Humeur et rumeur
LE CERCLE. Avons-nous plus de chance de faire passer une rumeur en fonction de l’humeur de notre interlocuteur ? Car si tel est le cas, il sera judicieux de choisir le bon moment pour le bon état d’esprit de l’individu désigné pour propager notre rumeur.
D’instinct et avant de lire cet article, posez-vous la question de savoir si selon vous, pour qu’un individu propage votre rumeur, vaut-il mieux qu’il soit de bonne ou de mauvaise humeur ?
Dans les années 90, les psychosociologues vont décrire l’approche hédoniste du traitement de l’information. Le principe est simple. Il repose sur le fait que nous cherchons tous à conserver un état affectif agréable. L’individu de bonne humeur aura tendance à rester ainsi.
Dans une situation de confort, on a peu tendance à changer cet état de fait. La personne n’investira pas dans une autre activité. Dans ce contexte, nous avons tendance à traiter l’information de manière superficielle.
En psychologie, ce phénomène s’appelle "le traitement heuristique (ou périphérique) de l’information". Un environnement positif est perçu comme n’appelant que peu de ressources cognitives de notre part. Dans un contexte où les risques d’erreurs sont de peu de conséquences, le processus heuristique domine et ce processus est rapide. Les moyens cognitifs sont bas et l’environnement peu impliquant. Cette situation est de nature à favoriser une bonne diffusion "rumorale".
Par opposition, quelqu’un dans un état émotionnel négatif va s’investir dans le traitement de l’information dans le but de modifier cet état. L’analyse de l’information est en profondeur. Cela est peu propice à notre rumeur. Le processus informationnel étudie et compare avec des représentations déjà acquises antérieurement et appelle une réflexion mentale et une centralisation importantes.
Notre univers est classé comme problématique, voire menaçant. Toutes nos ressources cognitives sont mobilisées et l’information est scrupuleusement analysée et estimée avec des représentations déjà acquises.
L’humeur négative amène les individus à traiter l’information de façon plus systématique. En psychologie, cela s’appelle "traiter l’information par voie centrale". Dès lors, le sens critique est plus aiguisé et l’argumentation devra être mieux construite pour "passer". Ceci n’est pas bon pour nos rumeurs…
Un contexte très impliquant appellera une approche par voie centrale et un contexte peu impliquant pour le sujet fera appel à une logique périphérique.
Exemple : En 1990, nos psychologues vont démontrer que des individus ayant très peur du cancer (car fumeurs invétérés) seront plus analytiques et donc critiques devant un message antitabac que ceux qui n’en ont qu’une peur modérée. Cela corrobore la thèse du traitement de l’information par voie centrale dans des cas de forte anxiété. Encore une fois, ce traitement est préjudiciable à la diffusion rumorale.
Il est relativement simple de faire basculer un individu d’un mode à l’autre.
Gleicher et Petty, en 1992, ont fait une expérience avec des décideurs universitaires. Il s’agissait de prendre la décision de créer, ou non, une patrouille de surveillance sur un campus universitaire où avaient eu lieu des délits mineurs.
Dans l’expérience, le présentateur fait précéder son message de création de patrouille comme une solution "très efficace". Cet aspect rassurant a fait que les individus sont passés en mode heuristique avec traitement périphérique de l’information. Dans une expérience similaire, le présentateur avait exposé sa solution comme "peu efficace", donc peu rassurante. Les décisionnaires sont "repassés" en traitement par voie centrale et se sont mis à examiner et argumenter point par point.
Comment favoriser ce traitement heuristique (pour aider nos rumeurs) :
1) La rumeur doit venir d’un expert, en vertu de la croyance "expertise = fiabilité = passage en mode cognitif bas". On sous-estime souvent l’utilité des experts…
2) La preuve sociale : la prise de décision d’un individu dépend directement du nombre de personnes qui ont pris cette même décision dans son entourage. Beaucoup de gens approuvent, donc cela doit être vrai. Plus on est de fous…
Donc, collez bien aux croyances collectives (et surtout aux stéréotypes) du groupe.
Cas particulier : un auditeur sous l’emprise de la colère. Comment l’information est-elle traitée sous l’emprise de la colère ? Intuitivement, on supposerait facilement que la colère s’apparente à la mauvaise humeur. Des études récentes laissent penser le contraire.
Un individu en colère prendrait en compte l’ensemble de l’information disponible, ce qui est une caractéristique du traitement heuristique de l’information (le traitement par voie centrale a tendance à analyser les informations une à une). Ainsi, la colère comme la bonne humeur ferait baisser la garde du protagoniste.
Si ces expériences se confirment, se servir des coléreux comme vecteur de rumeur peut se révéler judicieux, car ils pourraient bien se révéler être d’excellents propagateurs.
À surveiller.
Laurent Gaildraud
"Orchestrer la rumeur" - Eyrolles
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