Il est encore plus facile d’être cinéaste que photographe
J’ai une si haute idée de la photographie que, jusqu’à présent, j’hésite parfois à me présenter comme photographe, pourtant je prends des photos tous les jours et j’ai participé à la formation de nombreux photographes. Je dis plus simplement que je suis cinéaste, parce qu’il est encore plus facile d’être cinéaste que photographe. La singularité de l’image photographique est qu’elle joue sur la qualité, alors que le cinéma est une affaire de quantité d’images qui, par leurs successions, créent une illusion de réalité et de vie par laquelle nous nous laissons embobiner. Fantastique n’est-ce pas ? En photographie, il faut réussir à produire cet effet avec une seule image qui est un concentré de mouvements, de réalité et de vie. En un instantané de lumière, saisir une réalité plus proche du (vrai) de la réalité. L’illusion du cinéma, comme le sucre, attire les fourmis. En ces temps de l’audiovisuel et du numérique, beaucoup de jeunes fanfaronnent en se disant cinéastes sans connaître la réalité du cinéma. Le vrai cinéma, c’est la photo.
La photographie au Japon
J’ai appris la photographie au Japon, ce paradis des appareils et de l’image. Investi d’une forte tradition picturale des ukiyo-e (estampes japonaises) ce pays regorge des meilleures images qu’on puisse réaliser au monde. Quels que soient les lieux, les rues, les magasins, les bus, les trains, les métros, l’on est submergé de belles images.
La quantité de photographes se chiffre par millions et la concurrence y est très dure. Dans ce pays de près de cent trente millions d’habitants, il est impensable de trouver un seul individu n’étant pas doté d’un appareil photo. Mon maître de photographie est un monsieur d’une si grande humanité qu’il se vexerait qu’on lui attribue le titre de Maître. Il est simplement un passionné de photographie, passion qu’il voulait mettre au service des grandes causes, de l’époque : les mouvements anti-apartheid, les luttes de libération en Afrique, Guinée Bissau, Mozambique, Zimbabwe … Mais le soutien d’une cause juste ne nourrit pas le photographe. Pour trouver des contrats au Japon, Il faut sortir de l’ordinaire, avoir beaucoup de créativité et d’ingéniosité. Des idées, il n’en manquait jamais. Pour obtenir les résultats qu’il cherchait en photographie, il bricolait, transformait, fabriquait sans arrêt. C’est ainsi qu’il s’est fabriqué une caméra lui permettant de supprimer la perspective sur les photos. Ce qui lui a permis de prendre beaucoup de photos de trains, notamment le Shinkansen (train le plus rapide du monde à l’époque) que nous pouvons admirer dans toute sa longueur sans l’effet de la perspective. Son procédé, génial, est une sorte de film-caméra avec une bobine débitrice et une bobine réceptrice comme pour le cinéma, sauf qu’ici l’objectif est de réaliser une photo fixe. La pellicule tourne en continu et se déroule derrière une fente, aussi mince que le tranchant d’une lame de rasoir, qui laisse passer la lumière… la vitesse du déplacement du train combiné et synchronisée avec la vitesse de déroulement du film en sens inverse, de savants calculs de haute précision, qu’il effectue avec passion. La vente de ses brevets était aussi, d’un appoint non négligeable. Son amour des arts et son ingéniosité à inventer des technologies appropriées pour mettre en valeur les objets archéologiques ont fait de lui le photographe joujou de certains musées. Il s’est longtemps consacré à réaliser des photographies des éléments archéologiques exhumés de la période Jomon -poterie, figurines, bijoux, divers objets d’art et autres témoignages de la vie, immensément riche, de cette période des ancêtres des Japonais. A titre d’informations, la période Jomon s’étend du 15ème millénaire à 300 ans avant J.-C. Comme quoi la photographie mène loin !
Mon apprentissage de la photographie au Japon, relève plus de l’initiation que de la formation technique dispensée dans les écoles modernes de photographie.
En ces temps là, on pouvait dire que, d’une certaine manière, le photographe vivait dangereusement. De la prise de vue au développement et tirage au laboratoire, la moindre erreur pouvait être fatale. Sous des apparences de calme, la tension du chasseur, attentif et actif pour saisir l’instant, palpitations du cœur, bloquer la respiration, les détails les plus infimes étaient à prendre en considération. L’incertitude jusqu’aux derniers moments du développement de la pellicule, on ne savait pas si l’oiseau a été pris au piège ou pas. La chambre noire, le dosage des différents bains : le révélateur (de l’invisible), le bain d’arrêt, le fixateur, tout cela est bien entendu, vécu avec un plaisir permanent.
J’ai été aussi, fortement influencé, pour la photo comme pour le cinéma, par un autre grand photographe et cinéaste, Claude Gagnon : un Canadien japonais. A le voir travailler dans sa salle de montage, un véritable "Coppola". Il a été le monteur et coproducteur avec sa femme, Yuri Yoshimura, de mon film : L’Homme d’Ailleurs.
Que de bons souvenirs tout ça.
La rédaction de cet article m’a été inspirée par le Groupe Clic & Déclic de Facebook, initié et animé par le génie de Rachele Crasso, afin de répondre à des questions que me posaient des membres du groupe.
MORY TRAORE
Abidjan, Côte d'Ivoire.
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