Honte médiatique française et Palestine…
Laurent Delahousse : « c’est une zone du monde dont on avait trop vite oublié le caractère explosif. » Dit sur la 2 le 7 octobre dernier à propos de la Palestine… Ce ne serait pas plutôt cher Mister brushing « les grands médias avaient oublié ? » À comprendre, qu’avant cette date, pour de très nombreuses rédactions françaises, les attaques meurtrières perpétrées par le Hamas sont apparues comme un violent coup de tonnerre dans un ciel relativement serein. L’art de parler des « incidents » entre israéliens et palestiniens de manière sibylline, comme des entrefilets qui au fil du temps (depuis 1948 tout de même), sont devenus une sorte de routine : quelques palestiniens tués, d’autres expropriés de force de chez eux, des arrestations musclées d’enfants à Hébron, des colons mauvais coucheurs et même certaines égéries telle, Ahed Tamimi nommée : le nouveau visage de la révolte. Quelques images par-ci par-là, des 4ᵉ page intérieure, puis, on éteint la lumière et on change de sujet, « les gens ont mieux à faire que de s’apitoyer sur ces bédouins » se disent ceux « In charge », qui bien souvent sont des sionistes pur jus et défenseurs acharnés d’Israël. (Lire : Le printemps des Sayanim de Jacob Cohen).[i] Il faut dire que la machine médiatique est au service d’un soutien inconditionnel à l’armée israélienne et de la déshumanisation des gazaouis[ii] depuis le 7 octobre, comme si, ce conflit avait commencé à cette date : David Pujadas, sur le plateau de LCI, remettait ainsi en cause la valeur humaine des civils palestiniens et se demandait : « est-ce qu’il faut dire, un civil à Gaza, c’est la même chose qu’un civil à Israël ? ». Sur BFM-TV, Raphaël Einthoven tenait des propos similaires et appelait « victimes collatérales » les morts palestiniens pour déresponsabiliser totalement l’Etat sioniste de ses crimes. Passons sur les atrocités entendues sur toutes ces chaines avec des : « il faut les exterminer », « tous terroristes, même les enfants qui le deviendront élevés au biberon de la haine des juifs », « il faut rentrer dans Gaza et tout détruire » et autres propos qui devraient être censurés et condamnés ; que nenni, les BHL en tête font de la surenchère sans être interrompus aucunement par des Salamé et les semblables de la caste…
Le présentisme des médias[iii] : leur propension systématique à la déshistoricisation de chaque nouvelle étape du conflit en le traitant à la fois comme s'il ne s’inscrivait pas dans une histoire longue et dans un contexte spécifique. Un exemple : sur le catalogue de l’INA (institut national de l’audiovisuel), entre le 1ᵉʳ janvier et le 1ᵉʳ octobre 2023, le 20 heures de France3 n’a consacré en neuf mois que 10 sujets sur le conflit, et sur cette période, le temps de parole des Palestiniens a été de 33 SECONDES ! Il y a eu qu’un seul point à traiter du sujet des colons commettant des exactions contre les palestiniens dans les territoires occupés de Cisjordanie… Nulle part ne fut mentionné le bilan meurtrier de l’année 2023 avant le 7 octobre,[iv] qui se montait déjà à plus de 300 morts.[v] C’est aussi une guerre sémantique : « le conflit » = « Lutte armée, combat entre deux ou plusieurs puissances qui se disputent un droit. » La Palestine n’est pas reconnue comme un pays par les Nations unies, mais comme un "État observateur non membre" depuis 2012. Israël, n'a pas précisé ses délimitations de frontières dans sa déclaration d'indépendance en 1948 ; Cependant, à la suite de la guerre des six jours de 1967, la résolution 242, approuvée à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU souligne « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre » et insiste sur la « nécessité d’œuvrer pour une paix juste et durable » et demande le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du récent conflit »…[vi] Vœux restés lettre morte depuis. Entre ces deux entités, utiliser le mot « conflit », c’est faire croire que deux armées s’opposent. Il n’en est rien, d’un côté, oui, il y a une armée puissante et organisée, de l’autre, des civils qui, selon où on se place, peuvent être définis comme des terroristes (le Hamas) ou des résistants (le peuple palestinien)… « Territoires occupés », doux euphémisme pour dire, territoires pris par la force et colonisés, même si cela sonne comme un terme déplaisant et où facilement, on peut se retrouver taxé d’antisémite. « Implantations », terme voulant masquer que des colons « s’implantent » de force, contre la volonté et au prix de la vie de ceux qui sont là depuis la nuit des temps. « Cisjordanie », appelé par les colons du nom biblique de « Judée-Samarie », nom qui ouvre des débats sans fin entre le biblique et les samaritains et plus récemment historiquement les accords après la défaite de la Jordanie contre Israël… Il n’empêche, pour 500 mille Juifs, il y a 3 millions d’Arabes.[vii]
Tout a bien changé ! En 2011, on pouvait lire : « Journalistes sous influence : « Nous ne sommes […] pas dans le registre rigoureux de l’analyse scientifique, si souvent emprunté par l’auteur, mais bien dans la polémique, avec une visée de dévalorisation très forte des journalistes. Ces propos sont repris de l’article d’Arnaud Mercier, l’un des auteurs de ce chapitre. Parmi les contributions de ce chapitre sur les influences et les contraintes du travail des journalistes, seul le texte conjoint des deux derniers auteurs se rapproche des conclusions de Dayan sur le parti pris pro-palestinien de la presse française. » L’introduction du texte était : « Le conflit israélo-palestinien est un conflit extrêmement médiatisé. »[viii] 13 ans plus tard, et avant le 7 octobre, le contraire pouvait être avancé : un « conflit » médiatisé, mais pas trop, car, s’important en France au moindre soubresaut et attisant l’antisémitisme, et l’hystérie CRIFienne ; donc, n’en parlons pas trop et les moutons seront ainsi bien gardés ! Et puis, au fil du temps, les journalistes avaient eu assez d’espace pour se dévaloriser eux-mêmes au point que dans les statistiques… Aussi bidonnées que le reste : FranceInfo[ix] le 23 mars 2023 : Médias : 84% des Français jugent le journalisme utile et le 22 novembre 2023 toujours sur FranceInfo[x] : Plus de la moitié des Français ne font pas confiance aux médias sur les sujets d'actualité… Il faut dire qu’entre 2011 et 2024, il y a eu la razzia des milliardaires sur tous les médias et sur les instituts de sondages, d’où cette cacophonie organisée, qui en bout de course sème la confusion dans les esprits et crée le désintérêt. C’est bien connu, quand il y a désintérêt, les chats milliardaires dansent et les souris se font croquer !
Le nouveau journalisme : qu’il soit français, israélien ou occidental, comme témoigne Oren Persico, rédacteur à The Seventh Eye, un magazine d’investigation indépendant axé sur la liberté d’expression en Israël qui déclare à +972 : « Il y a un cycle dans lequel les médias s’abstiennent de confronter le public à la vérité inconfortable et, par conséquent, le public ne la demande pas ». Les médias et les journaux télévisés, en particulier, ont pris des mesures actives pour se positionner comme l’incarnation de la voix de leur peuple. Ils définissent ce qui est dans l’intérêt public, tracent les limites du discours politique légitime et ne présentent qu’une certaine « vérité » aux citoyens. Cette position sert à la fois leurs propres intérêts commerciaux, ainsi que les intérêts nationaux déclarés par le gouvernement, l’armée, les lobbies et les grandes compagnies.[xi] Ce faisant, les journaux télévisés sont constamment sur la corde raide entre la propagande et le journalisme de cour. Sortir de la doxa, c’est carrément s’autodétruire, et donc, bouches cousues de fil blanc et doigts sur la couture. Une nouvelle donnée pour ce qui se passe à Gaza : 83 journalistes et employés palestiniens travaillant dans la presse ont été tués à ce jour. Les journalistes ne meurent pas de balles perdues ou de dommages collatéraux causés par les bombardements. Ils sont directement pris pour cible par Tsahal, afin d'empêcher que la guerre et les horreurs soient documentées.[xii] Cela doit être pris en compte lorsque vous vous retrouvez à couvrir ce conflit, d’où énormément de journalistes, particulièrement ceux d’occident qui doive se dire, que le jeu n’en vaut pas la chandelle. En rassemblant tous ces éléments cités, ne peut-on pas dire que l’info plurielle est morte ? Albert Londres ne disait-il pas que « le journaliste est celui qui porte la plume dans la plaie », alors qu’aujourd’hui, son rôle serait plutôt d’être celui qui cautionne et cautérise ? À voir…
Georges ZETER/avril 2024
Vidéo ISRAËL-PALESTINE, COMMENT EXPLIQUER CE FIASCO JOURNALISTIQUE
[ii] https://www.revolutionpermanente.fr/Comment-les-medias-participent-a-criminaliser-tout-soutien-a-la-Palestine
[v] https://lecourrier.vn/lannee-2023-est-lannee-la-plus-meurtriere-pour-les-palestiniens-depuis-1948/1224094.html
[ix] https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/sondage-medias-84-des-francais-jugent-le-journalisme-utile-un-score-historiquement-faible_5735621.html
[x] https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/plus-de-la-moitie-des-francais-ne-font-pas-confiance-aux-medias-sur-les-sujets-d-actualite-selon-le-nouveau-barometre-la-croix_6197730.html
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