Histoire(s) de la télévision ( 2 / 3 )
Les principes de base étant posés, il faut juste attendre les progrès techniques dans l'enregistrement et la diffusion pour que le parc de téléviseurs décolle dans chaque pays. Les services publics sont le plus souvent servis les premiers et pour attirer le public, les vendeurs privés mettent en scène leurs appareils avant les grands événements internationaux afin d'inciter le public à s'équiper. C'est encore le temps des visionnages de groupe, le possesseur d'un appareil le disposant parfois à la fenêtre pour que les voisins puissent aussi profiter du spectacle le moment venu. C'est encore l'époque d'une grande convivialité quelque peu forcée par la chèreté du poste. Quand les prix baisseront grâce à la production de masse, tout le monde pourra s'acheter un poste et au lieu de demander à ce que l'on monte le son pour mieux suivre depuis le jardin, on exigera du voisin qu'il la mette en sourdine pour plus de tranquilité ou pour suivre son propre programme. La seule chose constante dans la vie, c'est le changement.
Même pour quelque chose de prosaïque comme le choix d’une technologie, la politique a joué un rôle important, avec ses effets plus ou moins bénéfiques.
Alors que la radio et la télévision sont nées de chercheurs indépendants, les pouvoirs politiques en place vont vite en comprendre l’importance et mettre la main dessus. Car s’il y a bien une chose que les ingénieurs n’ont pas, c’est la force de frappe politique, économique et judiciaire d’un Etat.
La première station de radio commerciale française fait son apparition au début des années 20 à Paris. Il s’agit de Radio Tour Eiffel, baptisée ainsi car son antenne émettrice est au sommet de la tour, rejoignant ainsi les émetteurs militaires déjà présents depuis le milieu de la première guerre mondiale.
Très rapidement, d’autres stations font leur apparition. Constatant leur succès, le gouvernement Herriot décide, en 1924, que le monopole d’ Etat de l’ information concerne également la transmission hertzienne. Il n’est pas question de nationalisation encore, mais les stations existantes sont mises sous tutelle. Quand les premiers essais de télévision ont lieu quelques années après, la mise sous coupe réglée est déjà faite. Les premières émissions régulières sont faites sous le contrôle de l’ Etat. Il n’y a d’ailleurs que très peu de postes, presque tous installés dans des services publics comme les bureaux des PTT ou chez de très riches particuliers.
L’idée est de garder le contrôle de l’information, qui est perçue comme étant un élément vital de la défense nationale. C’est avec la même idée que les compagnies indépendantes des chemins de fer vont être, dans les années 30, fusionnées et nationalisées au sein de la SNCF afin de contrôler totalement le réseau et le trafic en cas de conflit.
L’ Histoire donne d’ailleurs raison aux censeurs : si Hitler affirme son pouvoir, c’est aussi grâce à un service de propagande sans faille. Quand il va être clair pour tout le monde en 1939 que les armes vont parler à nouveau, le gouvernement confie à Jean Giraudoux la direction des informations et de la propagande. Cet auteur célèbre et reconnu ne va cependant pas faire le poids face à la force de frappe médiatique du IIIè Reich qui avait compris dès le départ l’importance du contrôle total de la communication et de la propagande.
Les armées nazies défaites, la Reconstruction se met en place mais la leçon a porté : les politiques français ont compris l’importance d’une information calibrée et sous contrôle. Les anciennes radios sont nationalisées et regroupées au sein de la RTF en 1949, qui se voit aussi chargée de promouvoir et de développer la Télévision d’ Etat.
Les Français ont dès lors le « choix » entre 5 stations de radios, toutes contrôlées par l’ Etat. Ces radios existent toujours mais elles ont troqué leurs noms barbares de France I,II,III,IV et V pour ceux plus reconnaissables de France Inter ( qui avait droit à deux canaux ), France Musique, France Culture. France V est elle "perdue" lors de l' indépendance de l' Algérie, émettant depuis Alger. Elle devient la première radio nationale algérienne.
Il y a aussi dès ce moment une chaîne de télévision, qui émet en moyenne trois heures par jour, sur Paris uniquement. Il faut attendre 1952 pour que la province soit dotée d’un premier réémetteur pouvant arroser le Nord-Pas de Calais. Les programmes consistent essentiellement en un journal à la mi-journée, un autre en soirée suivi par un film ou une émission.
Une seconde chaîne apparait en 1963, disponible également à Lyon dès son lancement.
Outre Atlantique, les choses se sont passées de façon différente : outre le fait que le gouvernement ne s'est pas mêlé d'imposer un monopole quelconque, l’immensité du territoire a amené à une multiplication de chaînes et de réseaux locaux. Les grands Network ont profité des lois anti-trust pour se livrer à une rude concurrence, vendant des licences de diffusion aux régions rurales pour diffuser leurs programmes et accroître leurs audiences, sources de revenus publicitaires : cela leur permet d’accroitre leur zone de couverture sans avoir à investir dans des émetteurs, tandis que la station locale y gagne des programmes à diffuser sans avoir à investir dans la production.
Cette convergence d’intérêt permet à la télévision américaine de se concentrer sur la qualité des programmes. Les séries, les feuilletons, puis les soaps vont inonder le marché et se répandre à la surface du globe pour les plus réussis d’entre eux. L’ American Way of Life devient un standard occidental d’autant plus rapidement que libéré d’une partie des contingences matérielles, les Networks peuvent investir massivement dans des scénaristes réputés, de grands acteurs et de plus en plus de grands réalisateurs.
Le western est un genre typiquement américain, issu de son histoire de la conquête de l'Ouest. Si le message est désormais plus critique et nuancé que celui des années 60, il garde une forme d'universalité de par l'aventure qu'il propose, la découverte des grands espaces inconnus.
Preuve de l’influence montante de la télévision, l’inversion notable des carrières : dans les années 60 à 90, les débutants commencent à la télé et y font leurs classes avant qu’ Hollywood ne les appellent. Désormais, c’est le contraire : les Networks font de plus en plus signer en priorité des grands noms pour produire et diffuser des oeuvres de qualité pour satisfaire la demande des réseaux. Les débutants eux commencent dans le cinéma indépendant ou les réseaux de seconde catégorie.
Rien de tout cela ne se passe en France. Le pays a comme handicap une population plus faible, et une potentialité de vente plus faible aussi comparé au marché américain potentiel.
Et ce n’est pas un contrôle étatique de l’ information qui va améliorer les choses : en Mai 68, la télévision d’ Etat ne parle pas des premières journées d’émeutes dans leurs journaux alors que les radios périphériques diffusent en direct les affrontements du Quartier Latin.
Ces radios deviennent une épine dans le flan de l’ ORTF : leurs émetteurs étant situé au Luxembourg, en Sarre, à Monaco et à Andorre, le gouvernement n’a aucune prise sur elles. Emettant sur la bande AM, elles n’ont pas besoin de réémetteurs pour être entendues sur tout le territoire ou presque, au prix d’une qualité d’écoute parfois médiocre.
Aux élections de 1965, De gaulle a négligé la télévision avant le premier tour. Une stratégie qui provoque sa mise en ballotage par Mitterrand. Aucun homme politique ne refera jamais cette erreur.
Le public pouvant comparer, il fait vite son choix et les radios d’ Etat perdent en crédibilité rapidement. Le gouvernement perd plus de crédibilité quand une large part de l' ORTF se met en grève pour soutenir le mouvement de Mai 68. Une fois les législatives passées et le triomphe gaulliste ratifié par le peuple, l'épuration va y être sanglante, la notoriété des journalistes ne les sauvant pas du placard quand leur démission n'est pas exigée. Certains ne remettront pas les pieds dans le service public avant la fin des années 70. Heureusement pour eux, la presse privée est à l'époque assez forte pour service de canots de sauvetages pour leurs carrières.
Il faut attendre 1981 et l’élection de François Mitterand pour que les choses changent de façon officielle.
Mai 68 a donné le gout de la liberté d’information au peuple, qui entend bien en profiter. Le matériel d’émission d’images étant trop onéreux, trop technique, et trop difficile à dissimuler, ce sera par le biais de radios pirates qu’il le fera pour commencer.
Invoquant le soucis de garder les ondes propres pour la sécurité aérienne et les secours de première urgences, ce qui en soit est louable, le gouvernement réaffirme son monopole sur les ondes alors que l’ Angleterre a brisé celui de la BBC depuis peu, montrant qu’avec un minimum d’organisation, il y a de la place pour tous sur les ondes.
Les radios libres ? Le ministère de l ‘intérieur va les pourchasser, les brouiller, leur confisquer leur matériel.
Mais rien n’y fait, elles se multiplient. Le PS lui-même ouvre sa propre antenne, rapidement close par la force publique, ce qui permet aux caciques du PS de hurler à la censure.
L’élection de Mitterrand ouvre une nouvelle ère pour la radio et télé-diffusion : une Haute Autorité, ancêtre du CSA actuel, est mise en place, et délivre les premières licences à des radios associatives, mais aussi aux premières radios commerciales qui vont user de leur force de frappe monétaire pour investir les ondes. Le phénomène de concentration et les bisbilles entre petites radios vont transformer la bande FM en un terrain de chasse ou le commercial et la musique bas de gamme vont régner en maître.
Les libertaires de mai 68 qui rêvaient de lendemains qui chantent ne pensaient pas que cela se ferait sur du Colonel Reyel ou de la Zoubida. On ne peut pas penser à tout.
Les écrans, eux, n’avaient connu qu’un timide évolution. Ni le démantèlement de l’ ORTF, ni l’ouverture d’une troisième chaîne, n’avaient changé les choses de façon fondamentale. Comment cela aurait été possible avec un ministère de l’information qui faisait le travail des rédacteurs en chef ?
Le premier progrès est la suppression de ce lien incestueux. La critique y est désormais tolérée, les émissions polémiques n’étant plus supprimées du jour au lendemain sur « demande » de Matignon ou de la présidence, du moins sur les réseaux publics. Cela rend de la crédibilité aux journaux télévisés.
Face au développement des chaînes étrangères dans les pays voisins, le gouvernement se décide à briser le dernier tabou télévisuel : l’ouverture de Canal + met un terme définitif au règne total de la télévision publique.
Après quelques premiers mois difficiles, la chaîne cryptée trouve son rythme de croisière. En proposant des programmes nouveaux et plus récents, Canal + impose sa marque. En contrepartie, et pour alimenter sa propre antenne, la chaîne investit de façon massive dans le cinéma et les séries télévisées.
Sentant la défaite venir en 86, la gauche accélère les procédures pour l'ouverture de deux chaînes gratuites supplémentaires, négligeant les procédures légales pour attribuer les 5è et 6è réseaux disponibles. Le but était de garder une influence médiatique après la perte du service public inévitable selon les stratèges électoraux.
C’est sur ce prétexte qu’en 1986, le RPR revenu au pouvoir impose la réattribution des deux chaînes supplémentaires en plus de la privatisation de TF1. Rapidement, la 5 et TV6, puis M6 se comportent en robinets à conneries et en programmes clinquants mais bas de gamme. Si le Pouvoir n'est plus en mesure d'exiger d'intervenir dans la conception des grilles des programmes, la privatisation n'empêche pas la servitude et les bons offices. Michel Polac paye son indépendance d'esprit et le désir du bétonneur Bouygues de ne pas trop ennuyer le pouvoir RPR, prodigue en marchés immobiliers publics. Il faut bien soigner la clientèle, pas vrai ?
TV 6 était une chaîne du consortium Publicis-NRJ. Le gouvernement socialiste attribue le 6è réseau sans appel d'offre, ce qui donne au RPR, de retour en 86 aux affaires, une excuse pour annuler la licence. C'est la CLT, porpriétaire de RTL, qui décroche la licence en fin de compte en lançant M 6.
Le marché publicitaire se révèle incapable d’alimenter tous ces réseaux et la 5 succombe, victime entre autre de ses erreurs stratégiques et de son image désastreuse de première télé poubelle.
Son réseau est préempté par l’ Etat qui y installe de force ARTE. Cette chaîne franco-allemande tranche dans le PAF : issue de la défunte SEPT, la chaîne refuse la course à l'audience et privilégie la qualité, parfois ( souvent ? ) au détriment de la compréhension du public.
Ouvrir la culture au grand public est d'une intention louable. Mais diffuser le Soulier de Satin dans sa version intégrale de 11 heures en continu est-il le bon moyen d'intéresser les gens ?
A sa façon, ARTE commet parfois le péché qui frappe souvent toute chaîne de télévision : se centrer sur elle-même et ses propres ambitions, et non sur les attentes du public. Malgré des audiences faibles, le gouvernement ne cède pas aux cassandres et installe dans la durée un service de programmes novateurs, décalés, mais aussi parfois pénibles à suivre.
( à suivre, justement... )
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