In-Cantat-ions et autres méandres de l’actualité croqués avec acidité
Tous les quinze jours, j’anime un café des actualités, ce qui impose de suivre l’actu. Parfois, les faits s’entrelacent pour former un tableau cohérent. Voici quelques faits présents dans les médias ces derniers jours et diversement analysés ou croqués. L’occasion d’inaugurer un nouveau genre de billet dont la tendance se veut synthétisante.
Cette semaine, quelques événements sans importance, selon moi, à commenter. Le suspense sur l’annonce du divorce présidentiel, les « résistants » aux Zénith face aux tests ADN, la libération conditionnelle de Bertrand Cantat, la défaite de la France en rugby. La suite des feuilletons, EADS, Gauthier-Sauvagnac, le responsable indélicat du Medef et le financement occulte des partis politiques qui revient sur la scène. La fameuse lettre de Guy Mocquet. Et le jeudi noir annoncé dans les transports. Plus lourd de tendance, la réforme des tribunaux ; qui obéit à une logique d’efficacité des moyens de l’Etat sur un territoire morcelé qui va vers sa concentration urbaine et donc, administrative. Puis le rapport Attali sur la croissance. Sinon, il se passe beaucoup d’événements dans le monde. L’actu a fermé la case Birmanie, ouvert la case climatique avec le Nobel pour le chantre du combat contre le réchauffement. Des tensions entre Turquie et Irak. Le prix du baril augmente... et une tonne de faits que les grandes chaînes ne peuvent relayer mais auxquels il est possible d’avoir accès en lisant la presse écrite sur papier et sur le net.
Que nous enseignent les médias ? Prenons le rugby. On semble tirer des enseignements d’une défaite, pas d’une victoire, d’un échec, pas d’une réussite. En France, on cogite, on réfléchit doctement aux responsabilités, aux choix du management. Est-ce plus facile de trouver les causes d’un échec ? Les Français savent pourquoi ils ont perdu, il ont été moyens. Les Anglais savent pourquoi ils ont gagné, ils ont été moyens et déterminés face à des Français moyens dans le jeu. Mais on n’en tire aucun enseignement car c’est à la foi vain et inutile parce qu’il n’y a pas de philosophie à retenir sauf évidente, faire le meilleur choix tactique, en rugby. Seul le résultat détermine la teneur des commentaires de presse, en France, on réfléchit et en Angleterre, on savoure sans chercher à comprendre. On aurait gagné d’un point, on aurait fait la fête, sans poser la moindre question sur Bernard Laporte et son staff. Ce qui n’aurait pas empêché l’entraîneur de cogiter, entre deux tournages publicitaires et les sollicitations des peoples, Nicolas le premier. On pourra se demander si dans ce procès fait à Laporte il n’y a pas quelque chose relevant du travail de deuil comme dans un procès pénal, lorsque les victimes veulent savoir ce qui s’est passé, comme à l’occasion de l’effondrement de la passerelle du Queen Mary II, procès dont on a parlé récemment.
Et les autres faits de l’actualité, que nous enseignent-ils ?
Le divorce du couple présidentiel n’intéresse « personne », exceptés les sujets de la République pour qui Les Feux de l’amour et Plus belle la vie ou alors pour les plus intellos Le Canard enchaîné, offrent une ouverture divertissante sur le monde. La presse française hésite, ne voulant pas ressembler aux tabloïds anglais ; mais le suspense persiste et chacun spécule sur une non-information de l’Elysée tout en supputant qu’une information puisse être divulguée, en pariant sur une hypothèse ou une autre, en commentant ce que disent les journaux, les blogs. Les bookmakers anglais auraient mis la question aux enchères des cotes, mais la France ne veut pas ressembler aux Anglais et la vie privée est chose sacrée, sauf qu’en ces moments de rupture, la presse se demande si elle ne va pas rompre l’omerta faussement déontologique et divulguer des secrets de Polichinelle sur le couple présidentiel. Le vaudeville médiatique est en route. Et nous ne pouvons qu’en rire, de ces facéties médiatiques, mais bon il faut bien vendre les journaux. Ces faits presque divers n’apprendront rien sur le destin de la France, mais l’exposition de ces faits nous renseigne sur le fonctionnement de la presse.
Passons à la libération anticipée de Bertrand Cantat. Une libération tout à fait conforme aux règles légales. D’autres moins connus ont été libéré dans des conditions similaires. Pourquoi tant de sollicitude auprès d’un fait divers jugé comme il se doit (enfin pas toutes), excepté la personnalité de l’incarcéré, et encore, Cantat eût cogné une groupie de province dont il fût tombé passionnément amoureux que la presse n’aurait pas médiatisé l’événement. Mais s’agissant de Marie Trintignant, alors là, l’affaire devient d’une plus grande ampleur. Un spécial Cantat a même été programmé la veille dans une émission politique sur France 2. Mais nous qui ne sommes pas naïf savons parfaitement qu’un décès ou qu’une affaire, dépend à la fois du côté scabreux (affaire Villemin) ou de la célébrité des parties prenantes. Et que dans le monde médiatisé, les priorités ne sont plus élaborées par les philosophes et les législateurs, mais par les célébrités. Du coup, un Papin ou un autre se met au service d’une cause qu’il ne choisit pas au hasard, mais parce qu’il est personnellement concerné. Et Nadine Trintignant en « mère vengeresse » se transforme en Louise Michel des femmes battues. Parce que sa fille en fut, mais si sa fille n’en eût pas été, gageons qu’elle n’aurait pas plus bougé son postérieur pour cette cause qu’une Linda Evangélista refusant de se déplacer pour moins de 3 000 dollars. Les médias ont la mémoire courte, il y a plus de dix ans, un brave bourgeois a flingué par jalousie sa femme. Un meurtre prémédité. Il a pris moins que Cantat, c’était un ami de Bernard Tapie et c’était un crime non pas pulsionnel, mais passionnel qui fut jugé. Personne n’a crié au scandale. Ainsi se façonne cette société de masses informées, mais pas forcément instruites. Un Bigard dont la compagne a été malmenée par le système de santé vaut comme illustration d’une question de société. Et donc, si vous avez une cause à défendre, faites appel à une célébrité. Bernadette n’aime pas spécialement les enfants, mais elle apprécie les pièces jaunes. Pour d’autres, ce sera le Téléthon ou le cancer. Ce qui nous raccorde au périple du Nobel recyclé pour la course à la Maison-Blanche, un certain Al Gore dont on ne sait pas ce qui a été le ressort de son périple de prédicateur, le souci de la planète ou la pratique du pouvoir. Sans doute les deux, comme d’ailleurs chez nous Nicolas Hulot. La planète se réchauffe. Les scientifiques ne sont pas d’accord, mais si c’est dit par Al Gore et Hulot, alors c’est forcément vrai et c’est aussi une priorité !
Les célébrités ont décidé de faire des tests d’ADN une grande cause sociale et politique. Réunion au Zénith, pétition, occupation des médias sous la houlette d’un BHL remonté et opportunisme de quelques politiciens pour sortir de l’inexistence et des limbes, de Bayrou à Hollande. Ces tests d’ADN, un détail, c’est Fillon qui le dit et même si je n’aime pas Fillon, je pense la même chose sur ce point précis. Un détail d’autant plus que c’est en pratique dans d’autres pays européens, avec un sens différent et il n’y a qu’en France que cela soulève une telle bronca médiatique parce que des peoples, BHL en tête, secondé par le caporal Val, ont décrété que ces tests avaient la couleur de Vichy. Là aussi, nous voyons une passion exacerbée se manifester, un désir d’exister pour conjurer quelques problèmes existentiels. BHL a quelque chose à conjurer, on se demande quoi, il semble insatisfait et prend au vol cette question d’ADN pour se mettre sous les feux de la rampe, après avoir étreint le destin calamiteux d’une Ségolène dont il a décidé d’assumer le karma pour mieux se positionner en icône christique d’un fardeau de la gauche porté et dont ce saint homme saura nous délivrer en exorcisant le grand cadavre à la renverse, Lazare de la gauche, retourne-toi et avance. Ainsi causa BHL ! Un BHL qui, en addiction médiatique, se doit d’apparaître pour assouvir sa dépendance et les médias en dealers de fenêtres médiatiques ont su satisfaire les besoins artificiels de ce prince, au détriment de la vérité, hélas, et c’est certain, sur cette affaire des tests d’ADN qui ont servi comme mauvaise came idéologique à d’autres célébrités politiques et intellectuelles en manque de médiatisation. Avec la participation de quelques âmes sincères, mais bien naïves.
Le soucis du bien public et l’intelligence de la réflexion sociale et intellectuelle ont fait place à la valse des ego. Un ego n’est pas un idiot. Loin s’en faut, il met son intelligence au service de son propre intérêt qu’il sait articulé à d’autres ego et intégré à des causes qu’il défend parce qu’il est personnellement affecté, cas de Nadine Trintignant, ou parce que cette cause lui permet de se mettre en avant, cas de BHL. Et les médias embrayent pour faire de l’audience et exister, notamment quand la révélation sur Nicolas et Cécilia est sur le point de créer un suspense. Ainsi va le monde, dans la voie d’une ignorance faussement travestie en savoirs médiatiques. Les médias ne savent rien. Ils aboient, jugent, tranchent le réel représenté. Le « jeudi noir » dans les transports, une escroquerie bien ficelée et répétée par les singes médiatiques comme pour faire impression sur fond de dramatisation en souvenir du jeudi noir de la bourse en 1929. Il faut du frisson, et les médias y vont mais pour excuser, ils recrutent quelques éditorialistes pour faire des billets qu’on croit intelligents et qui le sont, mais pas souvent.
Derrière cette façade d’événements et de leurres, quelques évolutions plus profondes se dessinent, dévoilées à travers la question des tribunaux, des services publics, de la couverture du territoire en services de l’Etat ; plus généralement, de stratégies industrielles, de politiques dans la recherche, l’université, les collectivités locales. Ces choses-là ne font pas la une, mais elles dessinent des tendances qui, pour une part, échappent à l’entendement politique et intellectuel dans leur globalité. En un mot, ruse de la technique. Des choix sur la concentration des activités économiques et étatiques sur le territoire avec à la clé l’efficacité (qui primerait sur l’humain ?) Et Attali en piètre mécanicien de la croissance de nous présenter un panel de mesures qu’on prendra pour ce qu’elles valent, de la bêtise intellectuelle, mais que peut-on attendre d’un intellectuel qui se prend pour un prophète des futures décennies, mais qui n’entend rien à l’existence humaine, sauf d’un point de vue de l’élevage et du dressage d’humain pris comme moyen, bref, comme ont fait d’autres en Allemagne dans les années 30 avec plus de brutalité. Soyons prudent sur ce rapprochement livré avec quelque malicieuse acidité.
En conclusion, traçons une perspective où les historiens de l’an 2100 évoqueront une modernité occidentale avec les Anciens Régimes, dont la France, et les temps démocratiques puis, une post-Modernité avec l’Ancien Régime planétaire et médiatique présent en 2007. Les médias traquent le divorce de Sarkozy avec l’empressement d’une cour qui, au temps du Grand Louis, assistait à son réveil matinal. Le roi décidait de tout, comme notre président décrétant la lecture de la lettre de Guy Mocquet, une lecture obligatoire, mais pas sanctionnée en cas de refus dixit le porte-parole Martinon. Pour le reste, imaginons un territoire dédoublé, le monde médiatique. Au temps de l’Ancien Régime, la France était gouvernée et occupée par des aristocrates, chacun son fief ; et les gens de les craindre autant que de les admirer. Dans l’univers des médias, les médiarques ont supplanté les aristocrates. Ils occupent un espace intermédiaire et un temps de cerveau qui les relient aux spectateurs, faisant les émotions, les passions, décrétant ce qui est important, les causes à défendre. Beaucoup de présentateurs, stars et célébrités qui semblent être chez elles, dans leur territoire, s’invitant dès qu’il y a une promo à faire, interférant avec les discussions démocratiques, perturbant le jeu politique en implantant leurs « vocalises » dans les « cervotudes » volontaires des citoyens. Sans doute la pensée est-elle encore opposée au travail. On exploite matériellement les gens en les persuadant de travailler (et consommer dixit Attali), mais l’influence sur la pensée est inverse puisque c’est en limitant le travail de la pensée qu’on rend les gens plus corvéables. La France de la rupture, c’est travailler plus et penser moins.
23 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON