Il y a quelque chose de pourri dans l’État français
« Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… » Marie NDiaye, lauréate du dernier prix Goncourt, a fait les frais d’une polémique autour de sa liberté d’expression. Au cours d’une interview aux Inrocks, elle déplorait la situation politique en France, « cette atmosphère de flicage, de vulgarité… », « une France monstrueuse ». Eric Raoult rétorque (U.M.P.) invoque un « devoir de réserve » des lauréats du Goncourt. Tollé dans le pays : on veut museler les écrivains. Après la polémique, il persiste. Il signe. Alain Finkielkraut, que je respecte vraiment invoque – quant à lui – un devoir de justesse. Retour en arrière...
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Parlons de justesse, justement, parlons de justesse. Depuis que Jean-Marie Le Pen est passé au second tour, en 2002, tout le pays semble pris dans une tourmente inextricable. Moins que la terreur, plus que la peur : une angoisse sournoise de l’incertitude, une dépossession de parole. « Cette atmosphère de flicage, de vulgarité » dont parle Marie Ndiaye, comment ne pas la ressentir ? Un ministre de l’Intérieur qui a parlé de « racaille » (en répétant volontairement les propos irréfléchis d’une femme exténuée à sa fenêtre), qui a parlé de « nettoyer au Kärcher » certaines zones du pays – alors que c’est de justice dont on parlait –, qui recueillait les voix populacières du FN pour accéder à la magistrature suprême en prononçant d’authentiques discours sécuritaires (la violence comme solution au problème de la violence), qui a insisté sur l’expulsion des clandestins (on parlait de justice !), insisté sur « les résultats » et cette politique du chiffre. Cette politique de cow-boy est brutale, logique, absurde.
Parlons de justesse, justement, parlons de justesse. Eurodisney, le goût ostentatoire pour le clinquant, le champagne sur le yacht du sieur Bolloré, les soutiens du très cultivé Steevy Boulay, la frasque du « casse-toi pauvre con » (à un citoyen qui le méritait peut-être), et toutes ces farces qui auréolent de gloire notre Président : l’impression de vulgarité n’est-elle pas exacte ? Le président est responsable de son image, de ses exploits médiatiques, de toute cette crasse qui le drape. La vulgarité, la pire des vulgarités en politique, c’est peut-être aussi de croire qu’on « fait » une politique comme on installe des logiciels sur un ordinateur, comme on casse des œufs pour faire une omelette, le dogme du « y-a-qu’à », du « il-faut ». Dans un État, ce ne sont pas la volonté et les moyens qui donnent la véritable puissance, mais le souci de laisser pénétrer du sens dans les débats publics, de l’air. De la lumière.
Hier, M. Sarkozy s’est rendu à Épinay-sur-Seine. Au programme : la sempiternelle « tolérance zéro » et la généralisation de la vidéo-surveillance. Fliquer, surveiller : y-a-qu’à. L’objectif, comme toujours, est électoral : donner une solutions aux chiffres de l’insécurité, quatre mois avant les régionales, le Président a relancé le discours du tout-sécuritaire. La solution à la violence est technique : la vidéo-surveillance. Ceux qui veulent agir pour répondre à la violence par la non-violence, par l’action publique, associative, par le débat, y compris en critiquant le gouvernement : ceux-là peuvent partir. Les porteurs de lumière n’ont pas droit de cité, « devoir de réserve » oblige.
Je m’intéresse aux personnes et aux débats, je déplore la bureaucratie des partis et des structures lourdes, en partie à l’origine de la situation actuelle de sclérose. Je ne suis donc ni de droite, ni de gauche. Je suis juste écœuré, et ce qui était pour moi un souci est devenu une préoccupation, ma chair et mon sang. Les symptômes d’une crise grave sont là : les réseaux de solidarités et d’action locale semblent pris de crampes, les débats virent de plus en plus à la douloureuse et stérile polémique, à la victoire de la superstition et des abjectes idéologies conspirationnistes. Un long pourrissement interne de la République, un épuisement politique qui pourrait être fatal. Le principal problème de notre pays n’est pas la crise économique ; le principal problème de notre pays, c’est que la violence et l’obscurité sont en train de s’insinuer partout. Une impuissance générale se dégage de cette pesante atmosphère. De vulgarité. De brutalité.
Ce n’est pas pour rien que Marie NDiaye a reçu le prix Goncourt. Je ne lis jamais les Goncourt, je préfère les vieux romans. Mais je vais faire exception pour le sien : une femme qui sait mettre des mots si exacts sur une atmosphère générale doit bien avoir quelque lumière à apporter sur la réalité. Alain Finkielkraut a raison sur le devoir de justesse : qu’il se ravise sur le cas NDiaye, elle n’est ni philosophe, ni théoricienne politique, ni experte, mais elle a rempli son devoir de justesse. Elle se soucie de la France, elle ne se contente pas de l’aimer. Elle décrit d’une manière cruelle et brutale une époque de brutalité et de cruauté, et toutes les politiques d’œufs cassés qui vont avec.
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