Il est né le divin Sarkozy
Dans un billet du Monde du 15 janvier 2006, Dominique Dhombres ironise sur la prestation de Nicolas Sarkozy dans le JT de Claire Chazal où, paraît-il, nous aurions assisté à un remake français du Christ de Mel Gibson. En fait, la rhétorique puisée dans les Evangiles n’est pas passée inaperçue.
« Pour ceux qui l’ont manqué, ou auxquels leur médecin interdit ce genre d’émotion, on résume ce petit calvaire cathodique, remarquablement exécuté. Que ressentez-vous ce soir ?, s’enquérait la glaciale. Beaucoup d’émotion, répondait Jésus Sarkozy de Nagy-Bocsa. Lorsqu’on n’a pas soi-même éprouvé la souffrance, on ne peut pas comprendre. J’ai bientôt cinquante-deux ans. J’ai connu des difficultés, des échecs, des épreuves. Je les ai surmontés. J’ai voulu pendant longtemps dissimuler tout cela, le garder pour moi. Mais l’élection présidentielle, c’est une épreuve de vérité, et je veux apparaître en vérité, disait-il encore (...) (Dhombres dans Le Monde).
Par ailleurs, Sarkozy a affirmé qu’il irait tout seul, le jour venu, vers les Français et qu’il voit ce qu’il faut faire pour la France. Nous sommes tout ouïs, quoique, en cette matière, ce soit de vue qu’il s’agit, et qui sait si Sarkozy ne nous rendra pas la vision de la voie, nous qui étions aveugles depuis des décennies, l’esprit embrumé par les idéologies de l’assistanat et du "se la couler douce" avec la joie du "remets tes tongs" (RTT), la culture de la "loisiveté", les aspirations aux loisirs loués par les socialistes, alors que la véritable émancipation, elle se fait par le travail, par le patrimoine qui en découle et par la transmission aux héritiers, juste récompense d’une vie de labeur menée au nom des idéaux familiaux. D’ailleurs, famille française ou famille de l’UMP, le parrain, pardon, notre père Sarkozy, il y tient, et jure par des valeurs sûres, incarnées notamment par la fécondité des femmes françaises, de la progéniture desquelles il se préoccupe, qu’il faut garder, pendant que madame construit avec son compagnon la demeure qui représentera le symbole de tout un travail, un mérite, presqu’un héroïsme en ces temps où les assistés et les étatisés dilapident l’argent en consommation. Oui, il faut taxer le consommateur, mais pas le travailleur. Bien étrange que cette éthique de l’ascétisme appliquée à l’individu. Serait-ce là le signe d’une aspiration toute protestante qu’un Max Weber aurait analysé (faussement) comme le nouvel âge du capitalisme prôné par Sarkozy et sa louange envers l’ascétisme du propriétaire ?
Ces caricatures du fonds de commerce sarkozien énoncées, on s’intéressera à cette tendance au religieux déjà présente chez sainte Royal et affirmée aussi chez Sarkozy. Plutôt religiosité, émotions, voilà une évolution récente de la politique, sorte de chaleuritude humaine, simplement et divinement.
Dans Le seul et vrai paradis de Lasch, livre écrit sept ans avant l’investiture de G.-W. Bush, on peut lire une étude très instructive sur le pragmatisme de William James et sur la figure du héros spirituel dans le monde moderne, celui qui est doublement né. Comme tous ces quatre millions d’Américains se réclamant du born again, amalgame de l’Eglise et de la confrérie, dont fait partie le maître de la Maison Blanche (Lasch, Le seul et vrai paradis, p. 262, Climats), être deux fois né, c’est découvrir la bonté de l’existence en sortant régénéré d’expériences de doutes et de souffrances. Celui qui est né une fois ne peut encaisser l’adversité, contrairement à celui qui, deux fois né, se purifie d’une cathartique rédemption après un voyage dans le tragique. Enfin, n’exagérons pas, adversité suffit. Et c’est de cette épreuve, de cette immersion dans le Jourdain des obstacles que Sarkozy est sorti, grâce à une palanquée de Jean-Baptiste qui ont démultiplié les stations de ce chemin de croix parcouru par notre Sarkozy maintenant élu pour se présenter à l’élection d’un peuple élu par les médias, enfin, c’est ce que l’on croix... être sur le chemin.
Sarkozy en visite au Mont Saint-Michel ; Sarkozy louant les œuvres humaines motivées par la spiritualité, Sarkozy croyant aux forces de l’Esprit, comme jadis un certain François Mitterrand auquel il a attribué une célèbre phrase sur le monopole du cœur dont l’auteur était VGE. Drôle de lapsus. Esprit, qu’en dis-tu ?
La politique française reste ancrée sous le sceau du sacré, avec quelques effleurements mystiques, quelques fragrances religieuses, les héros en odeur de sainteté. Évidemment, les Français ne se poseront pas de question sur les connivences entre Sarkozy et les grands groupes industriels. C’est la règle. La puissance mystique sur les masses est alliée des puissances financières, comme du temps d’Adolf H. ou de G.-W. Bush. Ces puissances ont été maléfiques. Elles sont sans doute devenues neutres, mais pas forcément amies de l’éthique. La paresse et l’addiction consumériste font les profits des puissances industrielles. Faut-il venir en aide aux esclaves de la modernité ? Non, l’homme a les moyens de se ressourcer, sans croyance, sans artifice, avec l’étincelle de salut qu’il porte en lui et qu’il peut capter en prenant soin de ne pas éteindre ce feu sacré intérieur. Et s’il se rebelle, qu’il devienne raisonnable et attaque les puissants au lieu de s’en remettre à ces faux prophètes de la politique. C’est tout le système économique qu’il faut revoir.
Le travail, c’est aussi l’exploitation, la précarité, l’inquiétude de rester en place, l’obligation de se soumettre au chantage des patrons, le harcèlement moral, la perversion des petits chefs, la sélection darwinienne des plus performants... et notre oint Sarkozy d’affirmer, avec l’émotion et contre toute forme de raison, que le travail rend libre !
Le sacre de Sarkozy, comme celui de Royal, est une comédie, une parodie de destin. La France n’est pas là où veut la trouver Sarkozy, elle n’est pas plus chez Mme Royal, en vérité, la France n’existe plus comme nation, et de ce naufrage spirituel des masses éduquées et laborieuses, nos deux gourous de la kermesse des bonnes volontés et des bons cœurs font le lieu irréel de leur affrontement. Le scrutin qui arrive dévoile l’errance humaine dans une société peinant à se situer. Comment la France en est-elle arrivée à ce point, balancée entre haute technologie et misère spirituelle ? Je n’ai pas la réponse, pas plus que Bernard Stiegler.
D’ailleurs, ce dernier évoque une télécratie. Au vu du reportage de Benoît Duquesnes sur la 2, on ne saura que constater cette maîtrise de l’image par les deux candidats, à égalité sur ce plan autant que dans les sondages. Une chose est certaine, Sarkozy est un excellent comédien doté d’un QI politique très élevé. Les militants en pleurs, tels les fans des Beatles venus voir leurs idoles en 1965 ou des groupies perchées devant les marches du palais scrutant l’apparition de leur vedette. En fin de compte, le constat est banal. Américanisation de la politique et maîtrise de l’image pour se faire élire. Tony Blair a été un maître en la matière. Ce n’est pas pour cela que le Royaume-Uni a été mal gouverné. Londres a même eu les JO. Les électeurs jugeront. Nous n’avons pas d’autre issue, il faut une personne dans le fauteuil de l’Elysée. Mais nous avons le choix entre le Fils prodige qui a changé et la madone qui nous protège. Pour le reste, tout se jouera à l’Assemblée et dans le secret des cabinets ministériels. Une fracture se dessinera-t-elle entre ceux qui sont la cible de la politique de propagande proximaliste et ceux qui prennent distance et se décalent, doutant de ces impostures iconiques ? Tout comme le citoyen a le choix entre la vieille culture exigeante et les produits de l’image. Ainsi, les médias ont plus changé que Sarkozy, et la machine médiarchique semble faite pour cette nouvelle génération nourrie aux jeux vidéos, au Net et aux SMS. Comme le suggérerait Vicente Verdù, un intellectuel devra dédaigner cette manière de faire du politique, ou bien être en phase avec son époque, même si sa préférence va aux anciens et à leur faconde, littéraire autant qu’idéologique.
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