Interview de Michel Drac, auteur de « Crise ou coup d’Etat ? »
Michel Drac travaille depuis quinze ans comme contrôleur de gestion dans un grand groupe. Spécialisé dans la micro-économie, il s’est risqué dans la macro-économie avec « Crise ou coup d’Etat ? » parce que, selon lui, nous en sommes arrivés au point où il est absurde de continuer à faire de la micro-économie sans poser la question du système dans son ensemble. Le travail a été conduit sur le site scriptoblog.com avec un collectif d’auteurs. « Crise ou coup d’Etat ? » est en partie un ouvrage collectif, développé en particulier avec Michel qui signe, sur le site, sous le pseudo « Le Zélote ». Rencontre avec un auteur à la vision géopolitique économique pertinente.
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MD - Il y a trois parties. La première décrit la mécanique qui s’est déroulée entre 2000 et 2007, avec une mise en perspective par rapport aux décennies précédentes. La politique macro-économique consiste en gros, depuis dix ans et plus, à mettre en endettement tous les acteurs non financiers, pour garantir le maintien du pouvoir des acteurs bancaires, en particulier ceux de la haute finance, de la haute banque et surtout de banques d’affaires adossées aux banques commerciales. La deuxième partie s’éloigne de l’économie financiarisée et s’intéresse plutôt à l’économie productive. Je montre que dans la réalité de la production, le centre de gravité de l’économie-monde est en train de basculer vers l’Asie. Je montre ensuite que tout s’est passé comme si, confrontée à cette donne, la haute finance s’était organisée pour garantir, à travers l’endettement des acteurs, le maintien de son pouvoir dans le cadre d’un futur système, un capitalisme poly-centré, avec à la clef un ajustement brutal de la structure de classe en Occident. Enfin, la troisième partie essaie d’esquisser les conséquences de la crise. J’essaie en particulier d’expliquer que certaines de ces conséquences sont voulues par les dirigeants, et d’autres pas. Nous entrons dans un contexte très instable, où la confrontation entre l’OTAN et l’Organisation de Coopération de Shanghai peut dégénérer. Nous nous retrouvons dans la situation qui déboucha sur les deux guerres mondiales : un centre du capitalisme thalassocratique menacé par la montée en puissance d’une économie continentale.
Je pense qu’il y a une crise : le basculement latent du centre de gravité de l’économie-monde. Pour schématiser, la haute finance anglo-américaine a voulu capter l’offre de main d’œuvre asiatique pour achever d’écraser les peuples occidentaux, avec en arrière-plan l’idée que la montée en puissance de la Chine serait assez lente pour que les USA conservent toujours clairement le leadership technologique et militaire. La politique de Vladimir Poutine a été le grain de sable enrayant cette machine. Les USA doivent maintenant casser la Russie, ou à défaut l’éloigner de la Chine, pour conserver la prééminence malgré un déclin économique relatif, inéluctable vu le potentiel asiatique. S’ils échouent, le protectorat européen pourrait s’émanciper, dans la foulée d’une Allemagne qui penche de plus en plus clairement vers l’Est. La vraie crise, c’est cela. Elle est économique dans ses causes, géostratégique dans ses conséquences.
A côté de cette vraie crise, il y a un coup d’Etat déguisé en crise. Ce coup d’Etat, c’est la vampirisation de l’économie productive US et, à un degré moindre européenne, par une économie spéculative devenue folle. Il est très difficile de dire, en la matière, si ce coup d’Etat a été entièrement planifié, ou si, dans une certaine mesure, l’intelligence émergente construite par les marchés ne s’est pas en partie imposée aux oligarchies. Mais ce qui est certain, c’est qu’au final, tout s’est passé comme si par une politique systématique de mise en endettement, la haute finance avait préparé un ajustement brutal de la structure de classe et le démantèlement d’un modèle démocratique que nos oligarques jugement aujourd’hui inadapté, face à la montée en puissance d’un monde chinois qui, rappelons-le, n’a rien de démocratique. Ce coup d’Etat a pris la forme d’une crise financière, mais en réalité, je pense avoir montré que cette crise-là, la crise des subprimes, pour dire les choses simplement, a été fabriquée, et qu’elle vise en réalité à garantir le pouvoir des oligarchies malgré l’autre crise, la vraie, celle qui se joue à l’échelle géostratégique.
Pour vous, la crise des subprimes n’est pas la vraie crise. Elle est la partie visible de l’iceberg, celle que l’oligarchie financière anglo-atlantiste a souhaité mettre en avant.
Si l’on doit remonter à la racine, il faudrait pratiquement s’intéresser aux circonstances qui ont entraîné la création de la FED, après la crise de 1907 ! Cependant, si on se limite aux causes directes, sans remonter aux causes des causes, on peut dire que l’implosion a commencé dès la récession de la fin des années 1950, et qu’elle a été avérée à la fin des années 90. Le moment où le capitalisme financier occidentalo-centré implose franchement, c’est en effet l’explosion de la « bulle Internet », fin des années 90, après de multiples signaux d’alerte. La décennie 2000, sous cet angle, n’a été qu’un immense village Potemkine, avec une reprise totalement artificielle, fabriquée par les USA à coup de taux directeurs absurdes et de déficit commercial délirant. Une « reprise », donc, qui les a ruinés. Etrange reprise…
L’argent-dette, l’usure, la spéculation sont-ils pour vous les principales causes de cette crise ?
Oui et non. En réalité, ce sont des symptômes. Le mal est dans la nature même du système capitaliste, dans ce que l’on appelle la dérive inégalitaire, et son corollaire obligé, la loi des rendements dégressifs. Le mécanisme est le suivant : le capitalisme aboutit à rendre les riches toujours plus riches, spontanément. Il fabrique en effet du profit en sus de la création de richesse réelle, c’est sa vocation. Ce profit fait qu’il y a de plus en plus de capital accumulé, en sus de la croissance du marché. Le capital croît plus vite que le marché, puisqu’une partie des surplus de productivité n’est pas redistribuée aux acteurs de la consommation ou de l’investissement (entreprises, Etats et particuliers). Dès lors, pour sortir de la contradiction interne, il faut que le capital fabrique de la valeur financière en sus de la richesse productive. Ce que je vous dis là n’a rien d’une innovation : c’est la base de l’analyse marxiste, une base d’ailleurs admise par une grande partie de l’école libérale.
Comment va-t-on créer de la valeur sans créer de la richesse ? Par la spéculation. Comment va-t-on financer la spéculation ? Par l’usure (taux d’intérêt supérieurs à la réalité de la croissance économique). Comment va-t-on financer l’usure ? Par l’argent-dette, pour étendre les bilans plus vite que les comptes de résultat. Comment va-t-on faire en sorte que cet argent-dette fasse des petits, plus vite que la croissance réelle ? Par le développement d’une économie virtualisée, qui permet en quelque sorte d’émanciper l’économie financiarisée de sa base productive. Tout le ressort de la crise est là, et si on remonte à la cause, on voit que c’est la dérive inégalitaire. Le capitalisme crève parce qu’il ne partage pas.
En France, la défection du président De Gaulle a-t-elle été le début de la fin ?
Obama incarne-t-il un espoir selon vous ? Ou est-ce celui de Wall Street ?
Je crois surtout que ce brave Obama n’est pas grand-chose. Si l’on examine sa biographie, on remarque qu’il a été détecté, à l’université, dans les années 80, par un prof de haut renom (Brzezinski), ex-conseiller spécial du président Carter et secrétaire général officieux de la Commission Trilatérale. On me permettra de penser qu’il doit sa carrière à son immense talent… et aussi, un peu, au soutien de la Commission Trilatérale !
La composition de son administration ne laisse guère de doute quant à ses affinités réelles. Cette administration est entièrement peuplée, aux échelons clefs, d’hommes de Wall Street. Peut-on voir des adversaires de Wall Street dans un Summers, dans un Geithner, tous deux disciples de Robert Rubin ? Je ne le pense pas. A mon humble avis, Obama doit sa place au fait que l’oligarchie US s’est dit qu’il serait temps de mettre un Noir à la tête du pays. Changeons la couleur du président pour ne pas avoir à changer de politique. Je crains que ce ne soit pas plus compliqué que ça. Ne jetons pas la pierre à Obama. Il n’est rien, au fond. Juste un bon acteur embauché pour remplacer un acteur déplorable. Ce sera le plus grand président américain depuis George W. Bush !
Un ami américain me disait l’autre jour que quand un président venait de prêter serment, on l’emmenait dans le bunker sous la Maison Blanche pour lui montrer un film sur l’assassinat de Kennedy. Le film qui dit la vérité. Puis on lui posait la main sur l’épaule, et on lui demandait : « Mister President, do you have a question ? » Le pire, c’est que ça se passe comme ça !
Comment voyez-vous l’évolution de la situation économique mondiale ?
Si la logique est respectée, l’actuelle fausse reprise va se poursuivre tant que les taux directeurs resteront nuls. Puis, à un moment qu’il n’est pas possible de préciser, la FED sera obligée de remonter ses taux pour empêcher un effondrement du dollar. Alors le système repiquera du nez, et on entrera dans une deuxième vague de la crise, probablement bien plus violente que la première vague. Le facteur déclenchant a de fortes chances d’être la sortie définitive de la Chine de la zone dollar, et l’établissement d’un nouveau système financier international. La configuration exacte de la crise dépendra en grande partie de la nature de ce système. C’est sans doute ce qui se négocie actuellement en coulisse. Pour nous, Européens, le risque est de faire les frais d’un accord in extremis entre Chine et USA.
Quelles solutions serait-il judicieux d’y apporter ?
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