Intelligence et mécénat
Énigme. Le seul problème de l’intelligence, c’est que parfois, on ne comprend plus les raisonnements ou les attitudes. Que Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, possède une forme aiguë de compréhension des situations sociales et des rapports de force qui les structurent relève de l’évidence. Sinon, il ne serait pas devenu ce qu’il est. C’est donc en toute intelligence qu’il a accompli hier, à seize heures, une démarche à laquelle, au moment où j’écris ces lignes, je ne comprends encore rien.
Résumons la situation. Depuis la fin de la semaine dernière, Xavier Bertrand, ministre du Travail, indique qu’il n’y a plus rien à négocier au plan national sur la réforme des régimes spéciaux de retraites. Pour résumer, ni l’allongement de la durée des cotisations, ni le principe de l’application d’une décote, ni celui d’une indexation des pensions sur l’évolution des prix, n’est négociable selon le ministre. En revanche, et il le répète en boucle depuis une semaine, l’intégration des primes au calcul de la retraite, les fins de carrières, la prise en compte de la pénibilité des tâches, d’éventuelles augmentations de salaires, tout cela peut être discuté au sein des entreprises publiques concernées, avec l’aval et sous la surveillance des pouvoirs publics. C’est d’ailleurs en tenant compte de ce cadrage général qu’Anne-Marie Idrac, présidente de la SNCF, a écrit une lettre aux 160 000 cheminots dès jeudi dernier, déplorant au passage que personne ne vienne négocier avec elle.
Voilà donc ce qui était connu depuis plusieurs jours. Comment expliquer alors que Bernard Thibault ait attendu hier après-midi, seize heures, soit quatre heures avant le démarrage de la grève, pour rendre visite à Xavier Bertrand dans son ministère et lui dire : Banco ! on négocie par entreprise. Voyons, voyons, si les mots ont un sens, tout ceci aurait pu être tenté au moins à partir de vendredi matin. Si les négociations d’entreprises avaient été concluantes, et ce que met la SNCF sur la table n’est pas négligeable, on se dit même que cela pourrait coûter à l’entreprise ce que la collectivité économisera avec la réforme des retraites, c’est-à-dire pourrait transformer la réforme en opération financière blanche pour le contribuable, mais enfin, si des discussions s’étaient noués, peut-être la grève d’aujourd’hui aurait-elle pu être évitée. Et puis, si l’on pousse un peu le raisonnement, la CGT devrait, si elle est à la base cohérente avec ce que vient de dire la tête, appeler à la suspension de la grève, dès ce matin, dans les AG de cheminots. Les choses se produiront-elles ainsi ? C’est ce que nous verrons.
Les socialistes. Julien Dray, député socialiste de l’Essonne, était l’invité de RTL, ce matin. La lisibilité de la position du PS n’est pas facile non plus. Débroussaillons. Sur le fond, les dirigeants de ce parti en conviennent : l’augmentation de la durée des cotisations est nécessaire. Pour des raisons d’équité, pour des raisons financières. Mais, disent-ils, c’est la méthode du gouvernement qui est contestable, voire condamnable. Il faut, ajoutent-ils, ouvrir des négociations. Donc retour au chapitre précédent et question subsidiaire : si les négociations s’ouvrent, dans les entreprises, et si elles se concluent positivement, dans les entreprises, le PS sera-t-il content ? Je n’ai pas bien compris la réponse de Julien Dray. Etait-elle trop intelligente ou ne le suis-je pas assez ?
Mécénat. Nous avons conclu notre entretien, avec Julien Dray, en parlant de Ségolène Royal. Elle vient d’installer son antenne politique au boulevard Raspail, à Paris, à un endroit où le mètre carré est plutôt cher, et elle en a loué plusieurs dizaines, presque deux cents. La presse dit, sans exercer vraiment son esprit critique, que le bail est payé par Pierre Bergé. Est-ce sain ? Est-ce normal ? J’ai posé la question à Julien Dray qui a paru, à son tour, ne pas la comprendre. C’est pourtant simple. La vie publique est financée par le contribuable. Le PS ne peut-il pas payer les locaux de Ségolène Royal ? Est-il normal qu’une personne privée, ainsi, sorte son portefeuille ? L’indépendance de la responsable politique ne peut-elle pas, dès lors, être questionnée ? N’est-ce pas justement pour éviter ces situations que la France a instauré un financement public ? Imaginez-vous ce qu’écriraient les journalistes libres des rares rédactions libres qui subsistent en France si un responsable politique proche de Nicolas Sarkozy se faisait payer des locaux par un entrepreneur proche de Nicolas Sarkozy ? N’est-ce pas que l’on en écrirait des choses intelligentes sur le sujet ? Trop intelligentes, même ?
Pierre Bergé, mécène
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