Institutions : 1 - peuple : 0
Ce qui devait arriver arriva : la (contre-)réforme des retraites a été adoptée avec la collaboration de la majorité des Républicains. Quel joli coup politique pour ce Président décidément si audacieux. Faire voter une loi rejetée par 93% des actifs et arriver à contourner une motion de censure, en divisant celui qui se revendique parti « gaulliste », pour en siphonner les voix de ses éléments les plus calculateurs. Oui : quel coup de maître et quel fin tacticien politique que ce Président. Hollande ne devrait pas le dire, mais il a dû apprécier. Car après tout, c’est si bien ficelé ! 47-1, 44-3, 49-3 : la valse des chiffres fait bonheur à voir et doit réjouir le coeur de ce cher constitutionnaliste (un peu oublié à cause de sombres affaires de moeurs pourtant, jadis, si proche des pouvoirs) : ce bon Olivier Duhamel. Voici le sérieux du néo-management : jouer avec les règles. Après tout : « c’est légal », nous répète-t-on comme un mantra, mieux comme une incantation à laquelle nous sommes sommés de croire. Oui, c’est légal, c’est magnifiquement joué. Même le discours imbécile de la sotte Bergé (qui a insulté à peu près toute la représentation nationale) n’a pas fait se réveiller la dernière once d’amour-propre d’un Ciotti ou d’un Marleix (qui accusa pourtant, en son temps, le Président d’avoir été au centre d’un « pacte de corruption »). « Les cons ça accepte tout », serait-on tenté de dire, pour reprendre et détourner Audiard. Magnifique Président, joyau de vingt-et-un siècles d’humanisme. Il a la vision politique d’un Machiavel, le sens de la séparation des pouvoirs d’un Monstesquieu, la compréhension de l’esprit démocratique d’un Tocqueville, l’humanisme d’un Erasmus. Bref un joyau, un concentré, un exemple, un « composé chimiquement pur ». Le plus beau, le plus fort, le plus intelligent que la France n’ait jamais connu dans son histoire multiséculaire. La réforme des retraites est votée avec ce coup de génie. Il est donc temps de passer à autre chose. L’acte 1 de la réforme des retraites est ficelé, emballé, le second (report de l’âge à 65, 66, 67 voire 70 ans soyons fou !) sera pour le prochain. Les commanditaires de Macron peuvent être heureux : il a fait du bon boulot. Gageons qu’il a eu les félicitations de son chef direct, son « N+1 » : l’aristocrate (descendante d’une longue famille aimant la collaboration des français) : Ursula Albrecht Von der Leyen. Laquelle, en rendra compte au chef du monde : papy Joe ; lequel devrait donner un satisfecit général et envoyer Black Rock pour prêcher les vertus de la capitalisation (« la retraite des morts » comme on disait jadis). Oui d’autres chantiers nous attendent : il est maintenant temps d’envoyer la troupe en Ukraine pour se débarrasser du dernier des grands méchants : le dictateur, multi-cancéreux, mangeur de petits enfants (selon la Cour Pénale Internationale), enfermeur de peuples et concentré d’hitléro-stalinisme (comme le dirait l’entarté au 800 entrées par film), j’ai bien sûr nommé Vladimir Poutine. Oui : vous savez celui qui se déplace dans sa voiture personnelle et sans escorte en Crimée. Mais je m’égare.
Hier donc, Macron, Borne et Dussopt ont réitéré le double (ou triple, les avis divergent) gestes de l’avocat mis en examen, mais tout de même ministre de la justice, à l’adresse de la Nation et non du Parlement (on progresse). Passé ce petit moment d’émotion à l’annonce du vote, Borne a dû fêter cela en grande pompe ! Quel coup politique majeur ! La majorité confortée plus que jamais avec désormais le caniche LR à la niche LREM attendant sa pitance. Oui un grand coup politique et démocratique : il faut le souligner. Puisque toutes institutions sont désormais macronistes (le Parlement comme le Sénat). En bon pervers : Borne se permet même de saisir elle-même le Conseil Constitutionnel pour entériner sa propre loi sur les retraites. C’est dire si elle le redoute ! Il faut dire que les multi-condamnés Fabius et Juppé ne devraient pas faire preuve d’un plus grand courage dans l’examen de cette loi que celui dont ils ont fait preuve lors de l’examen de la loi sur le passe sanitaire. Et puis, c’est un jugement de proportionnalité que fait le Conseil (en toute indépendance et "en responsabilité" bien sûr) : deux ans ferme pour tout le monde (sauf les sénateurs), voilà qui est proportionnée. Quand on a rien eu à redire à une loi d’apartheid, ni contre les deux mois fermes imposés à 68 millions de personnes, on devrait trouver cela proportionné… Tout est question de mesure « dans les salons feutrés de la République » (selon le bon mot journalistique). C’est quand même un merveilleux spectacle que la Démocratie et la République. Surtout quand tout le monde est d’accord. Car c’est là ce qui est important : quand on discute une loi proposée par le gouvernement, c’est qu’elle est juste, donc elle doit être adoptée « en responsabilité ». Raisonnement CQFD. Donc : manifester, oui (mais pour autant qu’on le fasse durant deux heures avant la pause déjeuner sur un trajet surveillé par autant de CRS qu’il y a de manifestants, que ça n’embête personne et qu’on reprenne sagement le boulot après « en responsabilité »), parler : oui (pour autant qu’on soit d’accord sur le point de départ qui est que le gouvernement et Macron ont raison), voter : oui (mais pour autant que la loi soit adoptée « en responsabilité » et « dans le dialogue », bref dans les termes du gouvernement).
Oui : discuter, amender, « améliorer », « prendre en compte », c’est ça être responsable. Refuser, réfuter, rejeter les prémisses comme le fait la majorité des français, ça c’est être irresponsable, séditieux, illibéral pire : « complotiste » ; c’est prendre le risque qu’il n’y ait plus d’eau cet été, que la courbe du réchauffement climatique ne tienne plus sur une « slide » du PPT de MacKinsey, que les sept plaies d’Egypte s’abattent sur la France, qu’il y ait des pluies de grenouilles, que sais-je que le Soleil s’arrête de briller et la Terre de tourner. Bref, c’est ne rien comprendre et faire le jeu des extrêmes et des complotistes.
Et puis : travailler deux ans de plus, mais franchement qui s’en plaindrait ? « Arbeit macht Frei » : le travail rend libre. Et Patriat vous le dit : les ouvriers qui viennent chez vous ont des exosquelettes. Vous ne l’avez pas remarqué ? C’est plus comme avant !
Deux ans, bande d’égoïstes ! Deux petites années pour sauver notre système des retraites et la planète ! Mais qu’est-ce dans la vie ? non mais franchement ? Quand on voit la peine que se donne Emmanuel II en Afrique pour convaincre, donnant de sa personne jusque dans les boîtes de nuit ? Manifester, tout casser dans la belle ville de Paris, et en plus le jour où le Président se débrouille -hasard du calendrier – pour faire libérer un otage ? Vous aimez vraiment tout gâcher ! Les français c’est un sale peuple, un peuple de nuls ! Allez du courage, au travail, bande de feignasses. On avait déjà vu avec les « Zilets Zaunes » que vous étiez des séditieux et des fainéants dans l’âme. Il avait fallu envoyer les cognes pour vous rosser et tout faire rentrer tout dans l’ordre. En plus vous aviez donné du travail à notre Saint Président qui avait dû faire de la pédagozie dans toute la France. Heureusement qu’on a eu le covid ! Ca, c’était bien : 68 millions de prisonniers volontaires, sous l’œil de matons, hagards, qui n’ont même pas eu à lever la matraque. Pauvre Bentham et ton Panopticon ! Dépassé ! Le covid, c’est la servitude plus que volontaire : désiré. Et puis le zilets zaunes, le covid : ça a permis de tester le passe sanitaire et de voir, jusqu’où ce peuple docile pouvait aller et être mater sans oser bouger une oreille. Et on n’a pas été déçu par la veulerie de la majorité des français ! Toujours avec l’aval des institutions et du « quatrième pouvoir », grâce à ce passe vers l’Enfer, on a réussi à ranimer les ferments de la guerre civile. D’un côté les bons (triple vaccinés, toujours prêts à croire tout ce qu’on leur dit du moment qu’il y a marqué « débunker » - c’est en anglais, ça fait sérieux), de l’autre : les méchants, ceux qui refusent tout le temps tout (que l’on peut emmerder à dessein). C’est beau un peuple fracturé et ça accepte tout ! Voilà ce qu’on aime à l’Elysée : un peuple qui se tient calme comme le dit David Dufresne.
Alors autant y aller, exploiter le filon contre la colère populaire, contre les manifestants : d’un côté les institutions « démocratiques » qui sont à la botte du pouvoir, et de l’autre « la rue », « les factieux », « les complotistes » qui ne sont rien. Bref, le Peuple n’a plus son mot à dire. Ce sont les « institutions » qui gouvernent y compris contre le souverain. Les institutions, c’est un peu un canard sans tête, mais avec une laisse tenue par le Président et qui va là où on lui dit d'aller. C’est cela la Démocratie ! C’est cela la République ! C’est cela enfin le france ! C’est tout de même oublier un petit détail un peu embêtant : c'est qu'un canard décapité, ça ne marche pas longtemps…
Après le test du Covid, tout est permis et voici donc venu la course au dressage du peuple que nous voyons à l'oeuvre dans ces manifestations contre la réforme des retraites. Voici comment ça marche (le gouvernement appelle cela "faire de la pédagogie"). Pédagogie 1.0 : tu écoutes ce que te dis le gouvernement et tu es d'accord "en responsabilité" ; sinon : pédagogie 2.0 : Arrêter pour rien, taper, gazer, bientôt massacrer : là les CRS t’expliquent la pédagogie de la matraque : « Si tu veux rester en vie, rentre chez toi ! », « tiens prends ça et ramasse tes couilles » ; tels sont les bons mots, non plus de l’almanach Vermot, mais des milices macronistes (repeintes sous les couleurs de la police républicaine) à l’adresse de ceux qui manifestent. Et comme ça suffit pas les can(ive)aux d’infos continus font de la pédagogie 3.0 : « mais faut bien comprendre ! La démocratie est passée ! Ils ont voté, c’est fini, on rentre chez soi ! Et en plus, ils attaquent les permanences à coup d’autocollants ! C’est abject : l’ordre républicain est attaqué ! Vite allons interviewer cette une poubelle qui brûle seule dans son coin, la pauvre ! »
En attendant de pouvoir compter des morts, l’exécutif, comme si de rien n’était reprend le fil démocratique. De nouveaux projets de loi sont en attente. Il paraît même que l’homme qui a déclenché une guerre en Lybie pour des motifs douteux, qui se balade (jusque dans l’Elysée) avec un bracelet électronique et qui poursuivi dans un nombre incalculable d’affaires souffle à l’oreille du Président qu’il conviendrait de transformer le Conseil Constitutionnel en Cour Suprême, avec juges nommés par l’Elysée directement. Oui : on est jamais trop prudent. Des fois que certains auraient des scrupules et iraient, jusqu’à vouloir refuser un caprice du Prince ! Non, le risque est trop grand : les institutions républicaines et démocratiques, c'est bien quand c’est d’accord avec le Président. Toute autre parole (en attendant les pensées) est malvenue.
Ne manque même plus l’embrigadement obligatoire de la jeunesse (au sein des SNU) afin d’inculquer, dès le plus jeune âge que c’est le Prézident qui a toujours raison.
Je parie qu’en s’endormant hier soir, sur ce spectacle merveilleux d’une destitution qui n'a pas été votée à 9 voix près (grâce au soutien de la lie de ce qui fut jadis un parti important), et en savourant les images de sa belle BRAV-M (descendante des funestes voltigeurs) en train de frapper du manifestant, le petit Emmanuel a du dire :« et t’as vu Brizitte : ze suis plus fort, z'ai fiat gagner les institutions ! Et en plus ze suis le plus fort pour calmer les sédizieux ! Vive moi ! Ze suis le plus grand prézident de la terre ». Dors bien et serre ton doudou, brave Emmanuel, il faut te reposer et rassure-toi le méchant Pyrrhus n'existe pas et Saint Ménehould n'est pas sur la route de Bruxelles. "Euh tant mieux zé eu peur".
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