Indignez-vous, fustigez-vous, on s’en fout

L’indignation est un ressort essentiel de la résistance nous dit Stéphane Hessel dans son opuscule écoulé à plus d’un million d’exemplaires. Le succès de ce petit livre a surpris tous les observateurs car l’auteur, même s’il peut se revendiquer de combats justes et légitimes tout en bénéficiant d’une aura et d’une honorabilité sans faille, n’a rien d’une de ces célébrités qu’on voit à la télé depuis des décennies, de BHL à Attali. C’est assez étrange comme sentiment mais en me prenant à imaginer un Onfray, un BHL ou un Attali signer le même opuscule, je n’imagine pas un instant un succès comparable. Sans doute suis-je égaré dans du bricolage fictionnel car les prémisses du raisonnement son fausses. Un Attali ou un BHL ne peuvent pas écrire ce type d’opuscule qui ne collerait pas du reste, avec la tonalité de ces personnages intellectuels peut enclins à livrer une authentique empathie envers le monde qui souffre. On les imagine plus près de leur image, souci de leur gloire et intérêt personnel. C’est certainement le côté désintéressé de Hessel qui a séduit les Français, de 9 à 99 ans. Un Hessel incarné en sage républicain délivrant un conseil adressé aux générations futures pour qu’elles ne dilapident pas les acquis sociaux obtenus après 1945 et les résolutions du Conseil national de la résistance.
S’indigner c’est résister ! Avez-vous remarqué combien cette idée de résistance est devenue présente dans les discours, les propos, les interventions de personnalités, les écrits d’éditorialistes et surtout, les billets rédigés sur les blogs et relayés dans les conversations de comptoir qui parfois, se déclinent en formules criées dans les manifestations récentes. Combien de fois avons-nous entendu ce mot d’ordre, résistance, j’entend pas, résistance, toujours pas, résistance… ! L’indignation ne vaut rien si elle n’est pas entendue et donc, il faut crier son indignation. Hélas, à force de crier, de s’exprimer, les indignations sont noyées dans le flot de déclarations publiques. Même les politiques s’indignent, réagissent. Et vas-y que je condamne, depuis l’Elysée, Matignon, ou bien une improbable villégiature du Lubéron. Alors que d’autres fustigent. Noël Mamère fustige depuis la mairie de Bègles, Daniel Cohn-Bendit fustige depuis le parlement de Strasbourg, Eric Zemmour fustige quand il est chez Ruquier et Robert Ménard quand il est sur I-télé. Dominique de Villepin fustige aussi dans un couloir de palais de justice. S’indigner ou fustiger, oui mais avec un mode d’emploi adéquat. Quand on s’indigne, c’est contre des faits, des propos, des mesures, des événements. Quand on fustige, on désigne nommément la cible, qui peut être une personne, un organisme ou une entreprise. On fustigera le ministre Mitterrand pour ses décisions répétitives et intempestives en tant que responsable de la culture mais on s’indignera sur des faits précis, comme la révocation d’un brillant directeur de théâtre. On fustigera les industriels qui creusent pour du gaz de schiste ou alors Monsanto qui vend très cher des semences à de pauvres paysans d’Afrique.
L’indignation sert-elle ? Oui, sans doute, comme élément de communication, offrant à la société quelques capacités de réactivités. Quand un projet n’est pas digne ou injuste, on s’indigne, mais bien souvent, l’indignation n’a d’effet que si elle est pratiquée par une célébrité ou une personnalité qui dirige. Dans la majorité, certains se sont indignés face aux déclarations et projets de Laurent Wauquiez sur l’allocation du RSA en échange de 5 heures de travail d’intérêt général. Et dans les médias, on a pu entendre une bénéficiaire s’indigner en évoquant une double peine. Non seulement l’allocataire se trouve privé d’un CDI mais en plus, il doit effectuer une tâche qui, si on suit les règlements en vigueur, est proposée à un délinquant comme peine de substitution, 200 heures de travail d’intérêt général pour échapper à trois mois de taule. Pas digne ce travail forcé et donc, indignation.
Quand on ne s’indigne pas et que l’on ne peut pas fustiger, on peut dénoncer. Yves Jégo dénonce la lepénisation d’une partie de l’UMP. La dénonciation est alors connotée positivement. Par contre, dans le vocabulaire de l’Occupation, ceux qui dénonçaient n’étaient pas dans la résistance. En 2011, ceux qui dénoncent sont du côté de ceux qui s’indignent et donc de ceux qui résistent. Comment s’y retrouver ? Le contexte évidemment. Et puis ce n’était pas tant la dénonciation que la délation qui était pratiquée sous l’Occupation, en se cachant, pour éviter la honte. Alors que quand on dénonce de nos jours, on le fait publiquement. On dénoncera la cupidité des laboratoires Servier qui connaissaient la toxicité du médiator, ou bien la connivence entre la ministre Lagarde et Bernard Tapie ou des tas de choses. En fait, quand on dénonce, on met à jour quelque chose qui n’est pas évident, qui ne va pas de soi. On s’indigne face à un fait ou un propos avéré et sans ambiguïté, alors que quand on dénonce, on apporte une information, ou du moins, on veut mettre en avant une vérité que la plupart taisent. Cela dit, le scoop de Jégo était un secret de polichinelle et les Français peuvent s’indigner d’être pris pour des cons alors que François Fillon pourrait le fustiger pour avoir quitté le navire.
Indignation aussi autour de la libération de l’ex femme de Dutroux, alors que d’autres s’indignent quand Cantat vient se produire dans un festival. Tout le monde s’indigne en vérité et ça change quoi ? Pas plus de choses que quand la presse dénonce. Par exemple les quotas au football et la porsche de DSK. Dénoncez, fustigez, condamnez, indignez-vous, même si ça change rien du moins, aurez-vous l’impression n’exister et de résister, de refuser un monde qui de toute façon se fera. Finalement, quand vous vous indignez, vous avez le sentiment de ne pas encore être tout à fait mort et chaque matin qu’il pleuvra, vous pourrez aussi pester contre le mauvais temps. Tant que ça râle, c’est que ça vit ! Vous ne vous indignez pas assez, mais fustigez-vous, donc, et même dénoncez-vous et puis, allez au confessionnal, un bon citoyen qui veut son salut dans la communauté des vivants se doit de s’indigner et puis…
Platon, un peu de philosophie, pardon, savait distinguer les disciplines authentiques des artifices jouant sur les apparences. Rhétorique opposée à la sophistique, toilette opposée à la gymnastique. L’indignation ne serait alors qu’une posture de façade face à la vraie colère, à la passion révolutionnaire. L’indignation comme marque de fabrique du citoyen conforme, formaté comme un produit vendu par le marketing.
En vérité, après avoir réfléchi sur à débat philosophique thématisé sur l’indignation et la révolution animé par mes soins, il est devenu clair que l’indignation est une posture mais que la compréhension est un ressort de la révolution dont le carburant est la passion. C’est ce qui sépare la révolte tunisienne des autres insurrections arabes. La révolution naît quand le peuple comprend que ce qui l’indigne et suscite sa révolte, sa colère, n’est pas causé par un mauvais fonctionnement du régime en place mais par la structure du régime. Il n’y aura pas de révolution en France. Car les citoyens ne connaissent pas la structure du régime. Ils sont agacés parce que leur quotidien ne se passe pas bien. Ils ne savent pas quelle est la part de responsabilité dans cet état de fait, la leur, celle des dirigeants, celle du régime, celle du système. Les Français sont relativement ignorants, les révolutions sont dans le passé, l’avenir ne leur appartient plus.
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