« Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel : entre ombres et lumière
Alors que le "livre" de Stéphane Hessel caracole en tête des ventes, figure dans toutes les bouches critiques du moment, il est temps de laisser passer l’enthousiasme et de se pencher réellement sur le fond, et la forme.

Tout d’abord, peut-on nommer cela un livre ? L’appellation est abusive. S’il est court, simple et clair, le texte de Hessel est également très incomplet, pas assez poussé, et ainsi, se divise-t-il entre ombre et lumière. Une "brochure" tout en contraste.
L’héritage du CNR
Lumière, car la pensée est intéressante, l’idée est originale, et le projet, bien qu’exposé très brièvement, est honorable. Quel est-il ? Un juste retour aux valeurs et solutions apportées par le Conseil National de la Résistance durant, et après, la seconde guerre mondiale.
Renouer avec l’héritage du CNR, c’est assurer « un plan complet de Sécurité sociale, (…) une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours, (…) le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, (…) l’éviction des grandes féodalités économiques et financières… » (p. 10), et bien d’autres garanties de l’époque, aujourd’hui décimées.
En effet, il ne faut pas se le cacher : tous les successeurs du Général de Gaulle, sans exceptions, ont progressivement trahi son héritage. En cela l’auteur vise juste, mais oublie d’argumenter, d’approfondir.
D’où l’ombre évoquée plus haut. Hessel, pris par son désir de faire bref, oublie de retracer les différentes étapes de cette déstructuration, de cette ouverture au libéralisme forcené. Dès Georges Pompidou, qui glissa en douce la loi Rothschild de 1973 obligeant l’Etat à emprunter avec intérêts sur les marchés financiers, la fin des politiques sociales était en marche. Politiques sociales que Nicolas Sarkozy s’est empressé d’achever avec la récente réforme des retraites.
Car c’est bien Nicolas Sarkozy qui planta le dernier clou au cercueil du CNR :
- Réintégration à l’OTAN qui prive la France de son indépendance militaire
- Nomination de Kouchner au Quai d’Orsay, dernier baston gaulliste, qui tue la diplomatie française
- Ratification du Traité de Lisbonne sur le dos du peuple français, qui met la France sous commandement européen, soit la fin de la maîtrise de ses frontières et de sa politique
- Ouverture à gauche, qui illustre bien l’uniformité du système UMPS, le triomphe de la démocratie d’opinion
En effet, « c’est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourd’hui remis en cause » (p. 11). Un constat juste, mais malheureusement peu développé…
Outre l’indignation (rapide) au sujet de la Palestine, la dénonciation du pouvoir bancaire sur le monde est la bienvenue. Un « pouvoir de l’argent tellement combattu par la Résistance, (qui) n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat » (p. 11). Ici, Hessel fustige la « pensée productiviste » et la « la fuite en avant du toujours plus » (p. 20). Une critique qui, comme toutes les autres, est abordée sans être vraiment décortiquée, analysée, identifiée.
Une intention louable, une finalité décevante
Peu de solutions sont proposées. « Indignez-vous ! ». Oui, mais comment ? Contre quoi ? Contre qui ? L’optique de la non-violence est abordée. Plutôt faible en matière de proposition. Sartre, cité dans le texte, disait lui-même que si « le recours à la violence contre la violence risque de la perpétuer, il est vrai aussi que c’est l’unique moyen de la faire cesser » (p. 19). Donc, pour résumer, il faut s’indigner contre on ne sait quoi, on ne sait qui (Hessel propose aux gens de trouver eux-mêmes des motifs d’indignations !), et cela avec non-violence… Une non-violence floue et, encore une fois, non théorisée.
Quoi qu’il en soit, le livret, balancé sur le marché du livre par le diplomate de 93 ans, est intéressant, honorable. Mais quel manque de profondeur, de développement, voire même… d’utilité ! Les sujets sont effleurés, simplifiés, les responsables sont idéalisés, les solutions sont inexistantes ou presque.
Si la démarche d’indignation générale, dans un parallèle avec l’indignation des années 40 contre l’occupant nazi, « motif de base de la Résistance » (p. 11), est à saluer, le fond est bien trop pauvre, bien trop vague, pour donner les moyens aux oppressés de s’indigner. Pour preuve, cela n’est pas un hasard si l’essai est tant mis en lumière dans les médias dominants. Il est bien difficile aussi d’expliquer pourquoi l’exemplaire trône sur chaque stand, chaque caisse, dans les espaces de ventes. Car, fait important, le système n’est en rien suicidaire.
L’appel à l’indignation a le mérite d’exister, et même, certainement, d’être sincère, mais pour ce qui est d’approfondir la question, de savoir pourquoi, contre qui et comment s’indigner, le lecteur est un peu livré à lui-même.
Voilà pourquoi Indignez-vous, aussi respectable soit-il, n’est en rien un livre dissident. Au mieux, un amuse-gueule, avant la lecture du dernier livre d’Alain Soral, Comprendre l’Empire, loin de n’être qu’une simple brochure commerciale.
Chris Lefebvre (blog)
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