Irak : des avions particuliers qui résument bien... une étrange situation actuelle
L'évolution en Syrie et en Irak est pour le moins surprenante. En quelques mois, une fédération de jihadistes étrangers, payés comme des mercenaires pour la plupart, a prix le pas sur une opposition au régime syrien et irakien. Un nombre consérable de combattants estimés à plus de 30 000 hommes aujourd'hui et bien équipés, notamment en 4x4 neufs surgis d'on ne sait où. Se réclamant d'un islamisme visiblement mal assimilé, ses sunnites violents envahissent les médias par leurs exactions, dont les plus connues et les plus ces derniers, au mépris de toutes les lois de la guerre. Obligeant à une réaction pour le moins hétéroclite, plusieurs pays étant touchés par leur montée en puissance. Le plus étonnant de cetre histoire étant l'association actuelle d'ennemis de toujours sinon de plusieurs décennies maintenant. C'est ainsi que l'on a pu voir fin juin dernier des pilotes américains croiser sur le même terrain d'aviation ceux qu'ils cherchaient à abattre les moins précédents encore... retour sur cet incroyabe revirement historique.
Cela commence par un désastre. En janvier 1991, l'opération Desert Storm est sur sa fin : elle a débuté le 2 août 1990 et s'est terminée le 28 février de l'année suivante. Saddam Hussein est aux abois, et son armée en déroute. Parmi sa pléthore d'avions d'origine russe et française figurent 66 avions d'attaque au sol fort performants, les équivalents du perdant du concours US qui a vu gagner l'A-10, qui a fait depuis une remarquable carrière. L'A-9 de Northrop n'avait pas démérité lors des essais, et le Frogfoot lui ressemble par bien des égards. On sait que les chercheurs des deux camps s'observent de près et trouvent souvenet des solutions fort ressemblantes, et ces deux avions similaires dans la conception à bombes en font partie. Ce sont des camions à bombes et des destructeurs de chars, lointains descendants du Henschel HS129 allemand, premier engin performant dans le genre. Certains parlent de 80 appareils achetés, qui ont participé à la guerre contre... l'Iran : "l'apparition de la Su-25K en service irakien reste une sorte de mystère. Bien que les rapports russes et ukrainiens affirment que le plus de 80 avions ont été livrés entre 1985 et 1989, que ceux-ci ont vu un service complet durant les derniers stades de la guerre contre l'Iran,
en particulier en 1988, et qu'un certain nombre d'irakiens Su-25-pilotes ont été richement décorés par Saddam Hussein en personne, en fait, un seul escadron est connu pour avoir été équipé avec ce type d'avion en 1986, et l'autre n'est devenu opérationnel qu'après la guerre avec l'Iran.
Selon les rapports iraniens - dont certains peuvent être confirmés par des témoignages picturaux - le Su-25 n'avait fait que de rares apparitions sur le champ de bataille même en 1988 : deux seulement ont été jamais rencontrés en combat aérien, un a été abattu (il existe des photos de l'épave) et deux gravement endommagés avaient pas tous été livrés, et que 30 seulement l'auraient été effectivement. Comme avion abattu, un des Su-25 est représentatif de la chasse aux avions irakiens durant la guerre du Golfe ; il a d'abord été accroché par un Tomcat, et pour le fuir s'était mis en rase-mottes, où s'était fait abattre près de Baaneh par la DCA équipée de canons de 35 mm (son épave est ici à gauche).
En 1991, re-belote, écrasés par le marteau-pilon américain et la coalition, un bon nombre de Sukkhoi sont restés au tapis. Sept appareils arrivent à fuir Al Rashid en urgence... direction Hamadan, les autres valides restant sur place. Ceux-là sont saufs. On en retrouvera d'autres intacts en 2003 et 2004 enterrés sous des dunes de sable, pour leur éviter d'être détruits au sol par des avions américains (et français) ou anglais fureteurs, armés de missiles. Les avions ayant réussi à fuir se retrouvent ensuite à Shiraz, dans l'est de l'Iran, pas loin du Golfe d'Ormuz. Là-bas, on compte une quinzaine de Su-25 (seize exactement), au service des Iranian Revolutionary Guards Corps Aerospace Force - ex Pasdarans- (anciens Islamic Revolutionary Guards Corps Air Force). Ces avions irakiens sont ceux qui ont fui et de nouveaux achetés plus récemment. Certains sont aperçus en 2006 lors de parades militaires ou volant au dessus du Golfe d'Ormuz, comme ici avec en arrière plan un pétrolier. Mais c'est en 2012 qu'ils reviennent à la une des journaux : en novembre, en effet, deux d'entre eux sont surpris en train d'attaquer un drone américain MQ-1B Predator ayant décollé de la base koweitienne d'Ali Al Salem, qu'ils ont croisé sur leur chemin. Ces avions bombardiers n'étant pas de bons chasseurs, leur tentative échoue. La caméra du Predator a enregistré l'assaut, ce qui a permis de reconnaître les assaillants. Ci-dessous une vue remarquable d'un Su-25 biplace en train d'atterrir sur la base de Shiraz le 20 mai 2009.
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Les Su-25 de type biplaces sont une partie de la douzaine de su-25 UBK commandés en 2003 à la Russie, qui en aurait fourni seulement trois, plus Bielorussie entre 2011 et 2012. Au final, les 16 appareils répertoriés (moins celui du colonel Zahak Nezhad qui s'est crashé le 17 juin 1997 près de Kashan) se retrouvent aujourd'hui à ne jamais pouvoir voler tous ensemble, faute de maintenance et de pièces détachées : on pense que seuls 6 ou 7 appareils sont capables de prendre l'air en même temps. Mais ce sont des appareils relativement choyés par les techniciens irakiens, qui ont bénéficié malgré les difficultés d'approvisionnement d'améliorations substancielles et sont capables aujourd'hui d'emporter des bombes guidées par laser, par exemple, comme le modèle Bina visible à droite, apparu en février dernier seulement. De nouveaux missiles aussi lui ont été adjoints : des Ra’ad, au guidage double, soit par Laser, soit par GPS. Le GPS étant on le sait sous la coupe américaine des pointeurs terrestres laser appelés Hoda fournissent les cibles. Les iraniens n'ont pas de drone efficace, et ce sont leurs troupes au sol qui doivent "illuminer" les cibles pour les bombardements de Su-25.
Le passé de l'avion d'attaque au sol iranien a donc été marqué de nombreuses confrontations avec les américains, qui en ont détruit une impressionnante quantité. Aussi la surprise est-elle grande, quand à la suite de la chute des troupes irakiennes au nord et à l'ouest de l'Irak le gouvernement décide de se tourner à nouveau vers la Russie pour acheter rapidement des avions d'attaque au sol russes. Les américains ont pris du retard pour livrer les 36 F-16 achetés, et c'est un gouvernement fort inquiet qui demande à être aidé militairement face à l'avancée express des combattants de l'EIIL (l'Etat Islamique en Irak et au Levant). Cinq appareils (usagés, rapidement repeints) arrivent ainsi en juin en express... et sont débarqués d'' Antonov 124. Sortis de la soute, ils se montrent en piteux état, en fait. Visiblement, ils ne sont pas de première jeunesse ! Ils sortent de stocks anciens, à l'évidence.
Ils sont suivis de 7 appareils iraniens, en bien meilleur état, qui arrivent eux par le ciel et par leurs propres moyens, ils représentent en fait la totalité du parc volant de l'iran dans ce modèle d'avion : parmi eux figurent des avions... échappés en 1991 d'Irak : c'est un retour au bercail pour eux ! Les pilotes irakiens n'ayant pas le temps de se familiariser avec ces nouveaux arrivants, voilà des pilotes russes et iraniens à cotoyer les pilotes américains sur le même aérodrome : étrange cohabitation ! "Les Su-25 sont des jets russes portant l'insigne irakien, mais peut-être pilotés par les Russes", a déclaré Garrett Khoury, le directeur de recherches au" Eastern Project". "L'Irak a fait utiliser le SU-25 au cours de l'époque de Saddam Hussein, et il ya probablement d'anciens pilotes irakiens qui ont volé dessus, mais cela fait 12 ans maintenant qu'un pilote irakien a volé avec". Ci dessus, les Su-25 iraniensn arrivés à la base d'Al Muthanna à Baghdad, et souvent légendés comme étant des "avions fournis par la russie". Parmi les arrivants en Irak, il y a bien deux avions fournis jadis à Saddma Hussein : les numéros 15-2456 et 15-2454 arborant sur leur nez simplement 56 et 54.
A peine arrivés, les tanks volants iraniens ont foncé sur leurs objectifs : le 2 juillet, en attaquant une réunion de terroristes dans la province d'Anbar, le 7 avec deux appareils bombardant une parade de l'EIIL à Tal Afar, en déversant les mêmes bombes à sous-munitions que les Su-25 de Bachar el Assad en Syrie. Le 8, c'est le quartier résidentiel d'Al Ayaziyah à nouveau à Tal Afar, visant cette fois la maison d'un leader terroriste de l'EIIL. Des bombardements qui ne sont pas de tout repos : dès le premier jour des vols, le 6 juin, le colonel iranien Shoja'at Alamdari Mourjani est annoncé comme ayant été tué à Samarra, au nord de Bagdad : on ignore toujours si ce jour-là il pilotait lui-même un Su-25 ou s'il était seulement contrôleur aérien (au sol) de l'attaque ce jour-là. L'homme était bien présenté comme "pilote" lors de son enterrement. Le 1er juillet, les trois derniers Su-25 iranens (2 monoplaces et un biplace) venaient juste d'arriver en Irak. Juste le temps de remarquer qu'ils avaient été repeints à la hâte, et que leurs insignes d'origine avaient été masqués et remplacés par des ronds noirs. L'un d'entre eux arbore sur le nez comme signe distinctif l'empreinte de deux mains ensanglantées...
Des pilotes américains étant dépêchés en Irak pour former les pilotes irakiens sur leurs F-16, on a donc eu droit à des contacts entre les ennemis d'hier. Les Etats-Unis combattent main dans la main en Irak avec les iraniens. Et pas n'importe lesquels, car ces pilotes sont bien des Pasdarans (la Quds Force), à savoir l'élite de l'armée irakienne dévouée au pouvoir central chiite. Ce qui change effectivement la donne dans la région : "Les Iraniens ont apparemment calculé qu'ils ne peuvent pas préserver leurs intérêts en Syrie sans Bachar al-Assad, Ils n'ont pas fait les mêmes calculs avec Maliki," indique dans un courriel Karim Sadjadpour, un analyste de l'Iran avec la Fondation Carnegie pour la paix internationale. "Mais la question est de savoir si il existe une alternative unificatrice de Maliki, un homme politique irakien qui est à la fois un allié iranien ferme et encore acceptable pour les sunnites irakiens et les Kurdes." On a déjà choisi semble-t-il : Maliki a depuis été reconduit à la porte, remplacé par Haider al-Ibadi (un ex ingénieur électricien formé à Bagdad et longtemps exilé à Londres, aujourd'hui très actif au sein de l'Iraq Petroleum Advisory Committee) et pointe déjà dans le pays des visages connus. Les Etats-Unis, en Irak auront eu tout faux. Parmi les prétendants, on avait en effet retrouvé l'ineffable Ahmad Chalabi (ici avec Paul Bremer et Donald Rumsfeld), l'homme qui avait été jadis placé par les États-Unis à la tête du Congrès national irakien lors de l'invasion du pays. Celui qui avait fait le lobbying des fausses armes de destruction massive, ami de Paul Wolfowitz, et de Richard Perle. "Même sous Bush, il avait été jugé infréquentable" (on ne pouvait lui faire confiance) note le Guardian à son propos. Il a été à l'origine d'un énorme scandale bancaire, celui de la Banque Petra au Liban. Pour abattre Saddam Hussein, c'est lui que la CIA avait recruté. Une fois revenu aux affaires, il avait laissé son neveu piller à nouveau le pays, organisant et bénéficiant d'une corruption dans les grandes largeurs. Il n'est pas sûr que de le voir à nouveau dans l'ombre soit une bonne chose pour l'Irak... la situation a donc énormément évolué en quelques mois ; en mars dernier encore, Kerry se plaignait des vols d'avions iraniens de transport vers la Syrie... selon lui les armes livrées serviraient à attaquer les opposants à Bachar el Assad. En photo, la poignée de main historique entre John Kerry et le ministre iranien des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif symbole d'un virage à 180 degrés de ces derniers mois.
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