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Instabilité persistante dans le Nord-Est de la RD Congo : le triomphe de la cupidité

Entre janvier et juin 2020, le BCNUDH a documenté 4.113 violations et atteintes aux droits de l’homme sur l’ensemble du territoire de la RDC, soit une augmentation de 17% par rapport au semestre précèdent (juillet-décembre) et de 35% par rapport à la même période l’année dernière (janvier-juin 2019). Cette tendance à la hausse s’explique par une augmentation exponentielle (+91%) du nombre d’atteintes attribuables aux groupes armés, qui est indicative d’une détérioration de la situation des droits de l’homme dans les provinces en conflit, en particulier l’Ituri, le Sud-Kivu, le Tanganyika et le Nord-Kivu, tandis que le nombre de violations commises par des agents de l’Etat a légèrement diminué (-3%). Près de 43% des violations documentés durant le premier semestre 2020 ont été commises par des agents de l’Etat (Fardc et Pnc) […] Les combattants de tous les groupes armés confondus ont quant à eux commis 57% de ces violations…" Note du BCNUDH (Bureau conjoint des Nations-Unies aux Droits de l’homme en RDC) Cfr RFI du 06/08/2020.

 

La lecture de cette note ne produit plus autant d’émotions dans la conscience collective en RD Congo car c’est depuis près de deux décennies que l’Est du pays fait face à de sévères situations d'instabilité récurrente. La complexité des conflits dans cette vaste région est due au fait que chacun des acteurs possède des revendications prétendues "légitimes" et est responsable au même moment d'importantes violations des droits de l'homme. De nombreux groupes armés étrangers et nationaux continuent ainsi à opérer à l'Est de la RDC. Ces groupes et leurs allégeances se forment sur des bases communautaires et patrimoniales. Les différents régimes qui se sont succédés ont complètement échoué face aux défis de gestion du pays dans un environnement mondialisé et mouvant après la chute du mur de Berlin. Cette incompétence de l’élite politique a eu pour conséquence l’anarchie et surtout cette forme d’obscurantisme se traduisant par un comportement rétrograde de cette oligarchie au pouvoir qui préfère entretenir l’ignorance des populations en les empêchant d’accéder à un niveau de connaissances et du bien-être. Face à cet alignement des planètes en faveur de certains pays voisins, des forces exogènes en ont profité pour s’installer durablement dans cette riche région en y proclamant le régime de l’animus necandi.

 

Pérennisation de ces "Katiba" armées dans l’Est de la RDC

 

En vue de mieux comprendre la récurrence des activités de ces groupes criminels, il est intéressant de relever les potentialités qui caractérisent cette région qui s’étend sur une superficie de 428 225 km² allant du Sud et Nord-Kivu, Ituri, Haut et Bas-Uélé pour une population estimée à 23 Millions d’habitants (96 millions en 2019 pour la RDC) soit une densité de 52 hab/ km² contre 41 hab/ km² pour le reste du pays. Cette région est limitrophe à 5 pays dont elle partage les frontières souvent poreuses et surtout avec des groupes ethniques transfrontaliers sur des limites fixées arbitrairement par les prédateurs coloniaux 

Cette même région possède des atouts considérables : un important potentiel de ressources naturelles et minérales (coltan, du cobaltdiamantor, pétrole, gaz méthane) avec une panoplie des ressources agricoles (thé, café, bois, hévéa, cacao, latex du papayer,… ), une biodiversité parmi les meilleures au monde et un élevage sélectionné sur des collines et des plaines verdoyantes dans le Masisi et en Ituri. Sa situation géographique lui confère une position stratégique car non seulement elle est le château d’eau africain en se situant sur les deux crêtes des bassins du fleuve Nil et du fleuve Congo (la valeur stratégique de l’eau dans le futur) mais elle se situe également sur la route chinoise de la soie qui devra relier l’océan indien à l’atlantique. Ce tableau, capable de faire pâlir d’envie tout potentiel investisseur, constitue malheureusement l’appât de gain sur lequel surfent tous ses seigneurs de guerres avec la complicité des réseaux mafieux de l’élite congolaise et de la pègre internationale.

 

En effet, le niveau de la corruption en RD Congo est devenu endémique et son origine se situe dans le régime kleptocratique de Mobutu à la base de la décadence du pays à la fin des années 1980 et début 1990. Les régimes successifs ont continué dans la même veine en pactisant avec certains condottières à la tête des groupes armés pour s’enrichir. La plupart de ces dirigeants ne poursuivaient fondamentalement que deux buts : le premier étant de mettre sur pied un gouvernement de prédateurs au sang-froid et le second c’est de protéger leur écosystème d’incurie contre tout mouvement de protestation. Le couvercle de la marmite sociale devait se refermer à triple cran tandis qu’à l’intérieur la pression sur la pauvre population ne cessait de monter : la stratégie de l’effroi en marche jusqu’à ce jour.

 

Le vide stratégique chez l’élite congolaise

 

Nos forces de défense et de sécurité doivent être porteuses du dialogue entre civils et leurs différents corps de métiers. La gestion de nos forces de défense et de sécurité doit se faire sans la moindre discrimination ethnique ou sociale. A compter de ce jour, elles doivent se sentir pleinement intégrés dans la nation par leurs actes. Nous voulons valoriser par une plus forte responsabilité l’attachement de nos compatriotes aux valeurs républicaines qui régissent notre nation. […] Le Gouvernement que nous allons nommer prochainement et qui sera investi par le parlement va décliner son action politique sur plusieurs priorités dont la pacification de tout le territoire national en accélérant la lutte contre l’éradication des groupes armés qui sévissent et sèment la désolation auprès de nos populations. " Discours d’investiture du président Felix Tshisekedi le 24/01/2019.

 

Voici plus d’une année que ce discours a été prononcé mais l’insécurité persiste toujours dans la région orientale du pays. Les causes ne sont pas à rechercher dans une quelconque incapacité du nouveau régime mais dans l’absurdité d’un système décisionnel mis en place depuis plusieurs décennies qui a forcé le politique à vivre au rythme d’une surabondance d’informations noyées dans un flux de rumeurs. Ce phénomène ne peut que laisser peu de place à la réflexion et à la conviction. D’où le remplacement de l’art de la stratégie (plan d’actions coordonnées à long terme) par celui de la tactique (moyens habiles pour arriver rapidement à des résultats voulus) qui est le domaine d’esquive, de la fuite en avant pour des intérêts inavoués, du détournement somatique du réel. Ainsi, il devient difficile d’expliquer et d’anticiper ce qui survient, de penser le futur pour se limiter au seul contrôle du présent.

 

Ce déficit stratégique explique les échecs dans la réforme des Fardc depuis plusieurs années et dont l’objectif consistait en la formation d’une armée nationale, restructurée et intégrée. Ces ratés, dus à un manque de vision et de volonté politique, étaient prévisibles car les régimes successifs avaient mis en place une économie de guerre permettant à plusieurs protagonistes d'accumuler des richesses auxquelles ils ne pouvaient pas prétendre dans des circonstances normales. Jusqu’à ce jour, les acteurs nationaux et étrangers et leurs contractants locaux contribuent aux déclenchements de la violence à cause de leurs rivalités sur le contrôle des richesses dans l’Est du pays. En lieu et place d’une véritable réforme, les responsables politiques ont souvent procédé à des promotions farfelues des généraux pour acheter leur loyauté et leur allégeance.

 

Typologie du combattant et mode de sa destruction

 

En attendant que cette réforme des services de sécurité aboutisse, il est possible de mettre fin aux tueries incessantes dans l’Est de la RD Congo. En effet, toute dictature a une grande facilité à se doter d’un ennemi. Si donc l’ennemi est une construction, il doit être possible de le déconstruire en analysant les différentes étapes de sa fabrication : une idéologie stratégique donnée, un discours orienté, des faiseurs d’opinion appelés aussi marqueurs et enfin des mécanismes de montées à la violence. La maitrise de ses étapes permettra de dresser une typologie des acteurs (ennemi proche, planétaire, intime, caché, conceptuel et médiatique), de définir les grands types de belligérances et leurs processus de destruction. Chacun des cas répond à des caractéristiques stratégiques connues, se construit sur un discours spécifique avec des marqueurs propres et des signaux identifiables. De ce fait, la guerre nait de volontés collectives et de valeurs sociales reconnues qui sont les privilèges sociaux et symboliques du combattant (enrichissement sans cause), le sentiment de puissance, le sens de l’histoire, la régulation démographique, etc…

Contrairement à cette assertion prétendant une affiliation des ADF à l’Etat islamique (Daesh), nous estimons qu’une bonne lecture et analyse des faits sur terrain par des professionnels du métier devrait conclure en un canular car le chiffon rouge brandi a été simplement l’œuvre de cette bourgeoisie politico-militaire qui utilise le conflit pour faire des affaires avec un intérêt direct dans la poursuite de la violence dans cette région du pays.

 

Il est surprenant d’apprendre que depuis 2014 l’opération Sukola 1, avec plus de 25,000 hommes de troupes, une dizaine de généraux sur terrain des opérations, un arsenal impressionnant d’armes de guerre et un budget énorme (détourné par la junte militaire affairiste), n’a pas été capable de venir à bout d’un millier de combattants. Face à une menace asymétrique de type guérilla, il faut revoir la doctrine de déploiement et d’emploi des forces en opérations militaires. Le recours à des forces réduites et très mobiles, capables de s’intégrer à tous types de terrain, d’évoluer dans des milieux hostiles, de pénétrer au cœur des populations locales nous semble indiqué pour l’Est de la RD Congo. Le tout devant être précédé d’un travail minutieux de renseignement humain et électronique. Ce genre de boulot est l’œuvre des Forces spéciales (FS) qui agissent en équipes réduites et autonomes, font des actions commandos dans la profondeur des lignes ennemies, du renseignement au sein des populations civiles et du captage des transmissions de l’ennemi. Elles ont un rôle ponctuel mais à portée stratégique : la célérité et la surprise dans l’action étant primordiales. L’approche de ces unités d’élite insiste sur le renseignement (collecte, analyse et traitement des infos recueillies) pour mieux connaitre les réseaux adverses, et sur la détection et l’élimination ciblée des membres au sein de la population ainsi que des chefs militaires. Il est vrai que ces pratiques ne s’improvisent pas et exigent des hommes soigneusement sélectionnés aux nerfs d’acier (véritables cyborgs), aussi intelligents que physiques, afin de contrer l’adversaire sur son propre terrain avec des techniques de combats similaires aux siennes.

 

En 2016, l’opération Sokola 1 à Beni avait déployé la 31ème brigade commando des forces de réaction rapide dont les 311 & 312 bataillons d’unités de réaction rapide. Le 311ème bataillon commando était sur l’axe Mbau – Kamango et le 312ème bataillon commando opérait sur le tronçon Oicha – Eringeti soit une moyenne 2500 hommes en effectif théorique. On suppose que ces unités commandos sont des équipes à fort degré de technicité, capables d’user de la violence en recourant à la ruse et au secret pour neutraliser ces groupes armés. Malheureusement, 4 ans après, les massacres des civils continuent dans l’indifférence de nos autorités politico-militaires. Nous venons d’apprendre le déploiement en Ituri d’un nouveau bataillon commando dont les éléments sont venus de plusieurs régions militaires après une formation de quelques mois afin de combattre les miliciens dans le territoire de Djugu. C’est sidérant d’apprendre qu’un corps d’élite est formé dans 3 mois dans un centre de Rwampara sans matériel adéquat quand on connait la rigueur et le temps pour la formation des fameux Spetsnaz, FS russes, insensibles à la douleur.

Les raisons des échecs récurrents des Fardc dans cette région sont de trois ordres : il y a d’abord la stupéfiante ignorance chez les décideurs de l’environnement culturel du terrain des opérations, une excessive confiance dans la capacité opérationnelle à résoudre des problèmes qui ne sont pas toujours techniques, et enfin la démotivation des soldats mal payés, peu encadrés qui voient leurs chefs épicuriens occupés à faires des affaires juteuses quand eux se font canarder sur les champs des opérations. 

 

Conclusion

 

Nous avons voulu sensibiliser les nouveaux dirigeants sur l’origine des politiques désastreuses à la base du dépérissement de nos populations, de l’échec à assurer leur sécurité et des leçons que nous en tirons actuellement. Soit nous continuons à faire triompher la cupidité, à ignorer les conditions de vie de nos populations, à privilégier des solutions à court terme qui arrangent bien l’égo du politique à travers des décisions à effet placebo, à privilégier la tyrannie des statistiques et des chiffres (croissance positive) pour couvrir l’incurie des dirigeants, à surfer sur la théorie du choc de crise existante pour imposer un agenda politique plus dévastateur que le choc lui-même ; soit nous acceptons de faire un pas de coté en considérant les causes fondamentales de nos échecs. En effet, ces milliers de jeunes diplômés déversés sur le marché du travail sans aucun espoir d’être embauchés constituent aujourd’hui autant de proies pour les fondamentalistes de tout poil et donc un danger pour le futur de notre pays.

 

Il est notoirement connu que, sauf exception, le politique se consacre d’abord au succès des prochaines élections. Il délaisse le long terme qui souvent ne lui appartient pas et ne lui profitera pas ; il abandonne aisément les grands principes pour les petits choix et les faciles arrangements. La focalisation se fait sur les questions de court terme où des progrès tangibles peuvent être produits au cours des cycles électoraux. On promet beaucoup pour l’avenir mais on ne le construit pas, puisqu’il pourrait être celui des autres.

 

Pour les nouveaux dirigeants de notre pays, nous répétons ce qu’avait écrit le général Vincent Desportes dans son livre "Entrer en stratégie" Ed. Robert Laffont :

« Il est indispensable de penser la stratégie parce qu’elle seule permet de dépasser la confusion dans laquelle l’action humaine est contrainte de se déployer. Il n’y a pas de substitut à la pensée stratégique mais encore faut-il, pour qu’elle soit possible, que celui qui entre en stratégie ait assimilé les contraintes et les obstacles qu’il y rencontrera. Voilà la conviction qui m’anime. »

 

C’est la nôtre également…

 

  JEAN-MARIE MUTOBOLA

   CONSULTANT BIA

-BUREAU D’INVESTIGATION ET D’ANALYSE (BIA)

(Email : [email protected]) 


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