Hommage à Jean Piat : l’adieu à un prince des nuées poétiques
HOMMAGE A JEAN PIAT
L’ADIEU A UN PRINCE DES NUES POETIQUES
Toujours je me souviendrai de ses grands et beaux yeux bleus, que d’aucuns diront, non sans raison, pétillants de malice, mais dans lesquels je préférais voir, quant à moi, d’intenses et vifs éclairs d’intelligence, le tout agrémenté d’une profonde et naturelle bonté, cette générosité d’âme qui n’appartient, chez certains hommes, qu’à la noblesse du cœur tout autant que de l’esprit.
L’esprit, justement ! C’est cette rare qualité de la personne qui caractérisait le mieux, autant qu’il m’en souvienne, ce merveilleux acteur et comédien que fut Jean Piat, né en 1924, et qui vient de nous quitter, à l’âge respectable de 93 ans, dans la soirée de ce 18 septembre 2018.
SOUVENIRS PERSONNELS : UNE HISTOIRE DE MOUETTES
De fait, c’est avec une immense tristesse que je viens d’apprendre sa disparition. Je me rappelle : c’est au mois d’avril 2008, il y a donc un peu plus de dix ans, que j’ai rencontré, pour la première fois, Jean Piat. Âgé donc de 83 ans déjà, il venait de publier, coécrit en compagnie de sa chère femme, Françoise Dorin, avec laquelle il a vécu plus de quarante ans, mais qui nous a quitté elle aussi il n’y a guère si longtemps, huit mois à peine, un petit mais précieux livre, pétri d’un humour fin sur nous-mêmes, « pauvres humains » comme, inspiré là par un célèbre vers de ce « poète maudit » que fut François Villon, il le spécifie sur sa quatrième de couverture : « Quand les mouettes nous volent dans les plumes… », paru chez Plon, était son énigmatique mais joli intitulé. Avec, comme non moins facétieux mais attendrissant sous-titre : « Petits dialogues de plage ».
Ce petit livre, au format quasiment carré et à la couverture élégamment azurée, où voltigeait très significativement un inséparables couple de mouettes, Jean Piat et Françoise Dorin me l’offrirent alors gracieusement, ponctué, par l’un comme par l’autre, d’une très aimable dédicace, écrite, de leur propre main, d’une subtile encre noire : « Merci à Daniel d’avoir su lire ‘Quand les mouettes nous volent dans les plumes’ avec la rareté et le goût qui n’appartiennent pas à tous ! », m’écrivit en effet, très amicalement, Jean Piat, tandis que Françoise Dorin, quant à elle, renchérissait, sur la même page de garde, avec ces mots, non moins affectueux « Pour Daniel, ‘l’oiseau… rare’, plus rare que les mouettes. » C’est dire si ce petit mais précieux livre, que je conserve précautionneusement, bien en vue, sur une des étagères de ma bibliothèque, m’est particulièrement cher ! D’autant que Françoise – c’est comme cela qu’elle m’avait demandé, très simplement, de l’appeler – y avait inscrit aussi, très confidentiellement, leur numéro de téléphone privé à Paris.
Et, de fait : il m’est plus d’une fois arrivé d’appeler par la suite, à ce même numéro, Françoise et Jean, qui, toujours, me recevaient alors avec une identique grâce, une même gentillesse ! Aujourd’hui, maintenant qu’ils s’en sont tous deux allés vers d’autres cieux, je les en remercie bien sûr, et plus que jamais en ces heures douloureuses, avec une très sincère gratitude.
DE CYRANO DE BERGERAC AU CHEVALIER DE LAGARDERE
C’est au début des années soixante, en 1964 très exactement – j’avais alors 7 ans seulement – que j’ai découvert pour la première fois, sur mon écran de télévision en noir et blanc, Jean Piat. Il incarnait déjà alors avec brio, comme par la suite sur les principales scènes de théâtre, Cyrano de Bergerac, chef d’œuvre, comme chacun sait, d’Edmond Rostand. Ce fut ensuite, trois ans après seulement, en 1967, et pour une série télévisée de six épisodes, l’immortel rôle d’Henri de Lagardère (adaptation du roman de cape et d’épée, « Le Bossu », de Paul Féval), qu’il interpréta avec une identique maestria et sensibilité à la fois.
Certes tout le monde a-t-il en tête cette célèbre sentence que, du haut de sa splendide et légendaire voix tout en chaleur veloutée, ce vaillant chevalier de Lagardère prononçait, dans les fossés de Caylus, à l’adresse du perfide Gonzague, qui venait d’assassiner, lors d’un complot lâchement ourdi, le père de la petite Aurore de Nervers, laquelle, ainsi arrachée également à sa douce mère, sera dès lors élevée par ce preux chevalier : « Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ! ». Mais c’est surtout, quant à moi, ces mêmes grands et beaux yeux bleus de Jean Piat qui, en ces tendres années de mon enfance, me frappèrent le plus lorsque, émus jusqu’aux larmes, quoique pudiquement retenues au bord de leur brillant regard, ils contemplaient affectueusement, mais déjà secrètement amoureux, le jeune et délicat visage d’Aurore, précisément, en lui promettant solennellement, alors qu’elle quittait à peine son orpheline adolescence, fidélité et protection.
Car, doté d’un immense talent, tant dans sa gestuelle théâtrale que dans son impeccable diction, Jean Piat, qui entra à la Comédie Française dès 1947, à l’âge de 23 ans seulement, savait, effectivement, tout jouer : le classique « Bourgeois Gentilhomme » de Molière aussi bien que le tragique « Don Quichotte » de Cervantès, en passant, d’un Georges Feydeau à un Sacha Guitry, par les très comiques et même hilarantes pièces de boulevard.
DES « ROIS MAUDITS » AU « ROI LION », EN PASSANT PAR « LAWRENCE D’ARABIE » ET LE « SEIGNEUR DES ANNEAUX »
A tout seigneur tout honneur, cependant ! C’est très probablement dans la célèbre fresque historique, d’après Maurice Druon, des « Rois Maudits », révélée au grand public, en 1972, par télévision française, que Jean Piat, qui interprétait là le magnifique mais dramatique rôle de Robert d’Artois, atteignit, sur le plan cinématographique, le sommet de son art.
C’est, du reste, à un autre type de roi, appartenant au règne animal celui-là, le vengeur Scar, frère cadet du souverain Mufasa dans un inoffensif dessin-animé tel que « Le Roi Lion », que ce comédien hors-pair, fabuleux acteur également, prêta, avec un même génie expressif, sa fameuse voix, aussi chaleureuse dans son inimitable timbre qu’étincelante dans sa parfaite élocution, toujours châtiée, et, comme telle, identifiable entre mille.
Chose peut-être moins connue : c’est aussi au somptueux Lawrence d’Arabie que Jean Piat prêta, pour la traduction française du film éponyme, son aristocratique voix, tout comme, plus récemment, au mage Gandalf dans les mythologiques « Hobbit » et autre « Seigneur des Anneaux », d’après Tolkien !
L’ALBATROS DE BAUDELAIRE : POETIQUE PRINCE DES NUEES ARTISTIQUES ET HUMAINES
Mais, plus qu’un roi, aussi bien de la tragédie que de la comédie, Jean Pat, l’un des derniers mais illustres représentants de cette « race des seigneurs » telle que surent la sublimer théâtre et cinéma conjoints, fut ainsi pour moi, tant par cette indéfectible élégance qui le distinguait que par cette gracieuse générosité qui l’animait, un véritable prince : ce prince des nuées, artistiques et humaines, qu’évoqua si bien, en son poétique ciel, Baudelaire en personne dans son éternel « Albatros » : une métaphore, celle-ci, que l’un des deux auteurs, Jean Piat en personne, de ces « mouettes qui nous volent dans les plumes » précisément, n’aurait certes pas, par-delà son évidente et très louable modestie, démentie.
Adieu, donc, cher prince !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur, notamment, de « Traité de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate à David Bowie » (Alma Editeur).
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