Ingrid Betancourt est libérée et le président Sarkozy est au Creusot
Quand la communication façonne une politique et modèle ses images édifiantes, les absences comptent tout autant que les présences. Que le président Sarkozy ait choisi d’aller au Creusot le jour même où Ingrid Betancourt retrouve la liberté, au lieu de se précipiter en Colombie à sa rencontre, dans l’avion affrété à grands frais par la République française aux côtés de ses enfants et de son ministre des Affaires étrangères, n’est pas anodin.
Une mise en scène minimale
Il faut l’avouer, le change a beau être donné, le coup est rude. Le dénouement médiatique tant espéré n’a rien de comparable avec la libération des infirmières bulgares en juillet 2007.
Sans doute, le président Sarkozy a-t-il organisé de toute urgence mercredi 2 juillet, en fin de soirée, une conférence de presse aux côtés des enfants et de la sœur d’Ingrid Betancourt, à l’annonce de la libération des quinze otages par l’armée colombienne, pour évoquer avec sa joie son engagement personnel en faveur de l’otage des Farc.
Les radios nationales de service public, de leur côté, ont beau rappeler, comme France Info, dans une « Émission spéciale », jeudi 3 juillet, les preuves de la détermination du président pour arracher l’otage à ses bourreaux, et, comme d’habitude, avoir introduit dans l’avion officiel une journaliste accréditée pour rendre compte très officiellement des retrouvailles évidemment émouvantes entre une mère et ses enfants sous l’œil réjoui du ministre des Affaires étrangères. Ces manifestations médiatiques pour saluer cette libération ne sont pas à la mesure des efforts déployés par le président Sarkozy depuis des mois pour l’obtenir.
L’échec de la voie politique
Les faits sont là. La stratégie du président français a échoué quand celle du président colombien l’a emporté : c’est par la ruse et la force que les otages ont été libérés et non par la négociation. On entend bien une autre explication qui ferait des deux stratégies deux fers au feu complémentaires comme les deux faces de la même pièce : la négociation prônée par le président français aurait aidé au succès de l’opération militaire en endormant l’ennemi et surtout en faisant d’Ingrid Betancourt un symbole mondial de la liberté outragée.
Il n’est pas douteux que la campagne en faveur de sa libération a permis qu’elle ne tombe pas dans l’oubli. Cette stratégie est celle que suit depuis longtemps Amnesty International. On se souvient, par exemple, d’une de ses affiches de 1982 : « Son crime : penser. Si on l’oublie, il mourra » était le slogan à deux vigoureux paradoxes incrusté sur la photo d’un prisonnier agrippé à des barreaux et regardant fixement le lecteur. Le crime a besoin de silence pour être perpétré, quand le bourreau tient à sa réputation de démocrate.
C’est une loi médiatique : un fait dont ne parle pas, n’existe pas. « Le scandale du monde est ce qui fait l’offense, explique Tartuffe de Molière. Et ce n’est pas pécher que pécher en silence ». Un crime devient affaire d’État, au contraire, en fonction du grand nombre de personnes qui en ont connaissance. L’action du président Sarkozy a manifestement contribué à faire de la libération d’Ingrid Betancourt et des otages qui l’accompagnaient, une priorité internationale.
Mais du même coup, elle a donné à l’otage un prix que ses bourreaux n’entendaient pas brader, et qui les incitait à retarder le plus longtemps possible l’instant de sa libération.
Le succès du recours à la force
On sait que cette voie politique, choisie également par le président du Venezuela, n’avait pas la faveur du président colombien. Celui-ci avait opté depuis longtemps pour la force, comme le montre l’opération qui vient de se dérouler : elle a demandé manifestement de longs mois de préparation minutieuse et délicate pour infiltrer les Farc, voire retourner certains de ses cadres. Et il paraît certain que les forces armées américaines ont prêté leur concours. Or, c’est cette option militaire, et rien d’autre, qui a arraché les otages à leurs geôliers.
À la question de savoir si le président Sarkozy avait été informé de l’action militaire, le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, n’a pu apporter aucune réponse sur France Info, dans son édition de midi, jeudi 3 juillet : tout au plus a-t-il répété que le président avait été en contact avec son homologue colombien ; mais, a-t-il dû convenir, il ne savait pas ce qu’ils s’étaient dit. Il est vraisemblable que si le président avait été informé de l’opération, le porte-parole gouvernemental ne se serait pas privé de le répandre.
Une otage reconnaissante qui a de la mémoire
Et comme si ça ne suffisait pas, il a fallu qu’Ingrid Betancourt associe à cette issue heureuse nombre de personnes dont on avait oublié l’action. Sans doute a-t-elle en français remercié en premier le président Sarkozy « qui a tant lutté avec (sa) famille » ; mais on a eu la surprise de l’entendre dire avec encore plus de chaleur toute sa gratitude au « président Chirac qui (lui) a tendu la main, a-t-elle souligné, dans les moments où lutter pour les otages en Colombie était politiquement inconvenant ». Et qui a t-elle salué encore plus chaleureusement ? « (Son) ami Dominique de Villepin » qu’elle « (porte dans son) cœur » et « sa femme Marie-Laure parce qu’ (elle sait) qu’ils ont été avec (sa) famille et avec (elle) pendant toutes ces années » !
Elle ne pouvait plus vertement remettre chacun à sa place, signifiant ainsi qu’elle n’entendait pas échapper à un ravisseur pour tomber sous la coupe d’un autre et de sa communication.
On comprend mieux que le président Sarkozy ait préféré aller au Creusot plutôt qu’à Bogota. Lui qui avait fait de cette libération un des symboles de son quinquennat au soir de son élection, en mai 2007, au risque de se l’approprier indûment et faire oublier que d’autres avaient œuvré ou continuaient de le faire discrètement, pouvait-il se résigner à n’être plus qu’un artisan parmi d’autres ? Plutôt être le premier au Creusot que le second à Bogota, enseigne le catéchisme de la communication depuis Jules César.
Paul Villach
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