Iran : un rapport accablant d’Amnesty International
Dans un rapport de 140 pages, l’ONG Amnesty International démontre la responsabilité des hautes instances de l’état Iranien dans ce qui fut sûrement l’un des plus grands massacres ‘d’opposants au régime’ de l’histoire moderne. Lors de l’été 1988, ce sont des milliers de personnes qui ont été victimes de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires suite à une fatwa du guide suprême, fondateur de la révolution islamique ; Rouhollah Khomeyni.

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Lassé des exigences citoyennes de son peuple et furieux de constater qu’un grand nombre d’Iraniens ne voulaient toujours pas du régime du guide suprême, l’ayatollah Khomeyni avait lancé une fatwa expliquant clairement qu’il était absolument nécessaire d’éradiquer l’engeance Monafeghine (hypocrite osant ne braver la théocratie comme le demande la constitution du velayat-e-faqih ou guide suprême) avant que les idées démocratiques des opposants ne contaminent les cerveaux et les cœurs et ne mettent à mal les plans religieusement fascistes de la caste au pouvoir.
Si certaines voix se sont élevées alors – on évoque là l’enregistrement d’Ali Montazeri, alors n°2 du régime, avec la commission de la mort – nombreux sont ceux qui se sont empressés de répondre favorablement au message du guide suprême. Exécutant les ordres avec le zèle d’un stagiaire courant derrière son premier CDI. Et de côté-là, on peut dire que des hauts dignitaires comme Ebrahim Raïssi ou Mostapha Pourmohammadi ont été parfaitement récompensés pour leur zèle lors des exactions commises en 1988. Le premier était le candidat favori du guide suprême lors des dernières élections présidentielles en 2017 alors que le second était encore ministre de la justice lors du premier mandat d’Hassan Rohani, l’homme politique recordman du monde du nombre d’exécutions que d’aucuns en occident osent encore qualifier de modéré.
Depuis des années, le CNRI (Conseil National de la Résistance Iranienne) et toutes les familles des victimes n’ont de cesse de demander à la communauté internationale de s’engager sur ce dossier afin de traduire en justice les responsables de ce que l’ONG n’hésite plus à qualifier de crime contre l’humanité. Que des responsables de tueries de masse soient encore impunis plus de 30 ans après les faits est déjà sidérant, mais que ces derniers jouissent encore de postes à haute responsabilité au sein d’un régime qui essaie de construire sa propagande autour de la lutte contre la barbarie en devient du véritable cynisme. Vous pourrez noter que ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’humanité le pire des barbares se fait le chantre de l’anti barbarie. Certes. Le cynisme et les pathologies psychiatriques de nombre de nos dirigeants à travers l’histoire n’ont que très rarement entraînés des périodes de grande liberté pour leurs peuples. Faut-il tomber dans le piège du cynisme et nier la douleur humaine ? Ou pire, comme cela a été le cas pour le massacre de l’été 1988, nier les faits eux-mêmes…
C’est justement l’un des points sur lesquels appuie Amnesty International ; « En cachant dans quelles circonstances des milliers de dissidents politiques ont « disparu » et ont été exécutés en secret dans les prisons il y a 30 ans, les autorités iraniennes continuent de se rendre responsables de crimes contre l’humanité. » La sentence est sans appel. Plus de 5000 personnes, certainement plus, 30 000 selon des fuites fiables de l’intérieur du régime, ont été exécutés dans les prisons dans cette période entre juillet et septembre 1988. Le rapport paru le 4 décembre 2018 poursuit un but bien précis ; l’ouverture d’une enquête internationale indépendante sur les disparitions massives et les exécutions datant de l’été 1988, sous l’égide de l’ONU. Depuis 30 ans, les familles des victimes n’ont droit à aucune réponse de la part de l’état. Pire, si elles osent faire la demande du lieu d’inhumation de leurs proches, les familles sont harcelées, parfois arrêtées, torturées, emprisonnées arbitrairement. Dans les faits, les disparitions forcées se poursuivent encore à ce jour, conséquences d’un état qui ne veut pas assumer l’été sanglant de 1988 devant la communauté internationale.
Philip Luther, directeur de la recherche et du travail de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International explique clairement pourquoi « les autorités iraniennes doivent cesser leurs attaques cruelles contre les familles et garantir leur droit à la vérité, à la justice et à des réparations : il faut restituer les dépouilles des victimes et identifier les restes en autorisant des exhumations professionnelles de charniers et des analyses ADN. » En tout, c’est un rapport de 140 pages que livre Amnesty International. Un rapport très bien sourcé, condensant des années de recherche, des centaines de documents officiels, de certificats de décès, des nuits passées aux archives, y compris celles de l’ONU, plus de cent témoignages directs de proches des victimes ou de quelques rares survivants… Et preuve parmi les preuves, la fatwa de Khomeyni elle-même et les rapports des fameuses commissions de la mort. Commissions de la mort où siégeaient par exemple ;
- Alireza Avaei, actuel ministre de la Justice en Iran. Procureur général à Dezful, dans la province du Khuzestan, il était chargé de participer à la « commission de la mort » dans cette ville ;
- Hossein Ali Nayyeri, juge de la charia (loi islamique) au sein de la « commission de la mort » à Téhéran, il dirige aujourd’hui le tribunal supérieur disciplinaire des juges ;
- Ebrahim Raisi, procureur général adjoint à Téhéran en 1988 et membre de la « commission de la mort » de Téhéran, il s’est présenté à l’élection présidentielle en 2017 et a occupé différentes hautes fonctions, notamment celle de procureur général du pays jusqu’en 2016 ;
- Mostafa Pourmohammadi, ministre de la Justice de 2013 à 2017, il représentait le ministère du Renseignement au sein de la « commission de la mort » à Téhéran. En août 2016, il a été cité comme s’étant vanté d’avoir joué ce rôle : « Nous sommes fiers d’avoir accompli le commandement de Dieu à l’égard de l’[OMPI] » et a ouvertement déclaré qu’il n’avait « pas perdu le sommeil pendant toutes ces années » au sujet de ces assassinats. Pas vraiment l’exemple du repenti…
- Mohammad Hossein Ahmadi, participant à la « commission de la mort » dans le Khuzestan, il est actuellement membre de l’Assemblée des experts, l’organe constitutionnel chargé de désigner ou de limoger le Guide Suprême iranien.
Plus de 30 ans après les faits, il est plus qu’urgent que l’ONU diligente une enquête indépendante sur ces crimes de masse. Pour les familles des victimes d’abord, qu’elles puissent enfin faire leur deuil sans connaître à leur tour les affres de la disparition forcée. Pour les droits humains, que plus aucun tyran ne puisse penser qu’il pourrait ne jamais être puni pour ses crimes. Pour l’état de droit en Iran, pour que les droits fondamentaux (à minima) puissent enfin être respectés. Le Rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’Homme en Iran devrait se saisir de ce dossier pour que « Les autorités ne doivent plus pouvoir esquiver l’obligation de rendre des comptes pour ces crimes contre l’humanité. »
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