Incendie de Saint-Nicolas-de-Port : le courage à l’épreuve du feu
Un violent incendie s’est déclaré lundi 20 août au soir, à Saint-Nicolas-de-Port (54) dans une zone industrielle. Le maire de la ville, Luc BINSINGER relate intimement cette histoire sur son blog et permet de mieux comprendre les dessous d’une situation de crise.
(Extraits du carnet de bord du maire de Saint-Nicolas-de-Port, Luc BINSINGER - Crédit Photo - Patrice SAUCOURT - Est Républicain).
« La nuit du 20 au 21 août restera sans conteste comme la plus chaude de l’été 2007. »
Lundi 20 août 2007
20h15
- Le soleil tombe, c’est la fin du jour. Les rues se vident, la ville
s’endort. La plupart des Portois sont rentrés chez eux, assis à table,
ou devant leur télé. Au journal télévisé, on évoque les intempéries aux
Antilles, dans l’Oklahoma et le changement climatique de notre planète.
Des images impressionnantes d’ouragans et de sauvetages en hélicoptère
passent à l’écran. Des images marquantes. Au même moment et sans que
j’en ai encore connaissance, un début d’incendie se déclare dans l’un
des entrepôts des bas-quartiers de la ville, sur l’île industrielle du
Champy.
20h25 - J’embrasse mes enfants et me rends à la mairie, à une réunion d’adjoints, après une journée de travail déjà remplie et un repas en famille toujours trop court à mon goût. Dans la rue, la lumière est sombre. En levant les yeux vers le ciel, je découvre de grands nuages de fumée noire derrière notre basilique. J’ai le cœur qui bat, je presse le pas. Dans les minutes qui suivent, on m’informe d’un appel des pompiers sur un début de feu au 4 rue du Champy.
20h35 - J’arrive sur les lieux de l’incendie. Mes collègues adjoints me rejoignent rapidement. Un grand frisson m’empare. Le ciel noir s’embrase. De vastes flammes rouges s’échappent du toit et des ouvertures des entrepôts. La fumée s’épaissit, la chaleur du brasier nous souffle au visage comme de l’huile brûlante. Grâce à la proximité du centre de secours, les soldats du feu sont déjà à pied-d’œuvre, vaillants, rapides, précis dans leurs manœuvres. Les tuyaux se déroulent mètre par mètre, les camions de pompage et les grandes échelles sont mis en place. Les secours s’organisent minutieusement, un vrai travail d’horloger. Il y a également du monde qui s’amasse au premier plan, propriétaires des locaux, ouvriers, gérants ou simples badauds. Un homme, les yeux embués, se prend le visage dans les mains ; une femme pleure. C’est l’ouvrage de leur vie qui s’envole en fumée.
20h37 - Pour autant, dans ce genre de moment, pas de minute ni de place pour l’émotion. Il faut du sang-froid et agir en même temps qu’on réfléchit. Chaque seconde est importante. Ma première préoccupation est de savoir s’il y a des pertes humaines et des blessés. Je m’entretiens avec le colonel Bernard Modere, Portois et directeur du Centre Organisationnel Départemental d’Incendie et de Secours qui me fait un bref topo de la situation : les entrepôts étaient vides, aucune victime pour l’instant à déplorer. Le combat s’avère néanmoins inégal, la présence de matériaux inflammables, bois, mousse, moquettes, voitures, solvants, favorisent la propagation du feu. L’incendie est en train de gagner les entreprises voisines à droite, puis à gauche. Du renfort a été demandé aux autres casernes de pompiers du département ainsi qu’aux services de la Police de Dombasle et de Nancy.
20h45 - De mon côté, je décide immédiatement de rappeler les agents de la ville à leur poste ; je demande à ce que soit dressé un cordon de sécurité tout autour de la zone afin d’éviter tout risque pour le public qui s’amasse en nombre. Plusieurs habitations à proximité sont évacuées. Mon équipe et moi-même réfléchissons déjà aux possibilités d’hébergement de ces résidants.
21h00
- Les barrières sont posées ; le cordon de sécurité est mis en place.
Soudain, une série de détonations intervient suite à l’explosion de
plusieurs bouteilles de gaz. Le front de l’incendie s’étale sur plus de
60 mètres. C’est toute l’île qui est désormais menacée par les flammes.
Constatant l’ampleur croissante de l’incendie, je demande à mes
services d’assurer l’approvisionnement logistique et nutritionnel des
secours : une centaine de sandwichs sont commandés à l’hôpital de
Saint-Nicolas-de-Port, tandis que la société Oenotech propose de
fournir des bouteilles d’eau. Nous organisons également à l’étage du
Centre de Secours, un point café-jus de fruit pour accueillir les
personnes les plus fragiles. Au même moment, la presse régionale arrive
sur les lieux. Le sinistre fera visiblementla une du journal du demain.
22h20
- Michel Ponsard-Chareyre, directeur départemental de la Sécurité
Publique et moi-même étudions la mise en place d’un itinéraire de
déviation du trafic automobile.
22h30 - Je m’entretiens avec le sous-préfet, directeur de cabinet du préfet, M. Jacques Ranchere, arrivé de Nancy. Je reste sur le front afin d’assurer la coordination entre les services de la Ville et la Sécurité Civile.
23h30
- Les 80 pompiers réussissent à circonscrire l’incendie, après plus de
trois heures de lutte. Avec mon équipe, je tire un premier bilan des
conséquences humaines, économiques et environnementales. Pas de morts
ni de blessés ; c’est déjà là un grand soulagement. Une demi-douzaine
de personnes a été évacuée, avec une possibilité de relogement. Sept à
huit sociétés paraissent être très sévèrement touchées, ce qui risque
d’entraîner un chômage technique de près d’une soixantaine de salariés,
sans parler des pertes d’exploitation. La pollution semble limitée tant
au niveau de l’air (pas de toxicité majeure) que de la Meurthe (pas de
nappe ou de déjection d’hydrocarbures apparentes).
01h30 - Le feu est totalement circonscrit. De longues fumerolles jaillissent encore de-ci de-là, mais les risques sont maîtrisés. Les pompiers restent néanmoins sur le qui-vive afin de pallier toute reprise de foyer. Pour ma part, je rentre chez moi en m’assurant que préalablement tous et tout soient hors de danger. Cette nuit me rappelle la journée du 04 octobre 2006, au moment des inondations. Le même désarroi sur les visages des sinistrés, ma même envie de les aider, de tout mon cœur, de toutes mes forces. Envers et contre toutes les peines, l’abattement ne me gagnera pas.
Mardi 21 août 2007
07h35
- Réveil au quart de tour. Pas une minute pour ma famille ni le petit
déjeuner : on m’attend pour un point presse, radios, journaux et
télévision, mais je dois aussi répondre aux appels téléphoniques qui se
sont prolongés toute la nuit. Aux médias et à eux, je n’ai pas beaucoup
de temps à accorder : mes préoccupations sont ailleurs, ce sont celles
des Portois qui ont besoin d’être épaulés.
08h30 - L’odeur de feu et de cendre imprègne les rues de la ville. Après le point presse, je me rends immédiatement sur la zone du Champy afin de rencontrer les victimes et de constater les dégâts. De retour en mairie, je convoque l’ensemble de mes services et établis les priorités du jour. Nous mettons en place un numéro spécial d’assistance aux personnes et aux sociétés sinistrées, le 03 83 48 89 16. Nous les contactons individuellement afin de les informer qu’un local peut être mis à leur disposition, ainsi que l’aide des agents municipaux. Je contacte la préfecture dans la perspective d’une réunion le soir même, et demande que les services fiscaux et la Direction du Travail et de l’Emploi soient présents.
11h30 - Les pompiers assurent toujours le contrôle de l’île du Champy. Les services techniques sillonnent toute la zone afin de recenser les demandes d’aides et les divers besoins : bâche de protection et surveillance entre autres. Les premiers experts en assurance procèdent à l’évaluation des dommages.
16h00
- Le service urbanisme dresse un état des lieux de l’île du Champy : 5
000 m² ont été ravagés par les flammes. Six sociétés ont leurs locaux
totalement détruits, et six autres partiellement. Se pose la question
du devenir de la zone.
18h30 - Réunion de crise à l’Hôtel-de-Ville : sont présents à mes côtés, M. Jérôme Normand, sous-préfet délégué aux affaires économiques, accompagné de Laurence Piekarski, attaché au services économiques, Mme Marie Vigier de la Direction Départementale du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, M. Bernard L’Huillier des services fiscaux, M. Masson de la Trésorerie Principale, Christophe Gabriel, ajoint de la ville à la Vie économique, ainsi qu’une vingtaine de personnes concernées par l’incendie. Au-delà des inquiétudes et du désarroi exprimés, les questions portent essentiellement sur la sécurisation de la zone, les aides logistiques disponibles, les conséquences économiques et fiscales, et sur la reconstruction des bâtiments.
20H45
- Je rentre chez moi en faisant mon analyse quotidienne. Plusieurs
sentiments se mélangent : de la peine et de la compassion d’abord
envers les sinistrés, les dommages matériels et la soixantaine de
personnes qui se retrouvent au chômage technique ; beaucoup d’humilité
également, face à leur courage et à leur volonté de tout reconstruire.
Des inquiétudes pour la ville ensuite, car la zone industrielle du
Champy est un bassin d’emplois et de richesses important pour
Saint-Nicolas-de-Port qu’il s’agit aujourd’hui de reconstituer
rapidement. De l’espoir, car j’ai pu constater une fois de plus la
solidarité entre les personnes et la mairie, adjoints comme services,
ainsi que le travail remarquable de la Sécurité Civile. De la
satisfaction car la proximité immédiate de la caserne des pompiers,
idéalement située en bordure de l’île du Champy et du canal et
l’absence de vent défavorable, ont permis d’éviter le pire. De la joie
enfin, je dois dire, de savoir qu’aucun Portois n’a perdu la vie dans
ce sinistre incendie.
22h30 - Les appels téléphoniques continuent d’affluer jusque tard dans la nuit. Morphée passe et repasse, mais peu importe : des gens à l’autre bout de la ville se battent, et de le savoir m’interdit d’avoir tout autre état d’esprit. Dans ma vie de maire, il n’y a pas de trêve possible, pas de repos du guerrier, un combat continue tant qu’il n’est pas gagné.
Une chose est certaine, cette nuit du 20 au 21 août restera sans conteste comme la plus chaude de l’été.
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