Internet ou l’art de noyer le poisson
Chaque jour c’est pareil. Dès que je trouve un peu de temps, je file sur internet. Une revue de presse en « marque-ta-page » qui s’allonge de jour en jour, des liens à n’en plus finir, une liste d’articles « non-lus » que je devrais intituler « ne seront jamais lus ». Et pourtant, je retombe toujours sur la même chose, une montagne qu’on croit immense à cause du brouillard et qui nous apparaît toute petite une fois que ce dernier s’est levé.
Sur tous les sites engagés (de tous les côtés permis), on retrouve les mêmes forums où se félicitent et s’insultent les mêmes habitués, et sur tous les « agrégateurs » de liens les mêmes articles qui tournent en une ronde sans cesse renouvelée d’articles qui s’échappent peu à peu de leur orbite. Les vidéos font le tour des sites en quelques heures, et au lieu d’une infinité de solutions internet ne nous propose en fait qu’une sélection d’articles bien « référencés », c’est à dire connus.
Bien sûr on y trouve ce que l’on est venu chercher, mais rarement nous sommes confrontés à la contradiction : celui qui veut la révolution va trouver son Marx, le pacifiste son Gandhi, et l’adorateur du malin son Satan. Mais c’est surtout une course folle dans laquelle il se trouve engagé : sur internet on finit même par trouver plus que ce qu’on est allé chercher. Celui qui s’interroge sur l’Etat d’Israël va sans doute terminer sa course sur un site néo-nazi, et celui qui s’interroge sur le 11 septembre sera inévitablement, à un moment ou à un autre, confronté aux ovnis. Personne pour le recadrer, ni lui mettre de limites : il est à la merci de sa propre santé mentale.
Pour l’information objective, sérieuse, officielle, le problème est un peu différent : l’origine de la majorité des dépêches relayées sont le seul fait de très peu d’agences comme l’AFP ou Reuters, et sont reprises mot pour mot, ou simplement commentées, mais les infos qu’elles dispensent sont rarement remises en question. Sans compter les mystères inhérents au secret-défense et autres cachotteries diplomatiques, il est quasiment impossible de se faire une opinion juste et objective d’un évènement rapporté. Internet nous offre toutes les hypothèses proférées, et nous laisse avec cela entre les bras, à nous de nous en faire notre vérité. Mais la vérité objective, la réalité en quelque sorte, est à rechercher dans une masse gigantesque de participants à l’information, participants qui ont tous un objectif pas toujours objectif…
Cette masse est comme un trou noir gigantesque fait d’opinions dans lequel se dissout la vérité : pour un évènement comme l’Artic Sea par exemple, les infos annonçaient simplement la disparition d’un navire. Selon les sources et leurs interprétations, l’affaire allait de la « piraterie ordinaire » au complot nucléaire, en passant par la noyade pure et simple. Au bout du compte le navire fut récupéré, et des infos sont depuis comme filtrées par les tuyaux. Tout au conditionnel et sans répondre à rien, on évoque à présent (pour des sites considérés sérieux) l’hypothèse de missiles russes chargés en secret dans ce navire et à destination de l’Iran. Les supputations vont bon train, mais en définitive personne, et ce malgré toute la bonne volonté du monde et les formidables possibilités qu’offre internet, ne saura jamais rien de sérieux à ce sujet. Quand bien même la vérité serait mêlée à tout ce fatras, personne ne saurait être en mesure de l’identifier.
En définitive, face à ce brouhaha inintelligible et pourtant tellement organisé que représente internet, on se retrouve à la fois démunis et rassurés. Démunis car noyés dans des questions plus nombreuses qu’avant notre recherche, et rassurés car à moins que spécialement motivé, jamais on ne trouve Gandhi discutant avec Satan, pas plus qu’avec Marx ou Bonaparte.
De fait je ressors moi-même quelques fois groggy de mes élucubrations webiennes, comme si j’avais bu la tasse.
Avec parfois juste l’envie d’ajouter une opinion de plus sur internet, histoire d’en noyer peut-être quelques-uns à mon tour…
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