Internet, c’est l’illégalité et la médiocrité, c’est dangereux, ça pue !
Nous vivons une époque formidable, même en l’absence de Reiser et du professeur Choron. Ces derniers temps, avec la loi Hadopi, ajoutée à de multiples commentaires autorisés, venant des politiques et intellectuel, une netophobie s’est installée. L’internaute semble être devenu une sorte d’ennemi public. Quels sont les ressorts de ce phénomène de société plutôt désagréable mais guère surprenant.

Une société moderne, voire même ancienne, est composée d’élites qui gouvernent, dirigent, font les lois, assurent l’ordre, affichent leur autorité, et d’un peuple que les sociologues, faute de mieux, ont désigné comme société civile, pour l’opposer à la société politique, la sociocratie si on veut. Cette distinction est trompeuse. Car bien que classé dans la société civile, un philosophe influent peut très bien être dans le microcosme du pouvoir. Luc Ferry, BHL, Attali, Finkielkraut, les exemples ne manquent pas. En 2009, la société est semble-t-il divisée entre un peuple et un réseau d’élites. Cette division est apparue clairement lors du référendum sur le TCE en 2005. Mais de tous temps, le peuple s’est opposé aux gouvernants et réciproquement, l’Etat s’est méfié du peuple, mettant en place différents dispositifs de contrôle mais aussi désignant quelques maux à traiter. Dans les années 1920, l’ennemi était l’alcoolique, ou du moins, l’alcool. Un véritable problème de santé pour les gouvernants, mais plus que de santé, c’est d’ordre public dont il était question. Bien évidemment, la gnole était un très bon ingrédient pour conduire le poilu vers une mort au champ d’honneur mais l’alcool était un fléau quand il était consommé par des travailleurs jugés moins productifs. Aux Etats-Unis, pays démocratique secoué par des accès sécuritaires récurrents, avait décrété la prohibition.
La prohibition du Net, nous en sommes loin. Certes, couper toutes les connexions est dans l’ordre du possible pour un pouvoir qui le décide mais l’impact social et surtout économique serait tel que nul ne prend cette idée au sérieux. Le contrôle est plus accessible mais pas évident. C’est d’ailleurs ce point technique que les opposants à Hadopi soulèvent. Mais plus intéressant d’un point de vue sociologique est l’aversion témoignée à l’égard d’une espèce particulière d’internaute, celui qu’on désigne comme le téléchargeur. La communication des élites et des pipoles a été tellement efficace que cette défiance est entrée dans l’esprit de la plupart des artistes, qu’ils soient vedettes ou groupe locaux. Lors de la fête de Talence, le groupe local Pilarski, bien que signant des chanson pop rock engagées, n’a pas hésité à promotionner son CD, vendu 10 euros, en évoquant les téléchargeurs. Premier ou second degré, je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, Internet est devenu le lieu où s’opposent la plèbe numérique et la société des élites, du pouvoir, de l’argent. Si bien que les lignes ont bougé et que du côté des élites défendant leur fric, on trouve nombre de chanteurs dit engagés (traduire, de gôche, bien qu’il y ait quelques chanteurs à droite). Maxime le Forestier a définitivement choisi le camp des maisons de disques, en compagnie de Renaud et d’autres. La formule dit bien le cœur à gauche le portefeuille à droite. L’artiste veut bien défendre la cause du peuple à condition que le peuple soit obéissant et achète son disque. Ce schisme entre vedette et citoyen illustre la tectonique des enjeux à notre époque. C’est tout simplement un dévoilement des intentions élitaires dans le domaine économique. Il faut payer, il faut consommer, il faut que la croissance reparte !
Autre domaine, le politique, un espace de tension également, entre le pouvoir et les citoyens. On serait tenté d’y associer un autre espace, bien plus exposé dans cette drôle de guerre civile se jouant entre internautes et pouvoirs constitués. Cet espace, ce sont les médias. N’a-t-on pas vu quelques notables de la presse pointer l’amateurisme, voire pire, la forfaiture des internautes autopromus chroniqueurs citoyens. Philippe Val fut le plus sévère dans les propos contre le peuple du Net mais d’autres responsables de presse n’en pensent pas moins. Quant à quelques journaux, ils ont tenté de s’allier les meilleurs blogueurs dont les chroniques sont intégrées au site du journal. Pas idiots. Combien de chroniqueurs prêts à échanger un travail assidu contre la notoriété offerte par un grand journal qui les édite sur la toile. Mais l’exception ne doit pas cacher la règle, ni les rapports pas très amicaux entre le peuple du Net et les grands journaux. Le Net, c’est sale, c’est suspect, c’est un lieu où les pornocrates exercent leur pouvoir sur les âmes en errance, c’est un endroit où les sectes et les faux thérapeutes mais vrais escrocs font du tapin pour attirer le client. Ce n’est pas moi qui le dit mais le commentateur à la télé, pas plus tard qu’aujourd’hui, à propos des conclusions de cette enquête de la miviludes. Le mal est sur la toile, il faut traquer le mal, le débusquer, l’exorciser, vade retro Internas ! Le Net, c’est plein d’escrocs et pire que ça, c’est…
Le Net est une poubelle selon Finkielkraut. J’avoue trouver assez étrange ce jugement. Le Net, c’est mon voisin écrivant sur son blog, c’est un ami intervenant sur un forum, diffusant des nouvelles par mail, c’est mon prochain rédigeant une chronique sans quémander l’aval d’une rédaction ni se faire adouber par une caste d’intellectuels. Où est le mal ? Peut-être que le mal est dans la plèbe, comme le pense Finkielkraut, alors que la légitimité, les valeurs, la respectabilité émanent des hommes et femmes instituées par le système. Ce que reproche Finkielkraut aux internautes, c’est en fin de compte de s’exprimer et surtout, d’avoir une audience, même limitée. Un internaute, ça devrait se servir du Net comme d’un minitel, pour avoir des infos et basta. Le citoyen n’a pas la légitimité à s’exprimer dans un média aussi ouvert que la presse. Voilà ce que pense Finkielkraut pour qui le citoyen est quand même un sujet de droit et libre de causer à ses voisins de palier ou au bistrot avec ses amis. C’est très peuple, c’est nature et convivial mais ça n’a pas sa place sur le Net. Car forcément, le langage du peuple qui devient langage public, ça crée une tache de merde se surimposant à la pureté des intentions et expressions manipulées par la crème autoinstituée des élites républicaines auxquelles appartient Finkielkraut du reste professeur de philosophie dans cette vénérable institution qui forme les élites républicaine l’école polytechnique.
Au bout du compte, je n’ai plus le goût pour combattre ces gens d’en haut. Si j’étais dessinateur, je croquerais volontiers Val avec un casque de SS qui sied convenablement à son visage et surtout son âme. Ça aurait de la gueule et du sens ! Mais la Toile saura s’étoiler pour que ne s’étiole pas la liberté, et prendra dans ses filets les nazillons d’opérette.
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