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4. Il n’y a pas de violence gratuite : Shogun, Robespierre et Columbine

L’est asiatique perpétua une sorte de Moyen Age jusqu’au 19e siècle. Avec ses caractéristiques propres, que Marx identifiait comme un « mode de production asiatique ». Un pouvoir théocratique responsable devant les hommes de la bienséance divine. Cela impliquait des grands travaux (irrigation, barrages, routes, etc.), une production collective et une administration de lettrés gérant les hommes et l’espace. Cependant, avec les hauts et les bas qu’implique une gestion impériale, se développa une « autonomie militaire » dont la caractéristique principale fut le « seigneur de la guerre ». Les guerres civiles endémiques se perpétuèrent jusqu’au dix-neuvième siècle et même à l’aube du vingtième en Chine, tandis qu’au Japon, une dynastie, les Shogun, essaya de répondre à cette entropie guerrière par la codification, dans ses moindres détails de tous les aspects de la vie quotidienne. Cet âge d’or japonais, moula dans un carcan sociétal et métaphysique l’ensemble de la population, créant de toutes pièces des us et coutumes, des codes et des « attitudes de vie » uniformes dont le Japon reste encore prisonnier. C’était le prix à payer pour restreindre l’esprit chevaleresque et condottière qui subsistèrent en Europe pendant toute la période de la renaissance. Pour Hannah Arendt (encore elle), le condottière fut le précurseur d’une pensée politique qui laboura les concepts de l’individualisme et de l’autonomie éthique, autant qu’une réflexion (et une praxis) sur la violence.  Machiavel codifia cette pensée pour l’intégrer dans une gestion étatique, gestion qui n’a rien d’immoral mais profondément amorale et pragmatique. Ainsi, la gouvernance étatique en occident prend des formes multiples d’une gestion subjective et opportuniste copiée sur l’individu, tandis qu’en Asie, l’Etat nie l’individu au profit d’un olos uniforme « harmonisé ». 

La révolution industrielle et la suprématie incontestable de l’occident étant derrière nous, ces deux formes de pouvoir ressurgissent, faisant apparaître les difficultés dues à l’inexistence d‘un mythe fondateur et fédérateur en occident et parallèlement l’impossibilité d’un anti discours autonome en Asie. Dérégulation et mondialisation se définissent au sein de ces deux ensembles de manière très différente. Cependant, au sein de ces deux ensembles il existe une variation de modèles : la Chine, qui suivit l’exemple des Shogun avec le maoïsme, perpétua cependant une sorte de culture individualiste souterraine (mais bien affirmée) par sa diaspora commerçante et les exceptions institutionnelles basées sur le mimétisme dont l’exemple le plus frappant est le « une nation, deux systèmes » qui régissent, via les anciens comptoirs occidentaux (Hong Kong) une gestion « pragmatique » du binôme économie - politique. Les Etats-Unis, créés par une aventure collective et individualiste à la fois, perpétuent le mythe fondateur d’un Etat nation arraché aux grandes puissances européennes décadentes par les armes (Angleterre) ou par l’argent (France) tout en individualisant à l’extrême la notion même de réussite  (self made man : l’homme se fait par lui même).  

La conquête de l’espace nord-américain se fit d’abord par des hommes et bien après par les institutions étatiques. Ce qui installa durablement une mythologie antiétatique d’une part et, d’autre part le retour à une autonomie revendiquée de l’espace privé et local, aux dépens de l’Etat central. Contrairement à l’Europe qui réintègre la tradition gréco-romaine d’une restriction juridique du « Padre Padrone », et de l’Asie où le monopole étatique de la violence devient la règle.  Pour donner un simple exemple, la peine de mort, qui tend à disparaître en Europe, reste pratiquée aux Etats Unis avec l’aval de l’opinion publique (est souvent grâce à la peur des exécutifs face à la vox populi). En Chine aussi, mais cette fois, comme symbole d’un monopole d’Etat institutionnel et central ayant remplacé celui des pouvoirs éclatés et arbitraires.  

De la sorte, la « violence inexplicable et inexpliquée » diffère d’une région à l’autre. Aussi bien du point de vue institutionnel et de l’opinion publique qu’analytique. L’extraction volontaire ou forcée du corps social principal et de sa manière de juger ou d’expliquer, ainsi que les explications psychologiques ne sont pas les mêmes ni de part et d’autre de l’Atlantique ni entre les pays occidentaux et asiatiques. Les dites pathologies sociales non plus : un tueur en série aux Etats-Unis n’est absolument pas perçu ou expliqué ici et en Amérique de la même manière. Son aspect individualiste (messianique et souvent anti fédéral) qui sévit en Amérique est quasiment inexistant. Nos tueurs en série sont, (dans la plus part du temps) considérés comme des pervers sexuels qui tuent en conséquence de leur perversion, et non pas des tueurs croyant à une mission terrestre ou divine.

Exception faite de la grande dépression, puis des révoltes à caractère racial, (comme on dit aux USA), ce pays ne connaît pas de « révolte des banlieues », ni de guérilla urbaine, ni même une confusion de genre entre criminalité urbaine et contestation sociale. « Paradoxalement », le niveau de violence est plus élevé en Amérique mais le discours l’accompagnant n’a rien de radical. Et cela même en ce qui concerne les syndicats qui, dans une histoire relativement récente, ont préféré faire appel à la pègre plutôt que de radicaliser leur discours (Teamsters, mineurs des Appalaches, etc.).

Ainsi, en Europe, tout prend une connotation politique (même quand les intéressés n’y pensent pas) tandis qu’aux Etats Unis tout est du domaine du privé (même quand l’action est essentiellement politique). En ce sens, la lutte pour les droits humains (Human rights) oppose - même mené collectivement - l’individu et son domaine privé à l’omniprésence de l’Etat.

 L’impossibilité de percevoir un message politique extrême interne peut mener très loin : dans les années 60, le seul groupe non noir-américain qui a radicalisé son discours, les Weatherman, a été liquidé par le FBI comme un « ennemi extérieur », une « association d’espions ». 

Le maccarthisme n’avait pas agi autrement. 

Bref, derrière chaque acte violent inexpliqué en Europe on cherche une explication sociale (chômage par exemple) ou analytique (perversion sexuelle, folie) l’individu étant par définition une victime ou un « plus révolté que les autres », face au machiavélisme de la Cité.

Tout acte violent qui ne se fédère pas derrière une contestation politique est inexplicable ; Mais pas vraiment.

Aux Etats-Unis, on le soupçonne d’être, soit un corps étranger, soit un défendeur des droits inaliénables de l’individu face à l’Etat (Unibomber).  

L’inexplicable, dans ce cas restant Columbine ; Mais pas vraiment. 

(A suivre)


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5 réactions à cet article    


  • saint_sebastien saint_sebastien 21 avril 2010 12:57

    ce n’est plus forcément vrai , par exemple les jeunes japonais sont plutôt individualistes.
    Mais cet esprit de groupe , on le voit par exemple dans les bandes des cités qui fonctionnent comme une ruche avec des roles bien définis et une hiérarchie , même si très changeante.
    On retrouve l’esprit de groupe dans certaines professions aussi, puisqu’il n’y a qu’une minorité de métiers qui parle en terme de « talent » individuel.

    quand à votre vision des usa, elle fausse puisque des émeutes ont eut régulierement lieu jusqu’aux années 90. ensuite il y a eut l’affirmative action qui a calmé les revendications communautaires , mais avec le mouvement tea party , rien ne dit que le pays ne va pas retomber dans la violence.

    quand à la violence en france elle n’a rien de revendicative , juste un moyen pour les gangs de marquer leur territoire en disant à l’autorité , à partir d’ici on controle tout.


    • Pegasus Pegasus 21 avril 2010 15:55

      « au Japon, une dynastie chinoise, les Shogun »

       ???

      Le Shogun était le dirigeant militaire du Japon nommé par l’empereur. Il détenait en réalité la quasi-totalité du pouvoir. L’histoire du moyen-age Japonais a été une succession de conflits entre les différents seigneurs féodaux Japonais pour prétendre unifier le pays et réclamer le titre. Le Shogunat ( ou gouvernement militaire ) fut définitivement établi en 1603 par un de ces seigneurs, Tokugawa Ieyasu, après avoir écrasé ces rivaux, et dura jusqu’en 1868, date à laquelle l’Empereur Meiji reprend le pouvoir et entame la modernisation effrénée du pays suivant un modèle occidental.

      Rien de chinois là-dedans.


      • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 21 avril 2010 16:13

        Bien sûr. Je ne sais pas comment j’ai pu écrire « chinoise ». Mille excuses...


      • antonio 21 avril 2010 18:36

        Un article passionnant.
        Merci


        • Thomas Roussot Thomas Roussot 21 avril 2010 19:05

          Il existe de nombreux cas de violences gratuites liés au désir d’enfreindre les règles pour exercer la simple capacité à les enfreindre (ce qui est le propre de la gratuité), sans compter les actes liés aux déviances psychiatriques (voire cas récents des pousseurs de métros). Certains massacres ou lynchages (dont on voit tous les jours des exemples en Europe) sont de nature strictement nihiliste et l’on peut réussir encore à leur donner du sens même si l’on entre dans la catégorie de l’anomal, où la référence à un motif devient quasi nulle. La haine pure et la sauvagerie des instincts cherchant une proie étant le seul « motif » d’action. Article intéressant toutefois.

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