Impunité, chantage et censure, le nouveau langage des managers
Le harcèlement moral, un phénomène qui n’est pas nouveau
En France, le harcèlement moral est mis en lumière en 1998 par Marie-France Hirigoyen dans son ouvrage intitulé « Harcèlement moral, la violence perverse au quotidien ». Plus tôt, en 1993 Heinz Leyman, professeur à l’Université de Stockholm, définit le « Mobbing » : « Le mobbing est un processus de destruction, il est constitué d’agissements hostiles qui, pris isolément, pourraient sembler anodins, mais dont la répétition constante a des effets pernicieux.
Sur le site officiel du ministère du travail on peut lire que la loi protège les salariés contre le harcèlement moral, en prévoyant des sanctions civiles et pénales à l’encontre des personnes reconnues coupables. Elle prévoit en outre que l’employeur prend toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir de tels agissements.
Le rapport 2017 de la DARES révèle que la possible influence d’une bonne sensibilisation médiatique a conduit à un net recul des situations de violences morales au travail : en 2016, 30 % des salariés disent avoir subi un comportement hostile dans leur travail au cours des 12 derniers mois, contre 37 % en 2013.
Derrière une apparente prise en compte du harcèlement moral par le législateur et les employeurs se cache une bien triste réalité managériale.
Un fonctionnement en toute impunité
Le harcèlement moral est souvent le fait de collègues, de la hiérarchie, avec la complicité de l’organisation. A l’heure de l’entreprise qui se veut libérée, où les employeurs évoquent le bien être au travail et la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), comment expliquer ce phénomène ?
Tout d’abord, les sanctions disciplinaires sont rares et un collaborateur impuni ne aura tendance à reproduire une situation pour laquelle il n’est pas inquiété. Certains vont jusqu’à qualifier le mobbing de terrorisme organisationnel : http://www.slate.fr/story/147492/mobbing-travail-terrorisme-organisationnel.
Il est un secteur particulier où le phénomène est tellement fréquent qu’il convient de se demander s’il n’est pas devenu « culturel » : l’enseignement supérieur (Universités, Business Schools…). Le processus est simple, il suffit d’accuser la victime de fraude scientifique, de manquement aux règles de sécurité ou d’éthique de la recherche, le plagiat. On n’hésitera pas à fabriquer des preuves. L’organisation est alors dans le déni de la campagne de « mobbing » et minimise la réalité de l’agression, ignore la souffrance de la victime, ce qui la conduit à un grand désespoir car le collaborateur attaqué croit –à tort– être à l’abri.
Les conséquences
Ainsi, si le processus se déroule comme prévu, la cible finit par quitter l’organisation. À l’université par exemple 12% des professeurs ciblés se donnent la mort. (Eve Seguin 2017). La victime peut ainsi être harcelée dans l’indifférence générale. Le harceleur pourrait être sanctionné au pénal et par l'employeur : En effet, la loi prévoit que le harcèlement d’ autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (article 222-33-2 du code pénal).
Si les faits ont été commis par un salarié, celui-ci est, en outre, passible d’une sanction disciplinaire (qui peut aller jusqu’au licenciement pour faute grave
L’employeur quant à lui risque en cas de contentieux, une condamnation lourde : En cas d’accident ou de maladie liée aux conditions de travail, une condamnation pour faute inexcusable peut être prononcé par le tribunal des affaires sociales. Cette faux est avérée si l’employeur avait ou aurait du avoir conscience des dangers auxquels était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il y a par ailleurs une présomption de faute inexcusable, lorsque l’employeur s’est déjà vu signaler le risque par le salarié concerné ou le CHSCT (cette présomption joue également lorsqu’il y a une violation de l’obligation de formation ou d’information du salarié.
La prévention
Comment prévenir une telle situation ? Il est très difficile de lutter contre le harceleur qui prend l’allure d’un prédateur. L’organisation prend des risques cependant. En effet, dans le cadre de son obligation de sécurité (obligation de résultats), l’organisation est tenue de protéger la santé et la sécurité des travailleurs ( notamment en matière de harcèlement moral). L’employeur doit donc se prémunir de tout forme de harcèlement moral au sein de l’entreprise. Ainsi le règlement intérieur, obligatoire dans les entreprises et les établissements de plus de 20 salariés doit comporter des dispositions relatives à l’interdiction de toute pratique de harcèlement moral. Les représentants du personnel peuvent également proposer à l’employeur des mesures de prévention. D’ailleurs les délégués du personnel (ou un membre de la délégation du personnel au CSE) disposent d’un droit d’alerte. L’employeur doit alors prendre les faits au sérieux et diligenter rapidement une enquête afin de faire cesser la situation. À défaut, le salarié ou le délégué, avec son accord, peut saisir la juridiction prud’homale.
Le chantage possible du harceleur
Parfois le harceleur peut être tenté de chercher le soutien du collectif de travail et de l’employeur en effectuant une sorte de chantage à la démission. Les harceleurs menacent aussi l’employeur, prétendant avoir des informations compromettantes sur l’employeur et notamment sur de précédentes situations de harcèlement restées impunies !
Censure et conséquences
Parfois, l’employeur est tenté de dissimuler la situation. La cible est pointée du doigt. L’organisation, pour éviter tout conflit et éviter de prendre position (c’est à dire tout simplement exercer son rôle de manager) aura tendance à cacher la situation et « couvrir » le harceleur aux dépends de la victime qui devient rapidement la personne gênante. Si la cible n’obtient pas le soutien de son collectif de travail, l’issue est inévitable : le suicide ou la démission. La fuite apparaît comme la seule solution pour échapper à son harceleur..
Former les managers aux risques psychosociaux est un début mais visiblement la prévention reste insuffisante dans les organisations.
Le médecin du travail peut aussi être sollicité en cas de situation de harcèlement. L’inspecteur du travail pourra également être saisi par la victime car il intervient sur les obligations générales en matière de santé et de sécurité des salariés.
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