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Hommage à Alain Delon - Mort d’un dandy, clair-obscur en chair et en os

HOMMAGE A ALAIN DELON

 

MORT D’UN DANDY, CLAIR-OBSCUR EN CHAIR ET EN OS

 

Comment rendre hommage, sans verser dans la banalité, la redite ou les poncifs, sinon d’évidentes et trop consensuelles platitudes, à celui qui fut peut-être le plus grand acteur (et non, la nuance conceptuelle s’avère ici de mise, simple comédien) français de la seconde moitié du XXe siècle ? Il n’est guère facile, en effet, de parler des mythes, fussent-ils morts ou vivants !

LA RACE DES SEIGNEURS

Car celui que l’on qualifie volontiers aujourd’hui, et à juste titre, de « monstre sacré » du cinéma, y compris par son immense carrière internationale, avec des chefs d’œuvre tels que « Le Guépard » (1963) de Luchino Visconti, dans lequel il interprète le rôle de l’aristocratique mais indomptable Tancrède, ou l’énigmatique « Monsieur Klein » (1976) de Joseph Losey, incarnait, de fait, ce qu’un sémiologue aussi pointu, fin et cultivé que Roland Barthes appela jadis à raison, conformément à l’intitulé de son livre le plus célèbre, les « mythologies » du monde moderne et contemporain.

Ainsi, donc, Alain Delon, cet élégant « samouraï » à la française qu’un réalisateur tel que Jean-Pierre Melville, en 1967 déjà, immortalisa de main de maître, lui fixant à jamais cet intense regard bleu, froid et métallique qu’on lui connaissait, s’en est allé, à l’âge vénérable de 88 ans, dans la nuit de ce 18 août 2024.

BLESSURE AU CREUX DE L’ÂME ; NOSTALGIE AU TREFONDS DE L’ÊTRE

Et, pourtant, star d’entre les stars, mais dont une indicible blessure de l’âme, par-delà même sa légendaire beauté ou son charismatique talent, paraissait toujours habiter, sinon hanter, son être le plus profond, insaisissable et secret, Delon semble avoir quitté ce bas monde, pour aller rejoindre définitivement celui des étoiles, sans regret, ainsi qu’il le confia, dépourvu de tout artifice ou fioriture, dans un de ses derniers, parmi les plus touchants et intimes, entretiens : « La vie ne m’apporte plus grand-chose. J’ai tout connu, tout vu. Mais surtout, je hais cette époque, je la vomis », confia-t-il en effet, empli d’une indéfinissable nostalgie là encore, un triste jour d’hiver de janvier 2018. Et, poursuivant sur cette émouvante lancée, d’y conclure, effectivement : « Il y a ces êtres que je hais. Tout est faux, tout est faussé. Il n’y a plus de respect, plus de parole donnée. Il n’y a que l’argent qui compte. On entend parler de crimes à longueur de journée. Je sais que je quitterai ce monde sans regrets » !

SOLITUDE, SINGULARITE ET DISTINCTDION

En cela, du reste, Alain Delon, qui fut aussi l’un des grands dandys du siècle, tant par sa foncière solitude que par son irréductible singularité, cette inextinguible distinction de la véritable race des seigneurs, ne s’éloigna guère de ce qu’un esprit aussi raffiné que Roger Kempf dit en un essai aussi emblématique, sur cette épineuse mais essentielle question à l’endroit d’Alain Delon, que son « Dandies – Baudelaire et Cie » précisément.

Il y écrit : « Mais loin de se dresser contre ses générateurs misérables, le dandy se contente (…) de leur tourner le dos. Que les censeurs se rassurent : il croit (…) à la discipline, il a horreur du laisser-aller. Plus insolent que transgresseur, il n’est pas dangereux, face aux trublions de toutes sortes (…). Le dandysme : un monde métaphorique aux couleurs du soleil couchant, un exercice impossible. (…) Comment garder le secret ou le silence au temps de l’ordre public ? Comment vivre sur le mode de l’être, non du devenir ? Comment rêver sous le régime du progrès ? Questions terribles et sans réponse, menant parfois au suicide et toujours au rebut et à la mort. Le dandy ne l’ignore pas. Condamné, il s’attend à disparaître, dignement. »

PARAÎTRE SANS COMPARAÎTRE

Bref, insiste encore Roger Kempf dans cet insigne portrait, tout en nuances et finesse, de l’authentique dandy, mais où l’on croirait également percevoir en filigrane quelques-uns des traits distinctifs, tant sur le plan moral ou intellectuel que psychologique, d’Alain Delon, ce séducteur né, justement, de qui s’entichèrent très sincèrement les plus belles femmes, au premier rang desquelles émergent, bien sûr, ces divines actrices que furent Romy Schneider et Mireille Darc, ou encore la chanteuse anglo-allemande Nico (naguère sulfureuse égérie d’Andy Warhol et autre Lou Reed au temps de l’électrique mais surtout décadent Velvet Underground), sans oublier, cependant, Nathalie Delon, qui fut, à l’état-civil, sa seule épouse avant qu’il n’en divorçât : « Mélange de retenue et d’ironie, être de parade et de désir, le dandy se défend et s’expose, mais ne comparaît pas. N’ayant de comptes à rendre à personne, il se garde de biffer son passé (…). Prenant les devants, s’il lui plaît, il avoue ses défaites et, narguant l’opinion, joue de sa corde favorite : le mépris. »

Est-ce pour cette raison que l’instinctif, plus encore qu’intuitif, Delon, bête de scène, à la sensibilité quasi animale dans ses aspects les plus sauvages, pour qui la fidélité constituait l’une des principales qualités d’esprit, aima plus les chiens que les hommes, à l’instar de philosophes tels que Diogène ou Schopenhauer ? C’est dire, en tous cas, si le dandy, cet idéaliste qui s’ignore, paraît sans jamais, toutefois, comparaître, sinon devant le tribunal de sa propre et seule conscience !

LE SOLEIL NOIR DE LA MELANCOLIE

Mais, de la complexité inhérente à ce dandysme ainsi correctement entendu, et donc a posteriori aussi de cet iconique Alain Delon, c’est Charles Baudelaire, qui fit du dandy un « soleil couchant » comme Gérard de Nerval en fit le « soleil noir » de son ineffable mélancolie, qui en brossa très certainement le plus abouti des tableaux en cette éminente critique d’art – et Dieu sait si Delon fut aussi un très fin connaisseur, en même temps qu’un collectionneur avisé, en matière d’œuvres d’art – que fut son « Peintre de la vie moderne » (1863).

Il y écrit donc au sujet des dandys : « Que ces hommes se fassent nommer raffinés, incroyables, beaux, lions ou dandys, tous sont issus d’une même origine, tous participent du même caractère d’opposition et de révolte ; tous sont des représentants de ce qu’il y a de meilleur dans l’orgueil humain, de ce besoin, trop rare chez ceux d’aujourd’hui, de combattre et de détruire la trivialité. De là naît, chez les dandys, cette attitude hautaine de caste provocante, même dans sa froideur. » Et, dans la foulée, Baudelaire, hissé ainsi au faîte de ce remarquable portrait, d’en inférer, toujours en ce « Peintre de la vie moderne », à propos de ce dandy quintessentiel : « Le dandysme est un soleil couchant ; comme l’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie »

UN CLAIR-OBSCUR EN CHAIR ET EN OS ; UN OXYMORE VIVANT

Et, de fait, ce grand fauve qu’était Alain Delon, cet astre finalement parvenu au crépuscule de sa vie, et à présent tragiquement trépassé, mais non pour autant éteint tant il demeure immortel, fut bien, par ces paradoxes qu’il ne cessa d’incarner tout au long de sa prodigieuse existence, tantôt solaire et tantôt sombre, tantôt féline et tantôt ténébreuse, cet oxymore vivant, pareil, éternellement désormais, à un clair-obscur en chair et en os !

 DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

*Philosophe, écrivain, auteur d’une quarantaine de livres, dont, sur le dandysme, « Philosophie du dandysme – Une esthétique de l’âme et du corps » et « Le dandysme, dernier éclat d’héroïsme » (publiés tous deux aux Presses Universitaires de France) ; « Oscar Wilde » et « Lord Byron » (publiés tous deux chez Gallimard-Folio Biographies) ; « Le dandysme – La création de soi » et « Manifeste Dandy » (publiés tous deux aux Editions François Bourin/Les Pérégrines) ; « Oscar Wilde – Splendeur et misère d’un dandy » (Editions de La Martinière).


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21 réactions à cet article    


  • Seth 19 août 13:36

    Que voulez vous rajouter à ce panégyrique si ce n’est que les déclaration bébêtes, peu originales et ne brillant guère pas leur verve et leur humour décalé qu’a proféré Delon sont la démonstration éclatante que c’était un lourdaud et tout sauf un dandy.

    Le pauvret n’a eu que sa bouille « parfaite » mais qui s’est mal accommodée de l’âge et a très vite rejoint son mental dans la mocheté.


    • amiaplacidus amiaplacidus 19 août 13:39

      @Seth
      Assez d’accord, on dira, pour sa décharge, qu’il a eu une enfance malheureuse (ce qui est exact).


    • Seth 19 août 13:48

      @amiaplacidus

      Ouais... Et en plus il était charcutier de son métier : il n’a pas vraiment commencé dans le glamour, le pauvret, il faut bien reconnaître..

      Mais Alain Delon ne nous a pas dit si Delon Alain appréciait le pâté et les saucisses ou s’il ne les supportait plus pour les avoir trop malaxés. smiley


    • Gollum Gollum 19 août 13:51

      DSS est un dandy, il a écrit un bouquin sur le dandysme...

      Et comme le marteau qui ne voit que des clous, il voit des dandys partout...

      Consternant. Non Delon n’était certainement pas un dandy.. Quelle faute de goût impardonnable de la part d’un dandy de voir un dandy en Delon..


      • Seth 19 août 14:30

        @Gollum

        Quand Lang défunctera, je te parie qu’on aura un autre portrait de « dandy » à tous les coups.

        (Profitons en pour rappeler que sous la période sarkozyste Lang fut le seul socialisse (les autres s’étant courageusement abstenus) à voter en 2008 à Versailles en faveur du piétinement du peuple et de sa décision de 2005.)

        Mais M. Schiffer qui en cultive l’image sur sa personne connait tout cela mieux que nous. Tu noteras l’absence de Mursili sur ce fil...


      • mursili mursili 19 août 16:56

        @Seth

        Oui, vous avez raison, cette fois-ci, je passe mon tour. Même pas envie de chambrer le Maître. Pour une fois, il n’en fait pas trop.

        Alain Delon a tourné dans de beaux films italiens, notamment dans Le Professeur (La prima notte di quiete) réalisé par Valerio Zurlini en 1972.

        Et bien sûr, tous les autres que vous connaissez tous, souvent de grands films dans lequel on peut le voir aux côtés de Gabin, Belmondo, Simone Signoret, Jeanne Moreau, Romy Schneider, etc.

        DSS avait rendu hommage l’année dernière à un autre acteur « viscontien », Helmut Berger, en lequel il voyait aussi un dandy.
        https://www.tribunejuive.info/2023/05/21/hommage-a-helmut-berger-par-daniel-salvatore-schiffer/


      • Seth 19 août 18:22

        @mursili

        A ce propos... grosse surprise : j’ai entendu à la radio un extrait audio d’un film avec Moreau et je ne m’étais jamais rendu compte à quel point Moreau parlait faux. smiley


      • mursili mursili 20 août 10:21

        @Seth

        Vous voulez dire qu’elle jouait faux ? Je n’ai pas vraiment d’avis sur la question. C’est dans le Monsieur Klein de Losey qu’elle joue avec Delon.


      • Seth 20 août 12:51

        @mursili

        On parle faux tout sur un texte pré-écrit comme on chante faux. Il est impossible d’y remédier.

        De plus elle avait une curieuse voix (avec un son bizarre de canard) qui n’était pas posée de sorte que tout ce qu’elle disait avait l’air de flotter...

        Mais elle avait d’autres qualités indiscutables dont sa présence de sorte que c’est uniquement l’audio qui le révèle.


      • mursili mursili 20 août 17:48

        @Seth

        Ah oui, intéressant, cette observation sur le timbre de sa voix...
        Est-ce que vous entendez la même voix dans cette interview avec Marguerite Duras, un peu comme des accents de cloche fêlée ?
        https://www.youtube.com/watch?v=EtMmlGCpvVg


      • mmbbb 24 août 08:06

        @Gollum bonne remarque , il n etait pas un dandy de part sa naissance déjà

        Il ne le fut pas par son style de vie .

        Un style de vie plutot reclus avec la passion de ses chiens

        Il vivait aussi dans les souvenirs de ses rencontres , ses belles rencontres

        et aussi la passion de l art .

        Son seul faux pas est peut etre d avoir joue dans le film le jour et la nuit de B H L

        Un fm qui malgre la large propagande ne recut pas l accueil du public .

        Un dandy bien ne sur tout les fronts et n ayant jamais porte l uniforme .

        Un dandy imbuvable ce BHL et dont l auteur de ce article connait


      • Gollum Gollum 24 août 09:22

        @mmbbb

        Oui BHL lui était un dandy. Y a toujours une touche de féminité chez un dandy, touche plus ou moins mise en avant et revendiquée..


      • xana 19 août 14:12

        Que vouliez-vous que fasse ce crétin prétentieux pour une occasion comme celle-ci ?

        Un hommage funéraire, en pensant que d’autres finiront par le prendre lui-même pour quelqu’un d’important.

        C’est comme cela que ca marche chez les prétendus « intellectuels ».


        • Seth 19 août 14:24

          @xana

          M. Schiffer est un spécialiste du dithyrambe, à commencer par celui de Mme Schiffer elle-même. Et aussi un peu du sien si on se réfère au portrait bien peu modeste qu’il présente de sa personne et de son opus considérable. smiley

          C’est en vain qu’on attend de sa plume une volée de bois vert alors qu’on nage en permanence en pleine bien pensance extatique et sucrée.


        • xana 19 août 16:38

          @Seth
          Pour vous résumer : C’est un con prétentieux.
          Je suis bien d’accord avec vous. Est-ce qu’il a reçu des tartes à la crçme comme son alter ego Béchamelle ?


        • Seth 19 août 19:45

          @xana

          Je pencherais plutôt vers la fatuité...


        • rhea 1481971 19 août 17:20

          Interrogez un ancien de la guerre d’Indochine ? il vous dira que ce

          Delon a fait une connerie et s’est fait virer de la Marine Française

          quand il y était à Saïgon.


          • xana 20 août 10:25

            Honnêtement Delon, on s’en fout.


            • Yves Guéchi Yves Guéchi 20 août 12:57

              Un ami personnel de Jean-Marie Le Pen et un partisan de l’extrême droite, rien de très sympathique pour moi dans ce personnage !


              • Nowhere Man 20 août 17:48

                Delon fut bigeardien puis gaulliste, Lepéniste, sarkosyste.. pour finir hidalguiste... mais il fut avant tout deloniste.

                Ce que je retiens c’est trivialement, le cigarettier impitoyable tueur d’enfants de 5 ans et moins au Cambodge, à l’insu de son plein gré évidemment, il n’y a pas de Nuremberg pour ces crevures.

                « Les cigarettes « Alain Delon » restant très populaires dans toute l’Asie du sud-est. Il existait un partenariat depuis 1992 entre l’acteur et la British American Tobacco, géant de l’industrie du tabac qui a commercialisé jusqu’en 2018 avec le slogan « Alain Delon, le goût de la France » des cigarettes à son nom au Cambodge, pays ou le tabagisme infantile est un fléau. »

                https://www.sudouest.fr/culture/alain-delon/mort-d-alain-delon-blouson-smoking-et-cigarettes-l-iconique-incarnation-du-style-a-la-francaise-21069240.php?csnt=19170603db7


                • Phil 21 août 13:42

                  De long, en large et en travers.

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