Interview de l’homme qui battait sa femme
Bonjour. Trouver un homme ayant frappé sa femme et qui accepte de répondre à des questions sur le sujet pour faire un article sur internet, c’est loin d’être évident. Mais, finalement, après plusieurs semaines où je cherchais à faire cet article, j’ai interviewé monsieur X, condamné pour violence conjugale, ancien alcoolique, avec suffisamment de souvenirs précis et volonté d’en parler pour pouvoir le soumettre à votre attention.
Pour diverses raison et avec son accord, j’ai reformulé les réponses de monsieur X sans en modifier le sens, mais le vocabulaire, supprimer les noms de marques, les dates, les lieux, modifier les détails rendant son histoire trop précise et repérable, afin de rendre décemment lisible cette interview et faire en sorte que la femme qui a été victime de cet homme ne puisse revivre son calvaire en lisant cet article, j’ai fait attention, ce n’est pas fictif mais lissé autant que possible, modifié et mis hors contexte véritable. Toute ressemblance néanmoins avec une situation criminelle et subie autre que celle de monsieur X est purement fortuite.
Sur le même principe que lorsque des campagnes de préventions montrent publiquement des photos de visages de femmes battues par volonté de dénonciation, cela rappelle en même temps aux femmes qui l’ont vécu ou le vivent ce qu’elles ont traversé ou subissent encore, cette interview est aussi pour lutter contre la violence faite au femme, mais sous un angle réaliste et masculin, et j’espère qu’il sera bien lu et compris comme tel.
Cet article est issue d’une conversation « entre homme » qui à durée plus de 5 heures sur quelque jours d’intervalles, par téléphone, le temps que monsieur X remette une partie de ses souvenirs en ordre et que je prépare des questions qui ne sont pas toute là mais dont ses réponses sont dans cet article, qu’il a lu et a accepté que je le propose à votre attention.
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bon, on va prendre les faits dans l’ordre chronologique si vous voulez bien, alors commençons par le début, vous avez rencontré votre ex femme il y a combien de temps ?
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Il y a 9 ans.
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Et vous étiez quel genre d’homme en la rencontrant, déjà porté sur l’alcool, déjà d’un tempérament violent ?
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Oh je picolais un peu, mais j’avais l’alcool plutôt fêtard, un peu bagarreur à l’école, mais plus vraiment après. Je pensais être un type normal quoi, il fallait pas me pousser mais à part une fois, au volant, un jour où j’étais pressé et où on m’a rentré dans le c..., je suis sorti de ma bagnole et le type s’est barré, mais à part ça, rien d’aussi grave.
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D’accord, et entre le début de votre couple et votre première violence conjugal il s’est passe combien de temps ?
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Un peu plus de trois ans, la gamine était déjà en route.
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Vous pouvez en dire plus ?
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J’étais sous pression. Je voulais rester avec encore un peu, mais je voulais pas lui faire de gosse. J’étais pas malheureux mais pas heureux non plus, je me sentais juste casé et un peu piégé. Et c’est arrivé. Elle m’a fait une scène parce que je ne réagissais pas comme elle voulait. Un jour elle avortait, le lendemain elle la gardait et moi je savais plus où j’en étais. Je rentrais crevé d’un boulot en CDD et je savais déjà pas s’ils allaient me garder, alors dans 9 mois avec un gosse sur les bras... J’étais sous pression. Elle m’a fait une scène pour une connerie de série Télé. Elle parlait, parlait, parlait et n’écoutait rien, j’ai craqué, je l’ai giflé.
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Et ?
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J’ai voulu retenir mon bras, juste lui faire peur, mais c’était trop tard. Elle a pleuré directement. Je suis passé des cris aux larmes, et de la prise de tête à une autre prise de tête, mais finalement ça s’est calmé le soir même.
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Elle ne vous a pas quitté ?
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Non. Au contraire, je ne sais pas si c’est vrai cette histoire d’hormone quand les femmes sont enceintes, mais nos avons été plus proche. Avec le recul je me dis que j’aurais dû partir tout de suite, la ligne était déjà franchie, je savais que je serais malheureux et me sentait pris au piège, mais sur le moment, elle était enceinte et je voulais voir ma gosse, je me sentais pas de partir comme ça.
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Donc votre première violence n’a pas porté à conséquence, vous avez eu l’impression que la ligne était plus loin, qu’une gifle c’était pas si grave ?
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Non, je savais que c’était la ligne, mais ensuite c’est petit à petit devenu comme une sorte de routine qui revenait, ça ne se dit pas, mais c’était comme une facilité et j’ai oublié que c’était la ligne. Elle et moi étions sous pression, financièrement, au niveau familiale, la grossesse difficile, l’arrivée de la gamine, les nuits sans dormir. Elle stressait beaucoup et me stressait, et dès qu’elle « avait sa claque », la tension retombait pour elle, et moi j’allais me saouler la gueule après pour me détendre, mais je me souviens que ça me dégoutait déjà d’en arriver là.
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On dit souvent que les hommes violents ont été enfants battus, c’est votre cas ?
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C’est ce que j’ai raconté à la psy pour le tribunal, mais en vérité à part quelques fessées, un coup de pied au cul, rien de si grave.
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Et vous franchissez quand et pourquoi la ligne rouge, celle qui vous amène au tribunal ?
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Il y a 3 ans et quelques mois. A force de boire, je n’ai pas remarqué que je ne me contrôlais plus. Au début je gérais, je buvais les soirs pour dormir, les weekends pour oublier ma semaine, mais au bout de plusieurs années à ce rythme, j’ai perdu le contrôle.
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Donc pour vous le coupable c’est l’alcool ?
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Non. Il y a des types qui picolent et qui envoient pas leurs femmes à l’hôpital. Cela a accéléré ma chute, mais ce n’est pas la raison de ma chute.
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Vous pouvez donnez les raisons de votre chute, comme vous dites ?
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Ça a commencé par une fois où j’ai frappé trop fort. Là j’ai senti que j’avais fait mal, et elle n’a pas réagi comme les autres fois. Là j’ai compris que je risquais les flics et j’étais sur un boulot la semaine d’après, je me suis dit qu’il fallait que j’assure, que je me calme, que j’aille me défoncer au taff, et que ça irait mieux, mais au fond, je sentais une boule dans l’estomac qui ne me quittait pas, j’en avais mal aux tripes parfois.
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Vous avez eu peur des conséquences pour la première fois au bout de toutes ces années ?
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Oui. Je dis pas qu’après les premières fois j’avais pas eu de coup de stress et me sentai bien et heureux de vivre comme ça, mais vu que ça se calmait à chaque fois, que parfois elle dansait, souriait, m’aimait, était même jalouse, j’étais rassuré.
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Mais après avoir frappé trop fort ?
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Dans ses yeux j’ai vu la peur, et j’ai tendu le dos. J’ai commencé à être parano. Ses amies étaient mes ennemis. J’allumais la télé dès que j’entendais parler de femmes battues et d’hommes bourreau je zappais, ça me mettais en rogne et pouvait lui donner de mauvaises idées, à moi ça m’en donnait. Je me faisais des films dans ma tête où elle me tuait dans mon sommeil. Je voyais les flics dans mon quartier, c’était pour moi. Je craignais qu’elle raconte que je la battais, parle à une assistante sociale, aille aux médecin, aux flics ; porte plainte, même ses rendez vous chez le gynéco me mettait les nerfs en boule.
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Mais c’était vrai, c’était le cas.
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Oui. Mais je voulais pas allez en taule pour ça. J’espérais toujours reprendre le contrôle, un boulot, partir en vacances, relâcher la pression, et essayer de changer les choses, mais je stressais encore plus. J’ai voulu tout contrôler et surveiller : son téléphone portable, ce qu’elle faisait de ces journées, à qui elle parlait... J’étais constamment aux aguets, et côté boulot mon contrat s’est fini, je suis retourné à la maison toute la journée, et là c’était vraiment pas bon. Je lui parlais elle se mettait sur la défensive, et du coup j’imaginais le pire en me demandant ce qu’elle cachait. J’insistais, elle me répondait qu’il y avais rien, et j’entendais déjà dans ma tête les flics venir me coffrer, et ça finissait mal.
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C ’était devenu votre quotidien ?
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Au quotidien elle me regardait à peine dans les yeux, on n’avait plus d’intimité ou presque, j’avais l’impression d’être un violeur alors que bon, c’était ma femme, mais tellement sur la défensive que je la reconnaissais plus et ça me coupait tout. Et puis, dans mes moments de lucidité, je savais bien que j’avais cassé quelque chose chez elle et je me détestais pour ça autant qu’elle me détestait, alors je me prenais un verre en regardant la télé, puis un autre... Je pensais qu’à ma gueule, je le savais, mais je pensais qu’à sauver ma peau.
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Et vous finissez par l’envoyer à l’hôpital ? Vous voulez en parler ?
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C’était une sale journée de merde. Je suis rentré à cran, elle l’a tout de suite vu. Ma gamine était restée sale, j’ai hurlé, elle a hurlé, elle m’a menacé et j’ai été un animal. Je ne peux pas le dire autrement. J’ai été soulagé de redevenir humain devant les flics en signant mes aveux complets. C’est comme si le cauchemar s’arrêtait. J’allais être jugé, puni, faire de la taule et changer de vie. J’arrivais pas à m’avouer vaincu, à admettre que j’étais pas à la hauteur pour changer les choses, je repoussais tout le temps à plus tard, avec un peu de chance sur un truc à gratter, du fric, un boulot, mais j’étais vaincu et c’est devant les flics que j’ai compris que le sol au bout de ma chute était préférable à des années de plus dans cet enfer que j’ai créé.
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Vous avez tout avoué, été jugé et condamné. Vous avez purgé votre peine, avez donc payé votre dette envers la société, et arrêté l’alcool, vous pensez pouvoir refaire votre vie ?
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Oui. En taule j’ai fais une formation de plus, j’ai trouvé un boulot dans ma nouvelle ville, j’ai mis un peu moins d’un an, coup de bol pour un ex taulard, mais maintenant ça va, j’ai quitté le foyer et repris un appartement, je voulais pas retourner chez mes parents.
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Vous avez revu ou tenté de recontacter votre ex femme ou votre enfant ?
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Revu non, on s’est parlé par téléphone et sur le net. Elle refait sa vie aussi. J’ai toujours de la colère quand je repense à elle et ma gosse, alors je me suis dit que ma meilleur solution c’est de rester loin, de ne pas regarder en arrière et repartir à zéro. Je suis encore vaillant, je peux rebondir. Quand j’ai des coups de colère, maintenant je suis le conseil d’un flic, je fais du sport jusqu’à ce que je m’écroule, ça m’est arrivé assez souvent pendant un peu plus de 6 mois, en taule et en sortant de taule, mais depuis ça se calme aussi.
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Et vous l’aidez financièrement ?
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Non. Ce que je fais c’est tous les mois je met de l’argent sur un compte, et quand ma fille aura 18 ans, je lui verserai le total.
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Si vous pouviez parler au mec que vous étiez il y a 6 ans, celui qui vient de franchir la ligne, qu’est ce que vous lui diriez ?
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De se tirer. On commence par des claques et on contrôle rien du tout. Un homme malheureux ne peut pas être un bon père, et si je m’étais barré, je ne me sentirais pas autant comme une merde quand je te parle et je verrais encore ma fille.
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Et à celui qui a senti une boule dans l’estomac après avoir frappé trop fort ?
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D’aller chez les flic tout de suite pour demander un encadrement au lieu de rentrer dans la parano, il faut assumer, et seul, il y a que comme ça que ça s’en va. Au début j’avais peur qu’elle me balance, à la fin je la haïssais, alors qu’elle n’y était pour rien et j’ai fini par l’envoyer à l’hosto. C’est lourd, ça te tue à l’intérieur, mais c’est ce qu’il y a de mieux, aujourd’hui je m’en rends compte, allez direct se faire encadrer .Et puis ne pas glander à la baraque, ni sortir pour se démolir, il faut s’inscrire faire du sport, se défouler au maximum avant de rentrer, bref, tout sauf être hors contrôle et à cran. Mais bon, si on m’avait dit fonce chez les flics ou va voir un psy, je n’y serai pas allé. Il manque un truc pour pouvoir se faire encadrer correctement, un truc genre armée, et qui remette la tête à l’endroit autrement qu’en racontant sa vie à un psy en taule, pas un truc de baratin quoi. Ce n’est pas en zonzon avec des pointeurs et des niqueurs de mère que je suis sorti meilleur avec ma violence. Il manque un endroit pour ça.
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Des stages encadrés par l’armée pour apprendre à gérer sa violence et partir reprendre le contrôle loin de sa femme ?
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Oui, un truc comme ça, au lieu d’être enfermé en cage, à faire vivre et à vivre l’enfer, autant aller faire des chantiers sociaux, ou humanitaires, mais encadré viril. Se sentir utile, c’est quand je me sentais utile que je n’étais pas violent et pas castré pour autant.
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Je n’ai plus de question, vous avez une dernière chose à dire ?
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Je veux juste dire, ça va être lu sur internet votre article ?
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Oui, si ça passe, je ne peu rien vous garantir, c’est un vote.
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bon, si ça passe pas, merci de m’avoir permis de vider mon sac, si ça passe, je veux dire à vos lecteurs que le seul truc un peu intello que je peux dire parce que c’est vrai pour moi, c’est que j’ai été un môme qui rêvait d’être un héros, comme dans les films, et qu’en frappant ma femme, je tuais mes rêves d’enfant, m’en suis rendu compte en revoyant un film de quand j’étais petit.
Je n’ai pas de conclusion a donner à cet article, je l’ai fait pour différentes raisons, une des principales étant qu’en respectant les limites de la limite, en faisant cette interview je ne donne pas de notoriété à monsieur X ni ne laisse la possibilité de perturber à nouveau son ex femme et sa fille, et il reconnait de lui même l’innocence de sa victime.
Bien des femmes qui connaissent ces situations peuvent j’espère lire qu’une fois le besoin de chercher des excuses notamment avant d’aller au tribunal, et une fois sorti de prison, des hommes peuvent reconnaître qu’ils sont exclusivement coupable de la gestion de leur force physique, là où avant, ils exploitent autant qu’ils peuvent les émotions aliénées par les coups qu’ils donnent et la fragilité de leur victime. C’est une fois mis devant la vérité, et la peine infligée par la justice, que certains hommes peuvent assumer leur responsabilité.
Ce qu’il faut lire aussi, c’est qu’on ne peut pas rassurer ou gérer un homme qui rentre dans un tel état paranoïaque et de dégout de soi. Il n’y pas d’attitude, pas de façon de se tenir, pas de façon de lui parler, pas moyen de le soulager , ce n’est tout simplement pas faisable, et à l’impossible nul n’est tenue, encore moins à son corps défendant.
J’ai orienté mes questions en voulant montrer ce que je savais déjà après avoir écrit mon essai sur les douleurs masculines et monsieur X a ce trait de caractère de l’homme qui maintenant veut assumer parce qu’il a compris que c’est ne pas le faire, ne pas réagir à sa dérive puis sa chute dans la violence conjugale, qui l’a amené au pire.
Si les hommes savaient ce que ça fait de vivre en homme qui bat sa femme avant de le devenir le message passerait mieux. Nous savons tous à quel point c’est un crime condamnable pénalement, médiatiquement, moralement, mais rarement aussi à quel point c’est un basculement vers un quotidien de dégout de soi avec cette boule dans l’estomac comme celle que nous raconte monsieur X, (il a beaucoup insisté sur elle pendant l’interview), et qu’il faut réagir avant la chute et le pire, autant pour sa victime que pour soi même.
Amicalement barbouse. A ma grand mère, que j’adore.
PS : Agoravox n’est pas qu’un blog collectif, comme le pensent certains, j’espère qu’en voici une preuve, et j’ai tout effacé de ces entretiens avec monsieur X, aucune trace, pas la peine d’en demander, il n’y en a tout simplement plus, je n’ai pas d’autres moyen de couvrir des sources.
Et humainement, oui j’ai eu envie de lui casser la gueule deux fois en réagissant à certaines de ses réponses, même si je savais qu’il avait purgé sa peine, mais au téléphone... et je pense que du point de vue du début du journalisme citoyen, une de mes motivations étant d’explorer ce nouvel espace de la vie citoyenne numérisée qu’offre agoravox, j’ai trouvé dans cet interview une limite à l’amateurisme.
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