Hommage à Habib Bourguiba, intellectuel, homme d’État et fondateur de la Tunisie moderne 2000-2012
Ceci est une contribution personnelle à la mémoire de Habib Bourguiba, un des pères fondateurs de la Francophonie avec L.S. Senghor du sénégal et Hamani Diori du Niger. A l'heure où tant d'obscurantismes se déchaînent sur les scènes politiques africaines, arabes et européennes, il est nécessaire de rappeler, à l'occasion du douzième anniversaire de sa mort, l'esprit de fraternité et d'ouverture qu'était cet homme d'Etat, fondateur de la Tunisie moderne.
Pour commencer
Cela fait exactement douze années que Habib Bourguiba nous a quitté. Sa mort a laissé le peuple tunisien dans une espèce d’orphelinat à une période où il était sous le joug d’un État tyrannique et despotique sous Ben Ali, cet individu avec un bac moins quatre, qui a volé la Tunisie, qui l’a pillé, l’a mise à genoux et qui a surtout participé activement à la formation de ces deux sectes salafiste et wahhabite en poussant la répression au plus haut degré de violence.
Beaucoup diront, notamment des spécialistes en Sciences Politiques en France que Bourguiba a préparé le despotisme de Ben Ali. C’est une perception très simpliste de la vision qu’avait Bourguiba de la politique et du rôle d’un gouvernant : la première chose à laquelle il a toujours tenu est celle de la morale contre l’opportunisme politique. Il a toujours été égal à lui-même, il a vécu pauvre et est décédé chez lui, en résidence surveillée, riche du peu que lui léguèrent ses parents. Il n’a jamais pillé le peuple, il n’a jamais voulu le réprimer, c’était un homme qui avait le respect du droit et qui ne pouvait concevoir l’État en dehors de la raison.
Sur un site dédié à Bourguiba il est écrit ceci : « Avec la disparition du Leader Habib Bourguiba, la Tunisie et le monde perdent l’un des chefs historiques qui ont conduit leurs pays à l’indépendance et à la liberté, et l’un des grands hommes que le vingtième siècle ait connus au Maghreb, dans le monde arabe, en Afrique et dans le Tiers-monde » (http://www.tunisie.online.fr/bourguiba/ )
Moi, qui ai consacré 740 pages au cours de ma préparation du Doctorat portant sur sa conception de la Francophonie et dévoilant enfin son parcours et son rôle dans la mise en place de l’ACCT auprès de Senghor et d’Hamani Diori, avec qui il fut père fondateur, moi qui ait publié plusieurs articles où j’analyse avec détail ses discours sur la coopération universelle, sur la déclaration de la république en 1957, sur sa conception de la religion et les solutions réformatrices proposées pour que les hommes puissent vivre dans la paix, je connais maintenant l’homme et l’homme d’État, je suis le fruit de sa belle réforme, je ne peux qu’être fière de ce qu’il m’a apporté, même si les dernières années de son pouvoir furent très difficiles, même s’il s’était proclamé président à vie… Bourguiba était pacifiste, son attachement au pouvoir ne partait pas du désir de s’enrichir, mais parce que toute sa vie a été consacrée à la politique, il y a consacré son temps, son esprit et ne pouvait plus concevoir de vivre en dehors d’elle.
Il ne s’agit pas là de l’histoire de quelques discours prononcés à l’occasion, dont j’avais analysé en long et en large, au moindre détail du texte aussi, mais d’une véritable vocation. Bourguiba avait réellement cette force génératrice de reliances entre les peuples. Senghor l’avait vu tout de suite, lorsqu’il le rencontra en France en 1955 alors qu’il était en résidence surveillée. Il rapporte cela en ces termes : « l’idée m’est venue, je crois en 1955, lorsque, secrétaire d’État à la présidence du Conseil dans le gouvernement Edgar Faure, j’étais chargé de la révision du titre VIII de la constitution, relatif aux départements, territoires d’outre-mer et Protectorats. J’eu, alors, l’occasion de m’en entretenir avec Habib Bourguiba, qui était en résidence surveillée en France. C’est de là que datent notre amitié et notre coopération. Il s’agissait, comme je l’ai dit en son temps, d’élaborer, puis d’édifier ensemble un « Commonwealth à la française »[1]
C’est en ces temps-là que murissait le projet francophone, entre deux hommes formés par
La Francophonie fut d’abord cette capacité de dépasser sa rancune afin d’édifier un monde pacifique et éternellement construit sur un progrès positif. Leurs vœux étaient bien communs et leurs formations divergentes les avaient réunis. C’est sans doute pour cette raison qu’ils ont tout deux parlé d’unité dans la diversité en ce qui concerne la Francophonie, d’un « Commonwealth français », de l’altérité qui est une synthèse entre accord et diversité.
L’altérité et l’unicité sont à la fois reliées et étrangères l’une à l’autre. Au fond de toute unicité, il y a de la diversité ; dans toute diversité l’unicité est fondamentale.
Les conflits humains sont, paradoxalement, le signe de la recherche d’unicité au-delà de la diversité et cette dernière est elle-même génératrice, à la fois de conflits, c’est-à-dire de crises (guerres et dissensions de toutes sortes..), et créatrices de situations nouvelles où les données sont encore plus divergentes.
Pour Bourguiba,
La dimension francophone d’une infinie richesse est l’autre face de la latinité vécue avec l’Empire romain et dans lequel il y avait déjà des substrats culturels puniques, berbères, grecs, arabes, espagnols, vandales, pour ne citer que ceux-là. S’ils furent bien intégrés par la culture tunisienne, c’est parce que la position géographique du pays ouverte sur la méditerranée et le commerce extérieur, lui a de tout temps conféré une place de choix dans les contacts avec le monde. La Francophonie est dans ce cadre bien à sa place, elle ne peut que s’y épanouir de diversité et d’harmonie. De tels liens d’unicité et de diversité dans l’altérité nourrissent perpétuellement la vie des langues-cultures en leur accordant présence et élargissement. Les différences ne sont donc plus conçues comme des obstacles, mais comme le point de départ pour une meilleure compréhension d’autrui.
La reconnaissance d’une telle amitié est justement un gage de paix entre deux pays qui ont connu des périodes de conflits. Il se trouve subséquemment que le rapport complexe de concordance et de discordance a de tout temps été traversé de part et d’autre par l’admiration et / ou l’indifférence pour la culture et la langue de chacune des deux parties : pour le colonisé, la maîtrise de la langue-culture du colonisateur est un moyen efficace pour combattre l’injustice car elle est humaniste au plus profond d’elle-même ; pour le Français de Tunisie, la connaissance de la langue-culture tunisienne lui permet d’appréhender l’espace dans lequel il vit, et de l’apprécier. Pour Bourguiba, « langue des philosophes de la liberté, le français allait constituer en outre pour [les Tunisiens], à côté de l’arabe, un puissant moyen de contestation et de rencontre ». La maîtrise de l’arabe et du français a légitimé l’usage de ces deux langues, « toujours d’ailleurs de façon hasardeuse » par le tribun, comme par d’autres intellectuels de son époque et à égalité au cours de leur lutte. La place de choix donnée au français comme une langue de révolution, pour le combattant qu’il fut, lui permet de se faire entendre par le reste du monde : « c’est à travers l’usage de la langue française que nous avons pu faire entendre la voix de la Tunisie dans le concert des nations.. »[4].
Il circule dans la pensée bourguibienne un air frais et pur dépouillé de toute forme d’intolérance ou de prosélytisme. On découvre ainsi une langue d’une remarquable pureté, parfois plus poétiquement percutante que celle de Senghor et peut-être même plus convaincante dans la mesure où le passé historique de l’auteur exclut toute idée de complaisance.
En ce jour où la Tunisie toute entière, à part ses barbus qui ne l’ont jamais connu, lui rend hommage, je rappelle ici cet extrait de son Discours de Montréal de 1968, où il éblouit par son ouverture d’esprit et son éloquence naturelle : « Il me plaît de reconnaître enfin que le fait francophone constitue chez vous, comme il ne cesse de l’être pour nous, un facteur de rencontres. Loin de porter au repliement, il favorise l’insertion dans le monde lui-même projeté à la pointe du progrès ».
Ce n’est qu’en lisant Bourguiba que l’on se rendra compte de la grandeur d’une pensée profondément humaniste, résolument révolutionnaire, visionnaire et « perfectible à l’infini » comme sa conception de l'homme. Sa pensée étant d’actualité, il appartient au peuple tunisien de la perfectionner et d’en faire bon usage pour construire une Tunisie encore plus moderne, fidèle à son histoire et aux rivages qui l’ont nourrie de leurs eaux fécondes. La voie de la démocratie est là en germination depuis le 25 juillet 1957 où Bourguiba proclama le république et la substitua, avec l'accord du peuple, à une indigne monarchie.
[1] L.S. Senghor. 1993. « La Francophonie et le français » Discours de réception de l’Académie des Sciences d’Outre-mer, 2 octobre
[2] Kheireddine avait rédigé ses Mémoires en français et en arabe.
[3] Discours de Montréal, mai 1968.
[4] Bourguiba, Idem.
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