Intelligence Artificielle Algorithmes et Démocratie
On parle beaucoup d'intelligence artificielle, d'algorithmes, de moteurs de recherche, de systèmes d'information, du fameux GPS, de Waze, de Netflix, de Zoom, de Google maps, de voitures autonomes, de... sites de rencontre ( Meetic, Tinder). Les algorithmes concernent l'orientation des étudiants, le crédit bancaire, la fiscalité. Et on ne saurait oublier le fameux site "TousAntiCovid" qui nous a été bien utile pendant 2 années difficiles pour tout un chacun.
Donc la question des algorithmes dans notre vie quotidienne se pose à tous, utiles ou inutiles, dangereux ou bénéfiques ; l'usager doit-il s'en méfier ou les accepter comme indispensables ? L'intelligence artificielle intéresse tout le monde en 2023 alors que la première conférence sur l'I.A. à Darmouth (USA) date de 1956 et qu'aujourd'hui des systèmes d'intelligence artificielle capables de lire dans le cerveau, traduisent en paroles et images les signes cérébraux.
Un livre nous interpelle sur les algorithmes "qui nous formatent et nous cadenassent,... qui nous conseillent". Il nous propose de "réinventer la démocratie à l'aune des algorithmes". Hugues Bersini publie "Algocratie : allons-nous donner le pouvoir aux algorithmes ?" Il est membre de l'Académie Royale de Belgique, enseignant la programmation informatique à l'Université Libre de Bruxelles dont il dirige le Laboratoire d'intelligence artificielle. Il enseigne l'intelligence artificielle depuis plus de 30 ans.
La révolution numérique est là et bien là, incontournable. Et les libertés individuelles numériques amènent débat, comme le note dans sa préface à l'ouvrage, Gilles Badinet, membre de l'Institut Montaigne, qui anime par ailleurs un cours à Sciences Po Paris sur "Numérique et politique publique" : "Nous sommes schizophrènes, souhaitant passionnément que nos données soient protégées d'un accès aux tiers et en même temps, désireux d'avoir des services numériques privés ou publics de la meilleure qualité possible, disposant de capacités divinatoires et de contrôle de chacun, sauf de soi-même".Les questions au quotidien sont là : " Le fait que je parte travailler à 8h15 du matin n'intéresse-t-il que moi ou également la régie de transport qui peut adapter au fur et à mesure la mobilisation de ses équipements". " Des épidémiologues pourraient traiter de façon plus efficace d'autres patients atteints d'une pathologie dont j'ai moi-même souffert, en accédant à mes données".
Pour Hugues Bersini les grands problèmes de notre monde tel qu'il est, mondialisation, inégalités, réchauffement climatique, épidémies, transition énergétique, pourraient être traités plus efficacement par le numérique et l'intelligence artificielle. Et toute l'étude de Hugues Bersini tend à démontrer que " des dispositifs logiciels peuvent assister la chose publique et sa gouvernance", pour le bien de la collectivité, avec "la difficulté d'aligner le particulier sur le collectif", "pour une société harmonieuse et pacifiée".
Pourquoi pas algorithmiser pour être efficace ? Face au désintérêt des citoyens pour la chose politique, face à l'abstention de plus en plus importante lors des élections démocratiques, face à la méfiance envers le politique en général, " le temps des algorithmes est une chance d'apporter plus de transparence dans le fonctionnement de la cité". D'ores et déjà "des technocrates se retrouvent aux manettes car sollicités par leurs pairs pour la qualité de leurs prestations antérieures". Pendant la crise de la Covid, des experts scientifiques ont accompagné les décisions des politiques en matière se santé, de circuits économiques, de gestion de la société. " Si un scientifique a influencé par son savoir et ses écrits un nombre considérable de ses pairs, il est en première ligne pour aviser ceux en charge d'assurer le bien-être du plus grand nombre". Ainsi la création algorithmique peut servir la gouvernance publique. C'est l'algocratie.
Avec les plans de relance européens, réponses à la crise sanitaire, on assiste à une expérimentation du "développement d'algorithmes d'intelligence artificielle pour la gestion des biens publics, l'accès à l'emploi, la mobilité, la simplification administrative." Il faut aussi la participation citoyenne à l'écriture des algorithmes concernant l'accès aux établissements scolaires et universitaires, le prélèvement fiscal, la fraude sociale etc.
On pourra citer le cas de l'Estonie "le pays le plus informatisé du monde en termes d'administration, de " e-governance", à la grande satisfaction et fierté de ses habitants. Les modes de participation à la vie publique et d'interactions administratives n'ont de cesse de s'informatiser, visant une simplification radicale, une diminution drastique des documents échangés et des attentes aux guichets".
Ces algorithmes peuvent " pallier les déficits cognitifs et les déviances égotiques" des politiques qui recourent de plus en plus aux experts, aux sociétés informatiques de consulting. Les algorithmes n'entrainent pas automatiquement la "dégénérescence de certaines capacités cognitives". Et ils permettent ce qu'un cerveau entrainé ne serait pas capable d'accomplir.
Ce qui n'empêche pas de se poser la question de la collectivité par rapport à l'individu. Par exemple, "Google n'en a cure de la collectivité" car " on cible publicitairement... les individus". Et " on peut hésiter à voir un véritable progrès social dans l'émergence de Google, Amazon, Facebook, et la principale exploitation des algorithmes qu'ils font, consistant à maximiser les profits, à privatiser nos biens publics et à provoquer une épidémie de narcissisme chez les jeunes".
Il faut donc alors que les gouvernants s'empressent de comprendre au mieux le fonctionnement des algorithmes et "les réorientent au profit de la collectivité".
Méfiance également envers les algorithmes de recommandation. Car " les internautes ne s'informent que de nouvelles qu'ils sont censés apprécier ou qui s'inscrivent tout à fait dans leur manière de voir et... de circonscrire le monde". D'où " polarisation entre démocrates et républicains américains, russophiles et russophobes, souverainistes et mondialistes, entre les extrêmes de manière générale. Ces 2 populations s'ignorent ou se combattent". La démocratie peut alors se trouver en danger, face au complotisme avec " les nouvelles les plus angoissantes qui canalisent l'attention". "Ces émotions négatives conduisent... au rejet d'autrui, au cloisonnement communautaire, à la colère, au bannissement des solutions politiques réfléchies et subtiles, donc à l'attirance pour les régimes politiques autocratiques et violents". Il faut donc que les politiques pensent au renforcement des capacités cognitives des populations et des solidarités. " Il est impératif que les algorithmes utilisés par les "géants" (GAFAM) deviennent transparents". On n'oubliera pas le fait que le web s'est développé au début sur une base libertaire, décentralisée. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
Dans le domaine financier " le bitcoin est devenu la monnaie préférée des rançonneurs, des spéculateurs ". " La blockchain très respectueuse de la vie privée est un des modes de transaction préférés du banditisme". " Est-ce la faute de la blockchain ou simplement le fait d'un nouvel univers commercial que sa jeunesse et sa complexité mettent encore pour l'instant à l'abri des instances judiciaires et régulatrices ? " Et pourtant " l'accès au crédit est un parfait exemple de l'évolution de l'intelligence artificielle". " Les banques cherchent à se protéger des défauts de paiement. Il y va de leur survie et du bien-être des débiteurs diligents. Une faillite bancaire n'arrange pas grand monde". Mais il faut que l'algorithme soit le plus éthique possible, afin d'éviter les discriminations envers les minorités défavorisées. Un décideur quel qu'il soit ( juge, directeur d'école, responsable d'une unité de santé, banquier) doit pouvoir s'affranchir en discriminant positivement.
A l'avenir la concertation, la participation des usagers est indispensable, dès l'élaboration de l'algorithme. Les assemblées citoyennes d'usagers doivent participer au développement des bases de données. Ce qui demande un effort de pédagogie mais " l'informatique permet des niveaux d'abstraction qui autorisent à tous le bon niveau de compréhension". L'analphabétisme informatique doit être combattu, car " un enfant dès l'âge de 5 ans peut apprendre et comprendre des mécanismes qui soustendent l'écriture des logiciels". Et sans doute dans les facultés de droit faudra-t-il prévoir des cours d'algorithmique.
L'auteur d' "Algocratie" envisage aussi les poussées algorithmiques qui devraient permettre de ralentir et d'atténuer le désastre écologique qui vient". Or " quelles que soient les solutions envisagées, des dispositifs logiciels joueront les premiers rôles" pour" les systèmes d'énergie renouvelable, la diminution de l'impact environnemental des centrales électriques ou nucléaires, la possibilité de fabriquer autant de produits, sinon plus, mais avec moins de déchets, en consommant moins d'énergie, l' agriculture optimisée, moins énergivore, moins polluante, l'économie circulaire.
En sachant que le numérique est lui-même très consommateur d'énergie, de matériaux extraits dans des conditions difficiles et difficilement recyclables. Le numérique exige câbles, antennes, électricité pour produire et véhiculer. La mise en réseau permanente amène discussion. Les besoins de refroidissement des serveurs de la mémorisation des traces numériques sont à prendre en compte.
Hugues Bersini passe en revue "les algorithmes destinés à dissuader ou empêcher nos comportements polluants" : déplacements, consommation énergétique, habitudes d'achat, consumérisme. En agissant sur la prévention, en prévenant l'infraction et non en pensant punition ( la loi privilégiant la sanction). Avec le projet de laisser la technologie et les automatisations qu'elle permet, prendre graduellement le dessus sur l'existant législatif. " Les algorithmes sont capables de venir à bout de la complexité et de marier intérêt personnel et intérêt collectif.
Avec à la clé ( si l'on prend l'exemple de l'automobile autonome) de nouveaux emplois pour construire les nouveaux véhicules, pour équiper les villes, pour repenser les voies de communication, pour sécuriser les accès, pour programmer les déplacements, pour assister les personnes handicapées. En se rappelant que les accidents de trains, les catastrophes aériennes sont, dans l'immense majorité des cas, dus à des défaillances humaines et "des systèmes pensés par des humains défaillants."
"Des capteurs et des actionneurs intelligents sont prêts à envahir nos foyers, nos usines, nos établissements publics, pour contrôler...nos consommations de façon à les concilier avec les impératifs écologiques".
L'identification par les données est déjà utilisée par les forces de l'ordre, pour améliorer la sécurité dans les villes, par les pompiers pour identifier les zones vulnérables aux incendies, par les services de santé pour déterminer les zones exposées aux maladies. Les amateurs de sites pédophiles sont sous haute surveillance. Même détection possible des actes terroristes potentiels. En sachant , nous dit Hugues Bersini, que" je préfère nettement qu'un algorithme m'espionne, plutôt qu'un homme". Car " un algorithme, à la différence d'un homme, peut être constamment et aisément désactivé, recalibré, modifié, revu à la hausse ou à la baisse". "La collaboration entre les algorithmes et les juristes " a elle aussi " de beaux jours devant elle". Tout en tenant compte du fait que le juge doit "décider en son âme et conscience" ce qu'il convient de faire "des algorithmes prédictifs en matière judiciaire".
Au total le livre d'Hugues Bersini sur un sujet essentiel mais pas facile à cerner, se lit facilement, avec des pointes d'humour, fourmillant d'exemples et d'anecdotes et il est à mettre entre toutes les mains. Il nous permet de rentrer largement dans les coulisses du chercheur, du programmateur, du développeur dans les logiques entrepreneuriale et scientifique.
Son projet "Citicod" expérimenté pour " une participation massive des citoyens dans la mise au point des dispositifs logiciels auxquels ils sont de plus en plus assujettis" vaut la peine d'être étudié par les citoyens de base comme par les décideurs, pour un avenir maitrisé. Avec "une réinvention de la démocratie et de la participation citoyenne", à l'heure où " la plupart des penseurs voient dans l'invasion algorithmique... autant d'opportunités pour gérer la complexité des réalités sociales, que de dangers de manipulation et d'uniformisation collective". A l'heure où la gouvernance exige moins de représentation et plus de participation".
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