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Hommage à Jacques Higelin : la belle folie poétique et musicale du « Paradis païen »

Jacques Higelin, l'un des plus grands auteurs-compositeurs-interprètes de la chanson française de notre temps, s'en est allé, à l'âge de 77 ans, en ce funeste 6 avril 2018. Admirateur des poètes maudits, de Baudelaire et de Rimbaud en particulier, mais aussi chanteur résolument engagé, c'est, avec sa mort, encore un peu plus de notre propre jeunesse qui s'en va. Hommage à cet impeccable poète et parfait dandy !

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Jacques Higelin en concert lors du 5ème festival Aux Zarbs (Auxerre, France).
Benoît Derrier - CC BY-SA 2.0 https://www.flickr.com/photos/43216760@N00

 

HOMMAGE A JACQUES HIGELIN

LA BELLE FOLIE POETIQUE ET MUSICALE DU « PARADIS PAÏEN »

Je me souviens ! C’est en 1978, dans un de ces cafés enfumés qui sentait bon le vin, que je vis sur scène, pour la première fois, Jacques Higelin. J’étais jeune, terriblement idéaliste et encore bercé d’illusions sur l’espèce humaine. Je venais d’avoir vingt-et-un ans et, avec mes longs cheveux noirs et mon air rêveur sous mon âme révolutionnaire, quelque peu anarchiste, l’air vaguement romantique. J’allais bientôt terminer ma licence de philosophie, avec une thèse sur Descartes, même si c’était surtout les poètes maudits, Baudelaire et ses vénéneuses mais sublimes « Fleurs du Mal » en tête, qui me tenaient alors de viatique existentiel. Jacques Higelin, né le 18 octobre 1940, avait déjà, lui, trente huit ans, presque la quarantaine donc, mais chantait pourtant encore, la révolte chevillée à sa voix tendrement éraillée, comme un adolescent indéfiniment en proie à ses démons : « Pars ! Surtout ne te retourne pas. Fais ce que tu dois faire, sans moi. Quoi qu’il arrive, je serai toujours avec toi », criait-il alors ce soir-là, arpentant de long en large cette modeste mais chaleureuse scène, du haut de son grand corps mince et chaloupé, tout revêtu de cuir noir (une sorte de synthèse toute esthétique entre le sauvage Lou Reed de « Rock and Roll Animal » et le fantasque Iggy Pop de « Lust for Life »), avec, en guise de très stylée baguette de chef d’orchestre, un pétillant verre de champagne à la main.

Ce légendaire « Pars », gravé sur l’album « No Man’s Land », en voici ici l’inoubliable texte, comme venu tout droit d’un poème de Rimbaud, et la nostalgique mélodie, scandée par l’accent quelque peu mélancolique d’un accordéon revu et corrigé à travers d’audacieuses salves de guitare électrique :

 

L’AUDACIEUSE MODERNITE DU GRAND HIGELIN

Car c’était aussi cela, en effet, l’incomparable talent, l’innovatrice modernité, de l’immense et touchant Higelin : un mélange particulièrement réussi d’ancienne mais bonne chanson française, de Boris Vian à Charles Trenet, ses premières idoles, et de rock contemporain, à l’étonnante croisée du charme sulfureux d’un Mick Jagger à l’époque des subversifs Rolling Stones et de la tragique destinée d’un Jim Morrison au temps des mythiques Doors. Rien d’étonnant donc, si, quelques années plus tard, à partir du milieu des années quatre-vingt, s’en inspirèrent directement quelques-uns des meilleurs interprètes de la scène française, à l’instar, par exemple, d’un groupe tel que Téléphone (Louis Bertignac, de manière plus spécifique) ou d’un artiste aussi accompli que Bashung, ainsi qu’en témoigne, accompagné ici par Cali, cette reprise, précisément, de « Pars »

 

DANDY PAR EXCELLENCE

Mais ce qui me frappa toutefois le plus, lorsque je revis par la suite Higelin, c’est son allure indubitablement dandy : cet indéfinissable, et surtout paradoxal, mixte d’élégance quasi céleste, tant sur le plan spirituel que physique, et de flamboyance presque diabolique, dans son verbe haut perché comme dans son attitude souvent provocatrice. Ce fut là, par ailleurs, ce que donna à voir admirablement bien ce double album, sorti en 1979, portant le très tentateur titre de « Champagne pour tout le mondeCaviar pour les autres ».

Cette intérieure complexité de l’être, ce tréfonds de l’âme où ne cessent de se côtoyer, tout en s’y livrant perpétuellement bataille, anges et démons, c’est, encore une fois, le très dandy Charles Baudelaire, le poète préféré d’Higelin justement, qui les formula le mieux, ainsi que l’atteste, tel le plus vertigineux des oxymores littéraires, cet extrait, emblématiquement intitulé « Double position simultanée », de « Mon cœur mis à nu », l’un de ses deux journaux intimes : « Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan. L’invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en grade ; celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre. », y confie-t-il en effet.

Higelin, à l’instar de Baudelaire, un de ses pairs en dandysme : un clair-obscur, par son essentiel paradoxe existentiel, en chair et en os… comme le fut aussi naguère le cher Oscar Wilde, qui, selon son propre mot, désormais passé à la postérité, mit tout « son génie dans sa vie » plus encore que dans on œuvre, où insista-t-il encore, il n’aurait mis, à l’en croire, que son talent !

 

BAUDELAIRE ET « LES FLEURS DU MAL » 

Baudelaire, donc, ce paradoxal prince des nuées poétiques : c’est encore à lui qu’Higelin fait explicitement référence dans l’une de ses plus belles et émouvantes chansons : « Chambre sous les toits », sortie, en 1998, sur l’album « Paradis païen » (https://www.youtube.com/watch?v=aYW5wEUQRTU). Tout un programme, certes, cet autre oxymorique titre ! Il y écrit et dit, textuellement :

« C’est un soir où les fleurs du mal s’ouvrent et se pavanent

 Dans la chambre noire des peines de cœur

 Un soir où l’on vendrait son âme au diable ou à Dieu.

 Pour un sourire, une larme (…) »

De fait : c’est la peine, une indicible tristesse, qui envahit aujourd’hui, face à la mort de Jacques Higelin, la nuit noire de notre cœur endeuillé et, avec lui, la perte, encore un peu plus, de notre jeunesse à jamais révolue. Jacques Higelin, « Tombé du ciel  » comme le clamait haut et fort une autre de ses superbes chansons, s’en est en effet retourné, en ce funeste 6 avril 2018, à l’âge de 77 ans donc, vers d’autres cieux, que l’on aimerait imaginer, à défaut d’immortalité, éternels !

 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

*Philosophe, auteur notamment de « Philosophie du dandysme – Une esthétique de l’âme et du cœur » (Presses Universitaires de France), « Oscar Wilde » (Gallimard-Folio Biographies), « Lord Byron » (Gallimard-Folio Biographies) et « Traité de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate à David Bowie » (Alma Editeur).

 


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11 réactions à cet article    


  • Elliot Elliot 6 avril 2018 19:17

    Pour ma part, j’ai d’abord découvert Jacques Higelin comme acteur dans le très beau film « Elle court, elle court la banlieue » de Gérard Pirès d’après Nicole de Buron – film bien oublié aujourd’hui – qui dénonçait avec une verve roborative ce qui allait devenir la norme de notre sociétés, à savoir l’aliénation consumériste et le talent qu’avaient et qu’ont toujours les « managers », nouveaux arbitres des élégances, pour imposer leur vision utilitariste de la société, source des difficultés d’existence aussi bien matérielles qu’existentielles des gens qui n’ont que leur force de travail à offrir pour obtenir les miettes leur permettant de survivre dans un monde de concurrence exacerbée.

    J’ai moins suivi le Jacques Higelin, interprète créateur dont je veux bien reconnaître le talent même si je n’ai jamais eu beaucoup l’occasion ni peut-être le goût d’en apprécier les tonalités.


    • Xenozoid 6 avril 2018 19:59

      @Nenette le génial petit robot

      tu as besoin de 2 ecrans ?

      tu met des lunettes 3d rouge bleu.... tu met un film, un filtre rouge sur un écran, un bleu sur l’autre

      tu fais 10 metres en arriere,tu met tes lunnettes et la tu as le trip


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 6 avril 2018 19:32

      Qui se souvient aussi de Catherine Ribeiro ??? J’étais jeune,.....Demain la mort,....


      • magma magma 7 avril 2018 15:34

        @Mélusine ou la Robe de Saphir.
        Ribeiro + alpe,,, bien sur ! injustement peu connu et sous produite


      • kalachnikov kalachnikov 6 avril 2018 20:06

        Alertez les bébés !

        Ps : moi aussi j’ai vu l’enfer des femmes ici-bas et je veux cette fille et je l’aurai.


        • Clocel Clocel 7 avril 2018 10:14

          Il n’avait que 77 ans !?

          Merde ! Dans mes vertes années, on jetait déjà des cailloux à ses fans !

          Ils doivent plus être très frais...

          Putain, quand je pense à la palanquée de stars craignos qu’il va falloir planter...

          La Société du spectacle au Père-Lachaise ! On mettra Drucker au milieu et tout ses petits tapins autour ! smiley


          • magma magma 7 avril 2018 15:32

            @Clocel
            vous avez Johnny halliiday et les hommages a claude françois et dalida pout vous occuper


          • keiser keiser 7 avril 2018 13:52

            Salut

            Je me souviens ! C’est en 1978, dans un de ces cafés enfumés qui sentait bon le vin, que je vis sur scène, pour la première fois, Jacques Higelin. J’étais jeune, terriblement idéaliste et encore bercé d’illusions sur l’espèce humaine. Je venais d’avoir vingt-et-un ans et, avec mes longs cheveux noirs et mon air rêveur sous mon âme révolutionnaire, quelque peu anarchiste, l’air vaguement romantique. J’allais bientôt terminer ma licence de philosophie, avec une thèse sur Descartes, même si c’était surtout les poètes maudits, Baudelaire et ses vénéneuses mais sublimes « Fleurs du Mal » en tête, qui me tenaient alors de viatique

            Pardonnes moi mais on parle de qui là  !? ...
            De toi, ou de Jacques Higelin ?
            Peut être un vieux retour d’égo nostalgique. smiley 


            • magma magma 7 avril 2018 15:31

              bonjour Salvatore

              je me demandais si quelqu’un ferait un article sur Higelin qui fut musicalement mais idéologiquement un esprit fort et libertaire des années 70. Une époque ou la musique française était pauvre comme le rayon caviar chez leader price. Il est d’ailleurs dommage que l’art en général et la musique en particulier soit si peu suivi de commentaire autre que des conneries bêtes et méchantes, comme si, bête blessée, elle n’était pas tombée si bas.

              J’ai vu Higelin un peu plus tôt, des amis de mes parents les avaient convaincu de me laisser aller avec eux tout gamin. J’écoutais déjà de la pop, mais je me pris une claque sur scène. C’était avant champagne et le casino de Paris, avant les succès (si ce n’est le magnifique pars, qui m’émeut à chaque fois) et après la période baba cool un peu mollassonne et poseuse. La période la moins relevée par les médias et la plus intéressante dans le vide de la musique pop française (qui ne comportait que ange et magma quasiment... et les martin circus...non c’est une blague). J’ai vu une bête de scène qui lâchait ses musiciens tout en les accompagnant dans de long crescendos montant en intensité, pour faire une pop délurée baignant dans de long morceaux orgasmique entrés dans la progressive et le jazz rock. Il se donnait comme un lion, assit, debout, hirsute, exultant, éructant. Aujourd’hui, je me souviens encore de ses titres qui, hélas, Grace a la piètre production française, ne restituent en rien l’énergie de la scène. Alertez les bébés, irradié, mona lisa klaxson, paris new York paris, giant jones, bbh75 et le boxon délirant la foule. Je suis rentré chez moi après un voyage dans un autre monde, et j’en suis devenu musicien convaincu.

              j’ai moins suivi la suite, Mogador et compagnie, j’étais parti propulsé vers d’autres musiques allant plus loin, mais qque part, c’était un peu grace a lui car je ne m’attendais pas a ça.

              a revoir effectivement le film touchant et simple, elle court elle court la banlieue (avec le groupe strychnine je crois).

              oui ici on parle de soi, de son rapport a la musique, comment on a appréhendé la musique, mais ce n’est pas plus mal et pas l’intérêt que de recopier wiki :


              • magma magma 8 avril 2018 12:00

                @magma
                erratum en y repensant, Strychnine c’est dans la bande du rex en 79 avec toujours higelin


              • Gringo Loco 7 avril 2018 19:29

                Champagne mon Jacquot.

                Tu nous laisses avec l’insipide Cali, quelle tristesse !

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