Ingrid au pays des dindons
Ingrid Bétancourt repartie prendre des vacances aux Seychelles, où elle devrait y croiser Dominique de Villepin et sa famille, il nous a paru nécessaire d’analyser l’ensemble des éléments à notre disposition sur sa libération. Les Seychelles, pourquoi pas pour des vacances, le besoin de solitude, sans doute. Mais revenons donc tout d’abord sur une scène : Ingrid Bétancourt agenouillée à l’Eglise Saint-Sulpice, Dominique de Villepin à ses côtés... et c’est Nicolas Sarkozy sur les rotules. Car depuis la libération théâtrale de l’otage, fervente catholique, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a un dindon à la farce qu’a engendrée la libération d’une femme devenue un peu sainte vierge dans les médias. Pire encore, puisqu’aujourd’hui on apprend qu’il y en a deux, de dindons. Dominique de Villepin, ce que l’on savait déjà ici même, et le président actuel. "J’en rends grâce enfin à l’armée, aux chers soldats de ma patrie colombienne, qui ont monté et réussi une opération militaire parfaite, exemplaire, sans aucun précédent historique dans l’histoire de notre continent… Dieu a fait ce miracle", dit l’otage libérée dans les blogs catholiques, qui occultent savamment l’étrange petite phrase téléphonée sur le rôle des agents israéliens d’Israel Ziv et Yossi Kuperwasser, étrangement rentrés à la va-vite en terre natale, le lendemain même de la libération pour retrouver leur société Global CST. Le premier avait été engagé à grands frais par le gouvernement Uribe, et rien n’indiquait à ce jour que son contrat était terminé. Le second s’était déjà rendu célèbre en août 2006 en comparant le Hezbollah aux SS : "In terms of the systematic and deliberate killing of civilians, the difference between Iranian-sponsored Hizbullah and Nazi Germany is that while the SS sought to conceal its deeds - including from German society - Hizbullah proudly proclaims its successes in killing Jewish civilians." Les israéliens ne tuant jamais de civils, c’est bien connu, surtout en 33 jours : 1100 morts contre 159 pendant l’assaut du Liban. Les conseillers d’Uribe sont des faucons, pas des enfants de chœur, et on ne s’attend pas avec eux à de la dentelle ni à un miracle. Chez Bétancourt sermonnée par les soldats d’Uribe, cela devient l’étrange sentence : "D’habitude c’est Israël qui a ce genre de succès. Aujourd’hui il faut qu’on sache que l’armée colombienne est capable de faire ce genre d’opération aussi bien qu’Israël", dit Ingrid à sa descente d’avion. Un "miracle" donc dû à des israéliens plutôt qu’au Dieu des catholiques. Et à cinq ans d’écoutes intensives. Voilà qui n’est pas traditionnel. Mais ce qui l’a été, traditionnel, dans cette prise d’otages, c’est bien sa fin : selon la version officielle uribesque, aucune rançon n’aurait été versée. On peut raisonnablement fortement en douter, pour les raisons que nous allons vous expliquer ici même. Ce n’est pas la première fois qu’on nous chante l’air connu de l’Etat digne et impartial. En France, c’est même plutôt carrément devenu une habitude.

Revoyons un peu le déroulement de l’histoire. Premièrement, le président Uribe n’est pas à l’origine de cette libération : c’est une initiative des Farcs eux-mêmes, qui l’ont clairement proposée depuis des mois en échange d’une promesse d’élargissement et d’une rançon conséquente. Pour ce qui est de l’accueil des gens des Farcs qui accepteraient de se rendre, Uribe peut se frotter les mains : le Premier Ministre français, François Fillon, s’y était engagé dès le 19 décembre 2007. Un président quelque peu vantard, par la voix de son Premier Ministre transparent, s’était en effet proposé d’accueillir les Farcs sans qu’on le lui demande. Une proposition perçue à l’époque comme avant tout démagogique. Résultat : la France aurait pu hériter à la fois de l’otage et de son tortionnaire, une situation à laquelle on aurait peut-être pu penser avant d’avancer pareille proposition. Encore un peu et dans quelques mois, Ingrid Bétancourt n’aurait plus osé sortir de chez elle de peur de croiser son geôlier, libre comme l’air par la volonté présidentielle. Les psychologues nous disent que c’est la pire des choses pour celui qui a subi des violences : cela ne semble pas avoir été analysé avant la proposition présidentielle, tout axée comme toujours sur l’instant et non l’avenir. En fait, clairement depuis le 26 novembre 2007 et la déclaration de Bernard Kouchner à Washington, le parti choisi ouvertement par la France n’était pas celui d’Uribe mais bien celui des Farcs. Bernard Kouchner affirmait alors dans le Figaro « qu’il ne pense pas que la volonté d’Uribe d’aller vers un réglement de cette affaire soit sincère ». Autant vous dire qu’à l’époque tout le monde est de son avis, tant Uribe aurait pu négocier depuis toujours. Et s’est bien empêché de le faire. Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes que cette libération rocambolesque décidée sur le tard par Uribe, mis visiblement sur la touche par une diplomatie française bien prétentieuse.
La fin d’une détention où Nicolas Sarkozy a été à trois reprises le dindon de la farce, ce qui fait beaucoup pour un seul président. La première fois, ce fut en 2003, où il a partagé la honte avec son grand ennemi Dominique de Villepin. La seconde lors de l’envoi de l’avion médicalisé, dont tout le monde a oublié aujourd’hui l’épisode, et la troisième... le jour même de la libération. Notre président aurait tellement voulu jouer les chevaliers blancs dans cette tragique épopée : il se retrouve blanc, en effet, mais d’avoir été roulé dans la farine. Et ce, à trois reprises, ce qui fait beaucoup, même pour un président. L’effet « tarmac de descente d’avion » à Paris de l’otage la plus célèbre de France n’y fera rien : pour les Français, Nicolas Sarkozy s’est fait doubler sur le fil sur ce sujet auquel il tenait tant. Un sondage fait sur le vif démontre qu’il y a joué un rôle, mais pas aussi prépondérant qu’il l’aurait souhaité. Les chiffres avoisinent ceux de l’élection présidentielle, les partisans de l’UMP étant les seuls vraiment convaincus. Chirac avait fait nettement mieux avec les otages libanais et s’était même défait avec un certain brio des négociations menées par Fabius et Dumas en 86 ! Une victoire chiraquienne au prix annoncé de 3 millions de dollars de l’époque.
Revenons à la première fois, dont nous vous avions conté l’histoire en un temps où un fanfaron n’était pas encore président de la République. A cette époque, un avion C-130 et un petit bimoteur avaient été dépêchés de toute urgence en Colombie, ou plus exactement au Brésil, à Manaus, pour tenter quelque chose. La mère d’Ingrid, Yolanda Pulecio, avait alors été associée étroitement à cette tentative de libération, elle aussi soumise à condition financière. Déjà, en 2003, pour obtenir des otages, il fallait payer, comme Marchiani avait payé la libération des otages français, ou a même tenté d’en détourner une partie comme le laissait entendre Jacques Chirac, qui a juré lui aussi sur ses grands dieux que l’Etat français n’avait versé aucune rançon. Pour Kaufmann, Marchiani avait bel et bien été mandaté par Chirac, que ce dernier tente d’enfoncer aujourd’hui pour ne pas subir l’affront de l’aveu du versement d’une rançon. Marchiani a été mis en examen en août 2004 pour ce détournement supposé d’argent non officiellement versé. Un comble, mais qui n’étonne pas, à suivre en accéléré la carrière du bonhomme. Marchiani, tout droit issu de la filière corse intégrée à la Main Rouge, ces activistes d’extrême droite chargés d’éradiquer le FLN, avait participé à des opérations spéciales en Bosnie et intégré le SAC de Pasqua(chargé en 68 de s’occuper des « gauchistes »)... Ce n’est donc pas un ange, loin s’en faut. Plutôt discret, jusqu’à son implication dans l’affaire Markovic, une tentative de déstabilisation du président Pompidou, via sa femme Claude et des photos honteuses fabriquées. L’extrême droite a toujours les mêmes réflexes de vouloir en premier salir la famille de ses adversaires. C’est une seconde nature chez elle. Le 4 mai 1988 arrive enfin son heure de gloire, pour notre futur préfet : il descend du Falcon présidentiel avec devant lui les quatre otages du Hezbollah libanais. Une rançon a bien été versée pour Roger Auque, Marcel Carton, Jean-Paul Kauffmann et Jean-Louis Normandin... mais le destinataire, le cheikh Abdel Moneim Ali Zein, chiite expatrié en Afrique, au Sénégal, ne recevra jamais l’argent versé... Zein avait pour ami Imad Mughnieh, le ravisseur des otages français et le responsable également, de l’attentat du Drakkar et de la mort de Seurat. Le corps de ce dernier sera retrouvé 20 ans après son exécution et ramené en France sous Villepin. Mughnieh, l’un des pires terroristes existant, sera exécuté le 13 février 2008 par une action attribuée au Mossad. Sur les millions versés pour les otages du Liban, on ne retrouve aujourd’hui que la trace d’un rétro-versement de 850 000 francs de l’époque à... Charles Pasqua et Marchiani dans... les archives de la DST. Ironie du sort, l’ex-préfet du Var se retrouve aujourd’hui en prison pour son implication dans divers trafics d’armes portant sur des chiffres assez astronomiques. Et avec à la clé une demande surprise de libération du 10 mai dernier signée des... quatre otages déjà cités. Avoir été otage peut parfois nuire gravement au discernement, il semble bien. Et chaque gestion d’otage est une histoire d’Etat trouble, et en ce sens ni Bétancourt ni Sarkozy n’échappent à la règle.
Mais revenons-en au... 14 juillet 2004. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy se prend une gifle médiatique signée... Jacques Chirac. Le cinglant « je décide, il exécute » présidentiel lui reste en travers de la gorge et lui fait ressentir une rancune tenace contre une seconde personne, Dominique de Villepin. Le fiasco de la libération ratée de Bétancourt, un an auparavant, a laissé des traces visibles des deux côtés. Ces deux-là se haïssent, pour sûr. Sarkozy, arrivé la veille à Bogota, a appris en effet le matin du 22 juillet 2003, jour où il reçoit l’ambassadeur de France en Colombie, qu’on vient de lui jouer un fort mauvais tour. Dans ses mains, le journal Le Monde, qui lui apprend l’expédition colombienne ubuesque de la DGSE, via le Brésil, qui a eu lieu du 9 au 13 juillet. Sarkozy n’en sait strictement rien, l’ambassadeur, lui, sait tout, à juste raison. Fureur du premier. Le second est plutôt gêné... car on raconte dans le journal que l’envoyé spécial de la DGSE de De Villepin, Noel Saez, assisté de Jean-Pierre Gontard, un franco-suisse, a remis l’argent pour libérer Bétancourt... à de simples escrocs. Les deux envoyés gouvernementaux se sont fait avoir comme des bleus. Selon Bogota, dans l’ordinateur de Reyes, on trouvera cette phrase tapée par lui à ce propos : « Je ne comprends pas pourquoi Saez a remis l’argent à des pseudo-membres des Farcs. » Or, l’ambassadeur de France en Colombie, à cette époque n’est autre que... Noel Saez, celui en face même de Nicolas Sarkozy. Saez n’est donc pas que consul : il est aussi agent appointé de la DGSE, qui a échappé alors quelques heures au ministère de l’Intérieur (d’Alliot-Marie !) sur ordre express de l’Elysée. Ne cherchez pas pourquoi notre président rancunier tenait tant ces derniers temps à fondre les services secrets en une seule entité et une seule autorité (la sienne). Fillon, aujourd’hui, ne pourrait se permettre de faire ce qu’a tenté Villepin.
Saez n’en est pas à une bourde près : selon une député colombienne, Piedad Cordoba, très proche des Farcs, c’est à cause de son appel téléphonique intercepté par un Awacs (ou autre chose, nous le verrons bientôt) qu’est venue la frappe chirurgicale... américaine, qui a tué Reyes le 1ermars dernier... Dix bombes GBU 12 Paveway de 227 kilos ont rayé de la surface de la planète le campement du chef sur le terrain des Farcs. Aucun avion colombien n’est capable de larguer ce type de bombes. L’implication américaine est donc manifeste et indéniable. Les Français, eux, sur le coup brésilien de 2003, bien trop vite réalisé, se sont fait doubler par des aigrefins, des voleurs organisés même pas détectés. De l’amateurisme absolu. Ce n’est pas faute de préparation, pourtant : trois jours avant, une réunion importante avait eu lieu au Panama. Y assistaient le haut commissaire colombien à la paix, Luis Carlos Restrepo, un des directeurs du Quai d’Orsay, Daniel Parfait (qui s’est remarié à... Astrid, la propre sœur d’Ingrid Betancourt), et l’ineffable Noël Saez. Avec Parfait, la famille Bétancourt a donc toujours eu des liens étroits avec le gouvernement français, et ce n’est pas Nicolas Sarkozy seul qui peut tirer la couverture à lui, aujourd’hui encore. Les affaires étrangères ont toujours eu un œil « familial » sur Bétancourt. Sarkozy, lui, n’est pas marié à une Colombienne, à ce qu’on sache, même si le contenu de certaines de ses chansons laisse entendre qu’elle connaît bien les productions locales. Et se voit déclarée aussi sec persona non grata dans le pays par le ministre des Affaires étrangères. Ce n’est pas demain que notre président pourra se rendre en Colombie en couple présidentiel, une invitation suggérée par Ingrid elle-même : le contenu de l’album a été connu début juin, alors que l’on était toujours en train de discuter avec les Farcs, ce qui exaspère passablement le gouvernement colombien. Ce n’était pas vraiment le moment de chanter « Tu es ma came/Plus mortel que l’héroïne afghane/Plus dangereux que la blanche colombienne ». Ca plus Renaud, ça commence à bien faire, se dit Alvaro. Daniel Parfait, entre-temps, le beau-frère diplomate, a en prime effectivement rencontré personnellement cinq fois Reyes. Au final, la France a donc déjà payé pour Bétancourt une rançon.. totalement inutile, puisque subtilisée le jour de sa livraison par des petits malins ! On s’apprêtait en fait logiquement à en verser une deuxième ces dernières semaines... la République ne comptant pas dès qu’il s’agit de s’attirer un peu de gloire, pour sûr. Si l’on avait versé trois millions de dollars en 1988 pour quatre otages, on doit bien être à un petit dix millions pour un seul, à l’aune de l’inflation française galopante.
Le second camouflet sarkozien est l’incroyable périple de cet avion médicalisé envoyé en toute urgence fin mars 2008. Sarkozy se persuade toujours à cette époque qu’il va libérer seul Ingrid Bétancourt, et pas un autour de lui pour arriver à l’en dissuader (à se demander à quoi servent Guéant ou Guaino). En février 2008 déjà, on retrouve notre député Piedad Cordoba affirmant de source sûre, vu ses liens directs avec les Farcs, que la libération d’Ingrid Bétancourt est « imminente ». Cordoba est crédible : elle vient juste de rencontrer Manuel Marulanda, le fondateur des Farcs, qui mourra quelques semaines après. Les Farcs ont déjà donné leur accord, une nouvelle rançon est à prévoir... La France s’emballe aussitôt. Mais tout à coup rien ne va plus, la négociation est interrompue brusquement par les Farcs. La raison de leur revirement n’est pas seulement due à la mort au début du mois de Reyes, mais est plutôt liée à l’arrestation par la CIA et les services secrets colombiens de Luz Dary Conde, alias « Doris Adriana », le 2 février aupravant. C’est la compagne de Gerardo Aguila Ramirez alias Cesar, celui qui a la garde.. d’Ingrid Bétancourt. Les Farcs savent alors que leur fin est proche et qu’il faut faire vite. Autant en profiter pour se vendre au plus offrant : c’est le syndrome des otages du Liban qui recommence, avec la CIA à la place de Michel Roussin, émissaire de Chirac venu rafler la mise au nez du Quai d’Orsay de Mitterand. Capturée par des Américains, Doris Adriana se voit confier la mission de proposer 20 millions de dollars en échange des prisonniers du groupe d’Aguila Ramirez, son ami, une initiative dont pourrait bénéficier davantage McCain qu’Obama, qui doit aller faire un voyage début juillet en Colombie. McCain aura une faveur et sera prévenu à l’avance par Uribe de l’opération de libération décidée, ce qui explique aussi son maintien sur place depuis son arrivée le 1er juillet. Les tractations commencées en février vont durer quatre longs mois, et les Français en sont totalement exclus. Ils ne savent rien des manigances américaines, tout à leurs liens privilégiés via la famille d’Ingrid et les tribulations de leurs émissaires des services secrets, devenus véritables pieds nickelés de l’histoire. McCain le saura avant même la fin de l’épisode de la libération, Nicolas Sarkozy que le soir même de l’événement, vers 21h15 précise le Canard enchaîné du 9 juillet, alors qu’il se rend... chez madame. Uribe ne lui a même pas téléphoné, laissant l’AFP effectuer l’annonce au monde entier. Et laissant Nicolas Sarkozy boire la coupe jusqu’à la lie. L’homme, de retour à l’Elysée, incendiant au passage son staff et traitant tout le monde d’incapables comme l’indique le Canard enchaîné... comme à son habitude dirait-on.
La mort de Reyes, dans son camp bombardé le 1er mars 2008, remet en effet tout en cause, et c’est voulu par le président colombien... et les Américains. Uribe a alors choisi de torpiller les négociations en cours par la manière forte. C’est la dernière fois, en fait, car sur place il se heurte à un problème pour se maintenir au pouvoir : des juges bloquent sa proposition de modifier la constitution pour effectuer un troisième mandat. L’éradication de Reyes lui a permis de présenter son côté intraitable, il peut maintenant essayer autre chose, à savoir la négociation d’une rançon. En fin politicien, et en homme d’Etat ayant pris connaissance du contenu des mails de Reyes avec les Français et ses rencontres avec Parfait, son choix se porte sur une autre manière, celle consistant à ridiculiser la France et ce président qui en fait trop avec son ennemi de toujours, Chavez. Il vient de comprendre tout l’avantage qu’il peut tirer politiquement de la libération de Bétancourt, qui jusqu’ici lui était bien utile pour focaliser l’opinion internationale contre les Farcs et ne tenait pas plus que ça à la voir s’en échapper. Une Bétancourt libérée qui viendrait dire à la télévision qu’un troisième mandat, elle, elle n’y serait pas opposée... hum, voilà qui serait parfait, en revanche. Et c’est exactement ce qu’on va lui demander de dire en échange de sa libération ! Résignée, c’est ce que fera la députée avec un manque d’enthousiasme évident. Libérée, elle ne l’est décidément pas du poids énorme de la politique colombienne et de l’emprise qu’à dessus Alvaro Uribe.
Les Farcs à nouveau contactés en mars par les Français, eux, sont déjà moins enthousiastes que le président français : le 2 avril un communiqué de l’ANNCOL l’affuble même d’un retentissant « naïf ». Il ironise même sur « La mission médico-humanitaire du président Sarkozy », avec l’envoi du Falcon. Ce qui leur reste en travers, ce sont bien les circonstances de la mort de Reyes, que les Farcs ont clairement analysées : « Les Farcs marcheront avec des pieds de plomb, se souvenant que ce fut précisément un appel de membres [il s’agissait plutôt d’émissaires, ndlr] du gouvernement français, incité par l’esprit criminel du psychiatre Dr Ternura [surnom donné par les Farcs au psychiatre et surtout haut commissaire colombien à la Paix, Luis Carlos Restrepo, ndlr], qui a permis au gouvernement des Etats-Unis de localiser le camp de Raul Reyes et de le bombarder. » Saez, au passage en prend aussi pour son compte. Méfiants, car ils savent pertinemment que l’argent promis pour les défections et les repentis décime leurs troupes. Une révélation du 3 avril remet les choses au clair : « Les Farcs cherchent à libérer Ingrid Betancourt, [à trouver] la manière de la livrer », affirmait dans le quotidien colombien El Tiempo du 31 mars, le prêtre catholique Manuel Mancera. Il révélait avoir été contacté le 26 mars par la guérilla, sans préciser le niveau hiérarchique des ses interlocuteurs, et il croyait que ce contact était lié à l’ouverture de démarches pour la libération d’Ingrid Betancourt. Coïncidence ou non, des prélats de l’Eglise colombienne étaient reçus à l’ambassade de France à Bogota ce même 31 mars, par l’ambassadeur J-Michel Marlaudveille, le jour de l’annonce par le président Sarkozy de l’envoi de la fameuse mission humanitaire française et du célèbre Falcon. Nicolas Sarkozy, allié de l’Eglise de Bogota, voilà qui n’est pas pour lui déplaire. Il peut y croire, remarquez : le 23 juin, on en aura même une preuve de vie inattendue, de l’efficacité de la filière épiscopale, avec celle d’un otage oublié, Sigifredo Lopez, libéré par cette voie. Le père Mancera avait déjà été contacté par les rebelles pour Clara Rojas, ex-directrice de campagne et colistière d’Ingrid Betancourt, libérée dans l’Etat du Guaviare.
Le 26 mars, Nicolas Sarkozy a donc appris que les Farcs, contre rançon et promesse d’accueil libéreraient Bétancourt, et le 31 reçu sa confirmation officielle venant des Farcs via le canal épiscopal. Sûr de son fait, l’homme pressé se précipite et envoie un avion médicalisé, au vu des dernières vidéos (pas trop récentes) reçues de Bétancourt. Le Falcon décolle le vendredi... stationne tout le week-end et... repart le lundi à la surprise générale... Les Farcs n’ont pas adressé la parole aux émissaires français : Paris tente bien alors de désamorcer l’affront, en parlant d’un second Falcon basé à Villacoublay, « prêt à tout moment ». Le mal est fait : les Farcs ont déjà choisi... l’offre financière la plus élevée, en bons trafiquants de drogue vendant selon la demande. Nicolas Sarkozy, en choisissant un avion-hôpital en avait déjà trop fait, l’histoire le démontrera plus tard : les Farcs, au courant de l’image de marque déplorable véhiculée par une image cadavérique d’Ingrid, avaient commencé à améliorer sa nourriture, même si les bombardements la rendaient plus délicate et moins régulière. Mais un chevalier, ça protège la veuve, l’orphelin ou la malade, c’est bien connu. L’affaire du Falcon précipité est encore une fois symptomatique d’une façon de faire présidentielle. Communiquer « people » ou ne pas communiquer du tout. Une semaine de vidéos d’une Ingrid décharnée diffusées en boucle sur les téléviseurs, et au bout un hôpital volant, c’est la scène classique et obligatoire de tout bon roman-photos. L’avion reparti dans son hangar, il reste un dindon de la farce sur le tarmac. Pour Nicolas Sarkozy, qui apprend seulement alors à avaler les couleuvres des Farcs, c’est rageant, il faut bien l’avouer. Mais il ne sait pas encore ce qui se trame contre lui. A force de gesticuler, il est devenu l’ennemi... d’Alvaro Uribe. Et connaissant le personnage, ce n’est pas bon signe pour lui. Un président colombien qui pourrait se voir inculper de crime de guerre pour son opération hollywoodienne : ses militaires ont été déguisés en hommes de la Croix-Rouge, ce qu’interdisent formellement les conventions de Genève.
Nicolas Sarkozy continue lui sa croisade comme si de rien n’était, insensible aux échos de l’irritation d’Uribe, comme un George W. Bush la sienne en Irak. Inflexible malgré les échecs répétés, ne croyant qu’à la mission dont il s’est lui-même investi. Continuant à consulter et à relancer un Chavez bien dépité par la mort de Reyes, son interlocuteur privilégié. Et d’autres, dont une Piedad Cordoba déjà reçue en novembre 2007 par lui-même, qui ne semble pas non plus toute rose dans l’histoire : selon J. Thomet, celle autrefois détenue par des paramilitaires et relâchée sur intervention de Bétancourt. Selon Thomet, Cordoba aurait « trahi » Bétancourt en écrivant à Reyes « qu’il faut libérer quelqu’un, mais pas Ingrid, car (les Farcs) n’en ont rien à faire des autres otages »... Or, malheureusement, c’est vrai, et c’est terrible à dire. Seule Bétancourt vaut de l’or. A part les trois Américains, royalement oubliés par Bush et redécouverts fortuitement par un ancien prisonnier des Viêt-Congs devenu candidat à la magistrature, désormais plus personne ne se mobilisera pour les derniers otages, ce que tout le monde craint aujourd’hui davantage encore. Bétancourt libérée, ils ne valent plus rien aux yeux de leurs geôliers. Les Farcs sont décapités, dit-on : espérons qu’ils ne se suicident pas avec leurs derniers détenus. Nous sommes alors fin mars 2008, et notre président, qui décidément n’en rate pas une, choisit le 1er avril (?) pour entonner un appel solennel aux Farcs. Il vient juste de recevoir les 602 000 signatures récoltées par les comités de soutien d’Ingrid Bétancourt. Il fait alors dans le pathétique : « Ingrid est en danger de mort imminente. Elle n’a plus la force de résister à une captivité interminable. » Le scènes d’hôpital des romans-photos l’ont véritablement marqué à jamais. Une « mission humanitaire » est lancée... à la fin du mois, « docteur humanitaire Kouchner » fait une tournée en Amérique du Sud, en finissant par une rencontre avec Chavez. Il déclare « continuer à chercher d’autres interlocuteurs parce que nous devons être constants », phrase qui signifie qu’après Reyes, la France n’a personne avec qui discuter désormais. Le flop complet, Uribe a visé dans le mille.
Le 24 mai, les Farcs, pressés par Uribe et la traque qui s’intensifie, s’aperçoivent que leur avenir n’est pas assuré en cas de défection en territoire colombien. Un juge colombien vient en effet de rejeter l’offre d’Alvaro Uribe de les amnistier s’ils se livrent, comme étant illégale : ou ils libèrent tout le monde... ou personne. Ils demandent alors directement à Nicolas Sarkozy, qu’ils ont rabroué deux mois avant, la création d’une zone démilitarisée pour qu’un « échange » d’otages puisse avoir lieu. Et réitèrent leur demande d’extradition et de protection française. Un appel entendu en métropole : le 6 juin, le président y croit dur comme fer et réitère son offre d’accueil des repentis. Il endosse à nouveau sa plus belle armure, enfourche son plus beau destrier (de chez Dassault) et affirme qu’ il est « prêt à se rendre à la frontière » entre la Colombie et le Venezuela si c’était « la condition de la libération »... sans s’apercevoir que son homologue Uribe ne peut qu’être furieux de l’entendre dire cela... et sans savoir non plus que ce jour-là, il s’adresse à un mort. Un comble, question renseignements. S’il y en a un qui doit tirer les marrons du feu, c’est bien Uribe, plutôt, et il s’y attèle en stratège avec la CIA et son conseiller israélien Ziv. Son image de non-négociateur pur et dur est doublée depuis toujours de celle du narco-trafiquant négociant pied à pied chaque lot de drogue. L’appel de Sarkozy est vécu comme un véritable affront par les Colombiens, au gouvernement comme dans le pays. Et les Farcs ont déjà choisi leur camp, mais cela le président français l’ignore. Pire encore : il va se faire offrir une promenade en bateau le temps de la véritable libération de Bétancourt, et par la CIA, via ses deux envoyés déguisés en Tintin chez les Picaros. En politique extérieure, il a décidément tout à apprendre. Sauf à se venger, ce pour quoi il semble avoir quelque dextérité : le 22 mai on apprend une nomination au Quai d’Orsay. Faisant suite au "décret du 17 avril 2008 portant nomination d’un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République française auprès des Etats-Unis mexicains - M. Parfait (Daniel)"... le beau-frère d’Ingrid quitte l’Amérique du Sud et la Colombie pour le Mexique. Certains y voient le jeu normal des mutations d’ambassade, d’autres pas... l’homme qui a rencontré Reyes fait de l’ombre quelque part. En haut lieu, pour sûr.
Le 9 juin, la surprise (et la désillusion) est de taille : Chavez abandonne tout le monde. Il demande aux Farcs, dans une émission de télévision dont il a le secret (dominical), d’abandonner la lutte armée. Lui qui n’a eu de cesse de les recevoir en son palais présidentiel ! Tout le monde tombe des nues, sauf ceux qui savent le contenu de l’ordinateur de Reyes. Dans lequel, semble-t-il, Chavez se retrouve mouillé jusqu’au cou. Ça change complètement du Chavez du 4 avril, qui proposait avec emphase "Sarkozy, allons dans le Caguán chercher Ingrid”... non sans suggérer un autre contact primordial à ces yeux : ”Président Sarkozy, parlez avec le président Bush, il peut faire beaucoup, il est très impliqué dans cette histoire.” Chavez a-t-il alors essayé de déciler le président Sarkozy sur l’implication en cours ? Au courant étroitement des négociations financières des Farcs, a-t-il tenté de faire comprendre au président français que 20 millions de dollars avaient été mis sur la table et qu’à partir de là l’offre française ne passerait plus ? On ne le saura jamais, mais avec la défection de Chavez, c’est encore une porte de plus que notre président présomptueux se prend en plein nez. A partir de là, les jeux sont faits question Français : les Farcs ont négocié avec d’autres, Ingrid Bétancourt sera bien libérée, mais seul Alvaro Uribe va en profiter. Les français ont erré dans le vide de la jungle pendant cinq ans et vont le payer au prix fort, celui du ridicule. Le président français ne peut plus que manger son chapeau. Or il n’en a pas, il ne s’appelle pas François.
Le 21 juin, ça n’a rien à voir avec la Colombie, mais un autre otage français oublié est libéré. Il s’appelle Johan Freckhaus, a 37 ans et vit depuis longtemps en Afghanistan où il avait été enlevé en mai dernier par les talibans. Un des membres du conseil de la province où il a été enlevé commente : "Le Français a été libéré à la suite d’un accord. Les talibans ont d’abord demandé la libération de six de leurs prisonniers en échange, mais le gouvernement afghan a refusé. Il a finalement été libéré en échange d’une rançon". Encore une fois, on assiste au versement d’une rançon, comme dénouement, aussitôt démenti (plutôt mollement) par le Quai d’Orsay.
Le 28 juin, nos deux pieds nickelés de la DGSE qui ne savent rien sont pourtant à nouveau sur le terrain, en Colombie. A croire qu’en France personne d’autre ne connaît le pays. Ils y ont été envoyés par... la France, à savoir Nicolas l’omniprésent, à la suite d’un nouvel appel des Farcs, qui annoncent cette fois la libération de Bétancourt comme imminente, maintenant, c’est du sûr et ce sera la dernière offre, c’est le moment de foncer. Ce que ne sait pas notre ex-consul en pataugas, c’est que l’annonce émane directement du plan dressé par le pool de spécialistes de la désinformation de Ziv. Les Colombiens veulent isoler Cano, nouveau leader des Farcs, et le maintenir à distance respectable. Une libération est bien prévue, avec l’habituelle rançon à la clé... Mais à 400 km de là où sont envoyés nos deux héros malgré eux ! Les journalistes sont alors attirés dans la région, les fuites étant organisées, ce qui permet de préparer tranquillement ailleurs l’opération que l’on sait, avec l’art et la manière de le présenter, la fausse télé de Chavez en prime. Nos deux malheureux émissaires rentrent bredouilles de leur entrevue avec Alfonso Cano, l’un des deux tout nouveaux leaders des Farcs après la mort de ses deux chefs principaux. Au moment où ils rentrent, la presse leur fait une large publicité... sans évoquer bien entendu leur échec. Uribe peut se frotter les mains, son plan est en place. Les Français s’obstinent avec la tête du mouvement, alors que les Américains ont déjà son bras droit dans leur poche, retourné par sa compagne capturée. Pour vingt millions, on a tout ce qu’on veut, finalement. Encore faut-il les avoir et ne pas les refiler au premier venu rencontré au milieu de la jungle.
Le reste est de l’histoire... la libération grandguignolesque, Kouchner que l’on fait poireauter en attendant l’avion du retour en France, l’arrivée à Paris, les simagrées d’usage et le lendemain une bien plus chaleureuse ambiance avec... Dominique de Villepin, et pour enfoncer le clou, celle de Jacques Chirac, qui s’y connaît bien davantage, donc, en otages que son ex-protégé. Dindon de la farce jusqu’au bout, Nicolas Sarkozy doit alors assister aussi au triomphe de ses ennemis...
Epilogue : Le 7 juillet, Ingrid Bétancourt, juste avant de partir aux Seychelles, reconnaît sur RFI qu’il y a pu avoir versement d’argent : "probablement, oui, il y a eu quelqu’un qui a reçu de l’argent, en tout cas ce n’était pas les gens qui étaient avec nous". La théorie du versement à des personnes tierces se tient donc. Quand à savoir pourquoi les Seychelles : "Elle y a vécu près de trois années, entre 1985 et 1988, époque où Fabrice Delloye était conseiller économique de l’ambassade de France à Mahé, la capitale du pays. Elle y a donné naissance à sa fille, Mélanie, en septembre 1985". Les Seychelles sont aussi au centre du trafic d’armes légères dans le monde, mais bon c’est une autre histoire, celle du Rwanda d’ailleurs. Retour à Bogota : le lendemain même du sauvetage, Uribe peut s’attaquer à un autre groupuscule aussi ancien et plus doctrinaire encore : l’ELN. Dirigé à une époque par deux prêtres... passés à gauche. En France le mouvement à de surprenants adeptes. Le 8 juillet, le couperet tombe : un nouveau sondage le confirme. Il n’y a aucun effet Bétancourt dans la popularité du chef de l’Etat. Les Français se sont aperçus que dans cette épopée se terminant comme une mauvaise farce, le coq français s’était bien fait pigeonner, et qu’ils n’aimaient pas être assimilés à un peuple de dindons qui croient tout ce qu’on leur dit. A trop vouloir en faire, le dindon de la farce s’est brûlé les ailes. Déjà qu’un dindon ça ne vole pas très haut...
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