Itsi Bitsi Funky Finkie
- Les propos du philosophe
Au début de son intervention sur France Inter que j’ai vue via le net, monsieur Finkielkraut a refusé de qualifier de mutinerie la réaction de l’équipe de France, accordant à ce mot une connotation positive. Il a donc préféré le terme de caprice, avant de suggérer que les soutiens d’Anelka devaient partager son sort. Tremblez gentes damoiselles, le professeur Funky Finkie a donné une punition collective.
Plus loin, le philosophe a porté le débat sur le processus de décivilisation qui serait à l’œuvre, avant de clamer que l’esprit de
L’homme a usé d’un argument d’autorité (on dit ad hominem dans les salons feutrés) en faisant référence au journal Le Monde, « impeccable et moralement irréprochable » (il a sans doute oublié le faux témoignage de Bernard Henri-Levy sur
Pour terminer, monsieur Finkielkraut voulait savoir ce qui se passait dans les vestiaires (Freud aurait son idée sur les raisons inconscientes) avant de rêver que le football ne devienne un sport de gentleman, et de regretter « l’absence de sens de hiérarchie. »
En fait, le philosophe qui avoue ne pas savoir ce qui se passe dans les vestiaires (mais qui affirme quand même que les Bleus sont de la racaille) nous apprend qu’il faut respecter la hiérarchie, que toute rébellion est assimilée à un comportement de voyou des cités, tout en faisant une référence constante à la morale, ce nom ayant été employé plusieurs fois.
- Mais qu’est-ce que la morale ?
Je ne prétends pas être fais-le-zeuf, mais je connais suffisamment la philosophie pour en discourir et ne pas me laisser abuser par des propos de comptoir. « Faut pas s’prendre le melon Funky Finkie ».
Ainsi la lecture de Morale à Nicomaque d’Aristote (le philosophe, pas le footballeur) nous apprend que la moralité a pour fin d’assurer le bonheur individuel et collectif par le développement de la civilisation. Une civilisation dont étaient exclus les esclaves. Nicomaque-ta-mère quoi ! En effet,
Morale et civilisation ne font assurément pas bon ménage, quand personne n’a su définir de manière irréfutable l’une ou l’autre, encore moins les relations de l’une avec l’autre.
En effet, la moralité, c’est la recherche du bonheur, mais le bonheur n’est-il pas d’être en bonne santé pour le malade et riche pour le pauvre ? Autrement dit, la moralité, comme le bonheur sont des concepts indéterminés. C’est ce qu’avançait Kant dans Fondation d’une métaphysique des mœurs En bref, il n’est pas possible de déterminer avec une certitude complète ce qui pourrait véritablement rendre heureux, car pour cela il faudrait être omniscient.
Toujours dans le même ouvrage, Kant reprend sur l’indétermination : Les préceptes qui servent au médecin pour guérir radicalement son homme, et à l’empoisonneur pour le tuer à coup sûr, sont d’égale valeur, pour autant qu’ils servent à chacun à réaliser parfaitement son intention.
Dans un autre bouquin sans importance, Critique de la raison pratique, Kant nous enseigne la supériorité de la morale du devoir sur la morale de l’intérêt, notamment via ce passage : Fontenelle dit : devant un grand seigneur, je m’incline, mais mon esprit ne s’incline pas. Je puis ajouter : devant un homme de condition inférieure, roturière et commune, chez qui je perçois une rectitude de caractère que je ne possède pas au même degré, mon esprit s’incline que je le veuille ou non, et si haut que je porte la tête pour ne pas lui laisser oublier la supériorité de mon rang.
Monsieur Finkiekraut, professeur à l’X (et moi chez les XX, bonjour mesdemoiselles) semble donc avoir oublié les fondamentaux : la morale est un concept indéterminé qui dans la bouche de certains peut être un instrument de domination. On peut faire faire beaucoup de choses au nom de la morale, sans réfléchir sur ses fondements, son origine.
Or, nous nous apercevons que les grands seigneurs d’aujourd’hui ne s’inclinent même plus devant les petites gens qui font pourtant preuve de rectitude de caractère. Au contraire, ils les méprisent parce qu’elles n’ont pas de Rolex à 50 ans.
Le voilà le processus de décivilisation ! Il n’est pas à chercher dans les cités. Ce qui se passe dans les cités résulte du mépris des classes dominantes, de leur volonté de disposer d’esclaves qui, pour reprendre Aristote, n’appartiennent pas à
Que l’on se rassure, je n’ai aucune sympathie pour la racaille, la vraie, celle qui sévit effectivement dans les cités, comme celle qui prolifère dans les immeubles cossus payés à coup de fraude fiscale et autres malversations, pourtant gardés par la force publique lorsque cette dernière est justement absente des cités.
Mais tous les habitants des cités comme tous ceux qui vivent dans des immeubles cossus ne sont pas de la racaille. Les uns comme les autres sont essentiellement de bonnes personnes.
Ne nous laissons donc pas abuser par les discours haineux de gens qui jugent sans savoir, fussent-ils philosophes. Surtout s’ils sont philosophes oserais-je ajouter, quand on sait que la philosophie a pour objectif premier de viser le bien, le beau, le vrai, de dépasser les apparences. Jenseits von Gut und Böse - Vorspiel einer Philosophie der Zukunft dirait Fried 1er.
- Un caprice, pas une mutinerie. Vraiment ?
Un caprice se caractérise par son caractère passager, mais aussi par son apparition brusque. Or, rien dans l’attitude de l’équipe de France ne répond à ces critères. Au contraire, nous avons assisté à un climax, le point culminant de troubles et dissensions qui ont animé l’équipe de France depuis que Domenech l’a prise en mains.
Il y a un problème de management, point. Il existe des personnes compétentes qui parviennent à faire travailler ensemble des gens aux origines et aspirations diverses. J’ai eu la faiblesse d’endosser plusieurs fois ce rôle auprès d’entreprises.
Nous avons assisté à une mutinerie, sûrement pas à un caprice. Une équipe excédée par l’incompétence non seulement du sélectionneur, mais de toute la hiérarchie. Sans compter tout ce que nous ignorons, soit l’essentiel.
Finalement, ce que voudrait Finkielkraut, c’est que l’équipe de France soit à l’image du coq qui en est l’emblème : que les deux pieds dans la merde, elle continue de chanter !
Je rigole, je rigole, mais il faut encore parler du panache et de l’identité française. Parce que même plumé par les banquiers, il faut continuer à être patriote.
- Le panache et l’identité française
Qu’est-ce que l’identité ? L’identité est composée de caractères peu changeants : nom, prénom, sexe, nationalité, date et lieu de naissance. Encore que placer la nationalité comme critère identitaire est très discutable.
Le reste est composé d’appartenances, de critères variables. Si je suis membre d’un club sportif, ce club ne participe pas à mon identité. Je peux en changer facilement. Si je vis dans une cité, j’appartiens à la culture de cette cité, bien que cela ne soit pas automatique. Je peux en tout cas m’en débarrasser pour adopter une autre culture.
On ne peut pas tout assimiler à des critères identitaires, c’est dangereux et surtout faux. Ce sont des techniques de manipulation employées pour assurer la pérennité de certaines choses et l’invariabilité d’autres.
Autrement dit, on veut faire croire que l’individu ne peut pas évoluer, changer, et qu’il doit accepter son sort. Ce qui est renforcé par l’appel « au sens de la hiérarchie ». Et qui nous rappelle étrangement les propos d’un certain Frédéric Lefebvre sur les enfants de 3 ans qui seraient destinés à devenir des délinquants.
Employer constamment le terme d’identité, c’est nier l’individualité, c’est ériger la prédétermination au rang de réalité première.
- Le football, un sport de gentlemen ?
Appeler à ce que le football devienne un sport de gentlemen relève de la naïveté. Autant appeler à ce que des hommes politiques défendent l’intérêt général ou que les philosophes médiatiques fassent de la philosophie. Les intérêts économiques et politiques qui animent le football sont trop importants. Ne dit-on pas que
Mais tous les sports sont touchés, sans même que ne soient impliqués des enjeux financiers conséquents. Ainsi en est-il du tennis amateur quand un brave père de famille s’en va droguer les adversaires de sa fille.
L’importance de l’enjeu comme le comportement relèvent d’une interprétation et d’une éthique personnelles.
Certains vendent un rein pour la somme extraordinaire de 1000 euros, d’autres consacrent la somme dérisoire de 5000 euros à leur chien.
- Pour terminer
Un vent mauvais s’est levé il y a quelques années en France, et il se transforme en ouragan. Certains l’alimentent de bonne foi, mais guidés par une haine mal placée, ils en oublient qu’ils seront eux aussi aspirés et broyés. Peu importe l’origine et la destination de cette haine. Elle est instrumentalisée des deux côtés par des gens confortablement installés qui ne risquent strictement rien. Aujourd’hui, les premiers à mourir ne sont pas les généraux : leur formation coûte trop cher.
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