iCloud : Steve Jobs prépare la radio du 21ème siècle
Le 6 juin, lors de la WDC, Steve Jobs vient en personne ouvrir le feu par l’une de ces allocutions dont il a le secret. Une façon comme une autre de nous rappeler qu’il est « alive and well » (vivant et bien portant) comme on dit outre-Atlantique. Pourtant, s’il tient à être présent lundi, c’est parce que Steve nous prépare une annonce de taille et que pour rien au monde, il ne voudrait rater cela !
[1] WDC : World Developer Conference – Conférence Mondiale des Développeurs
Que l’on ne s’y trompe pas : si des nouveautés sont attendues en matière de MacOS et de logiciel, l’annonce majeure est celle de iCloud. Il semblerait même qu’il s’agisse d’une annonce aussi importante que celle de l’iPod, de l’iPhone et de l’iPad. Elle devrait constituer une nouvelle étape dans la consommation de la musique et à terme, de télévision, de cinéma et de jeu vidéo. Il semblerait même qu’Apple soit en mesure de réussir là où d’autres ont essayé en vain depuis une dizaine d’années…
Faisons un retour en arrière… À partir de l’automne 2001, l’iPod a révolutionné la manière de déguster sa collection musicale. Au lieu d’avoir à écouter un CD à la fois, ou certains morceaux de CDs appréciés, le mélomane s’est retrouvé du jour au lendemain avec des milliers de titres dans un petit appareil. Ce fut, pour paraphraser la marionnette de Jobs sur Canal+, une « révolution ». Et iTunes en a habitué plus d’un à acheter des morceaux à l’unité plutôt que d’avoir à se procurer un CD entier juste parce que l’on aime une chanson particulière.
Pourtant, posez la question à ceux qui disposent de leur bibliothèque musicale sur un iPod Touch, un iPhone ou autre support. Quand bien même elle comporte des milliers de morceaux, bien vite, un sentiment de lassitude s’installe. Idéalement, il faudrait constamment renouveler sa collection de morceaux et ce n’est pas toujours aisé à faire.
La solution à cette situation est apparue dès l’an 2000 avec des services de radios personnalisées. Dès cette époque, le service SonicNet proposait d’écouter des chansons qui vous étaient suggérées à partir d’une liste d’artistes appréciés. Vous lui indiquiez par exemple : « j’aime bien Miles Davis, Oasis, Diana Krall… » Il construisait alors un programme d’écoute personnalisée composée d’artistes similaires : Coltrane, Blur, Madeleine Peyroux… Le point intéressant, c’est que Sonicnet suggérait ces artistes à en se fondant sur le principe de la communauté de goûts. Il le déduisait en analysant quels chanteurs, quels musiciens, quels groupes étaient appréciés par d’autres internautes appréciant Miles Davis, Oasis ou Diana Krall. Il était donc en mesure de proposer des suggestions appréciables.
La crise des valeurs Internet a emporté Sonicnet et son service a rapidement disparu. Vers 2006, Yahoo a tenté une expérience similaire, Yahoo Music, mais elle est demeurée sans lendemain. D’autres radios personalisées sont apparues telles que Spotify ou encore Jango, un service américain méconnu en Europe. Deezer propose un tel service mais il est imparfait. Je suis abonné à Jango depuis 2007 et je peux témoigner : j’ai découvert des dizaines d’artistes par ce biais, des artistes dont j’ai par la suite acheté des morceaux ou des albums entiers : Wilco, Lisa Ekdhal, Miike Snow…
La radio personalisée est une forme d’écoute imparable. L’on obtient un cocktail qu’aucune radio ‘classique’ ne pourrait jamais vous apporter. Par exemple, 5% d’opéra, 55% de rock, 10% de jazz, un zeste de country, de la nouvelle chanson française… Une fois que l’on y a pris goût, difficile de revenir en arrière. L’on peut même faire évoluer sa radio personalisée à tout moment en cliquant à la volée sur des boutons « j’aime », « j’aime pas »…
Voilà ce qui se profile à travers iCloud. Bien évidemment, à première vue, ce n’est pas la fonction première du service. L’idée, ce serait de pouvoir écouter sa bibliothèque musicale en streaming de n’importe où, de disposer d’un juke box accessible où que l’on soit. C’est ce que propose Amazon depuis la fin mars et Google lui a emboîté le pas. Tous deux ont procédé sans l’accord des maisons de disque. Le souci, dans ces deux offres, c’est qu’il faut télécharger ses morceaux vers les disques durs d’Amazon ou Google, une opération longue et fastidieuse.
Steve Jobs, une fois de plus, a vu plus loin. Il s’est acharné à décrocher des accords avec les maisons de disque : Warner, EMI, Sony, Universal... Il va en résulter un service payant, mais, tout comme pour le couple iPod – iTunes en son temps, une facilité d’usage hors pair, dans la pleine tradition Apple. Il se trouve qu’en 2009, Apple a racheté une technologie du nom de Lala, à même de faire correspondre les titres présents sur un disque dur avec un catalogue centralisé. Avec l’iCloud, il ne sera donc pas nécessaire de télécharger des milliers de morceaux vers un serveur externe. À peine connecté une première fois au service, ils seront immédiatmeent disponibles sur tous les appareils numériques utilisés. Une fois de plus, Jobs fait le pari comme quoi les utilisateurs seront prêts à payer en échange d’une qualité de service.
iCloud ne devrait pourtant pas logiquement s’arrêter là. Nous l’avons vu, écouter les morceaux que l’on possède déjà est rapidement lassant. C’est la fonction « suggestion » qui est la plus intéressante. Or, à partir de l’immense communauté des utilisateurs d’iTunes, Apple est en mesure de proposer une radio en streaming à nulle autre pareille. Une radio qui proposera un mix des morceaux que l’on possède et de ceux qu’apprécie ceux qui ont les mêmes goûts. Et hop ! Par ce biais, les maisons de disque trouvent une façon de nous proposer régulièrement leurs nouveautés, de faire payer les morceaux à l’écoute à travers ce qui va devenir une forme d’écoute incontournable. Vous aimez Bénabar ? Ecoutez donc le nouveau Vincent Delerm. Vous aimez le folk ? Quid de ce nouveau groupe qui vient d’arriver ?...
Apple est la mieux placée pour proposer ce service car elle vend par ailleurs l’équivalent du transistor d’hier avec ses iPhone, iPad et iPod (sans oublier ses ordinateurs). La société de Jobs est donc en mesure de faire avancer en parallèle ses services d’offre de contenu et ses appareils d’écoute. Amazon dispose certes de ses Kindle mais ils sont avant tout dédiés à la lecture. Google est avant tout une société de logiciel et quand bien même elle diffuse le système Android dans la téléphonie mobile, elle ne peut prétendre à une présence aussi diversifiée qu’Apple dans les appareils d’écoute.
Là n’est pas tout. Avec un service comme iCloud, Apple pourrait prendre pied à très grande échelle sur le marché publicitaire, jusqu’à présent détenu par Google. La raison est inattendue mais elle n’est en pas moins forte. C’est une étude menée par le Medialab qui l’a fait ressortir : il apparaîtrait que ceux qui aiment la même musique, ont souvent des goûts similaires en matière de vêtement, de meubles, d’objets de la vie courante. Il serait donc possible, pour celui qui prend bien sur ce marché, de dépasser le modèle simplistes des mots-clés de Google (je tape « vélo » et j’ai des annonces sur les vendeurs de bicyclettes) pour aller à un modèle où la communauté aiguillone les publicités d’autres membres de la communauté. Un exemple : cet internaute apprécie Axelle Red, Mozart et REM et aussi les meubles IKA. Un autre internaute aimant ces mêmes musiques se verrait proposer des annonces de cette enseigne sudéoise…
L’iCloud en tant que radio n’est qu’une première étape. Apple devait naturellement y intégrer une offre de contenu vidéo. Et pourrait donc réussir là où Joost, le service de télévision à la demande lancé il y a quelques années par les créateurs de Skype a échoué. Le temps où il sera possible d’obtenir un programme à la demande (« un film avec Robert de Nyro », « un documentaire sur New York ») mais aussi un programme construit de toutes pièces à partir de ce que l’on aime n’est plus très loin, et là encore, le modèle de la télévision traditionnelle devrait en être bousculé. Et Apple est désormais en mesure d’offrir ce même service dans le secteur du jeu vidéo : l’iStore compte des dizaines de milliers de titres et les plus grands éditeurs du domaine se sont déjà ralliés à la cause.
Ainsi donc, l’iCloud se dessine bel et bien comme une « révolution ». Comme pour d’autres phénomènes déjà apparus (l’iPod, l’iPad…), Apple arrive sur un terrain que d’autres ont déjà défriché. Toutefois, Steve Jobs arrive au bon moment et semblerait avoir une fois de plus concocté LA solution la plus maline, la plus efficace, la plus conviviale. Chapeau l’artiste.
Daniel Ichbiah, auteur de « Les 4 vies de Steve Jobs »
Editions Leduc S.
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