’acte sexuel.
Enfin, cette frénésie des religions à inciter ses fidèles à se multiplier de façon illogique, est dangereuse pour la planète. Le développement de l’éducation et de la contraception est à l’évidence une chance de survie pour l’humanité, en plus bien sûr, de la possibilité pour la femme d’être réellement libre de choisir ou non d’avoir un enfant, de devenir enfin un "être" à part entière et non plus seulement "le ventre", l’instrument, du mâle.
« Il faut sauver les femmes pour que les femmes sauvent le monde »
Dr Hourieh Shamshiri Milani, Iranienne, gynécologue obstétricienne, responsable du Planning familial.
« Je suis femme.
Dieu ne m’aime pas.
Il préfère la plainte de l’homme
qui crie et ne le sait pas,
de l’homme fidèle au message céleste
de multiplier la vie et la mort.
Dieu n’aime pas que j’entende
le mâle qui tue
le mâle qui meurt
le mâle qui croit, coq dément,
en variant son cri
faire varier les aurores. »
Maria Luisa Belleli (1909)
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