J.O 2024 : Quid de la qualité de l’eau de la Seine...
La répétition partielle de la parade nautique pour la cérémonie d'ouverture du 26 juillet qui devait se tenir lundi 24 juin a été décalée en raison du fort débit de la Seine. Emmanuel Macron et Anne Hidalgo avaient promis de se baigner dans la Seine au mois de juillet avant la tenue des épreuves olympiques de triathlon, de nage libre et de para-triathlon. En novembre 1990 Jacques Chirac, maire de Paris, déclarait : « Dans trois ans, j’irai me baigner dans la Seine devant témoins pour prouver qu’elle est devenue un fleuve propre ». Madame la maire de Paris, jamais avare de déclarations, avait annoncé en 2014 l'ouverture de sites de baignade à Bercy, Grenelle et au niveau de l'île Saint-Louis pour l'été 2025...
Les Parisiens se sont longtemps adonnés à la nage dans ce fleuve qui traverse 4 régions et 14 départements avant de se jeter dans la Manche après un parcours de 776 km. La Seine, deuxième plus long fleuve de France ne devrait pas être ainsi dénommé car « à partir de la fin du XVII° siècle on réserve le nom du fleuve aux plus grandes rivières qui portent les eaux et conservent leur nom jusqu'à la mer ». L'Yonne apporte 93 m3/sec (bassin-versant 10.836 m2) contre 80 m3/sec pour la Seine (bassin-versant 10.100 km3). Ce choix serait lié à l'histoire de sa source. L'endroit où la Seine prend sa source sur le plateau de Langres à 471 mètres d'altitude, non loin de Saint-Seine l'Abbaye (Côte d'Or), est marqué par la statue d'une naïade évoquant la statue de la déesse romaine Séquana retrouvée lors de fouilles en 1836. Les Romains y avaient édifié des thermes fréquentés par des pèlerins venant de toute l'Europe croyant aux vertus curatives de ses eaux pures.
Au XVII° siècle le peuple se baigne dans le plus simple appareil ce qui ne convient à l'Eglise. En 1780 on imagine la création d'une école de natation. En 1783 la baignade en plein jour est interdite à Paris mais reste libre dans ses affluents : l'Yonne - le Loing - l'Essonne - la Marne - l'Oise, etc. La baignade étant recommandée par les médecins et les apothicaires, des bassins alimentés par l’eau du fleuve sont installés sur des embarcations à la hauteur du quai de la Rapée, l'Archevêché, de l'île de la Cité, de l'île Saint-Louis et aux Invalides. En 1801 le maître-nageur Deligny crée une école de natation sur une dizaine de bassins avec cabines amarrées sur la rive proche de l'ancienne gare d'Orsay ouvrant la voie aux sociétés de natation. Les nouvelles installations sont bientôt interdites suite à l'augmentation du trafic fluvial.
Des dérogations à l'interdiction de baignade de jour dans la Seine sont délivrées lors des Jeux olympiques de 1900 avec les épreuves de natation entre les ponts d'Asnières et de Courbevoie ; 1906 Coupe de Noël entre les rives du pont Alexandre III ; 1913 championnats de France de plongeon proche de la tour Eiffel. La propreté des eaux est déjà une préoccupation sanitaire. En 1921 les chercheurs du laboratoire du Val-de-Grâce se veulent rassurants : « Il sied seulement d'indiquer aux baigneurs les précautions à prendre pendant et après le bain. Il convient d'abord de fermer la bouche en nageant, afin d'avaler le moins possible du bouillon de culture où l'on prend ses ébats. Il faut ensuite, au sortir du bain, se laver soigneusement la bouche, la figure et les mains avec de l'eau de la ville. Il est, en outre, particulièrement recommandé de se faire vacciner contre la typhoïde ».
En 1923 le Préfet finit par interdire toute baignade dans la capitale afin d'éviter les accidents avec la passage des péniches. Les gamins de Paris continuent à se baigner à la « mare aux chiens " (ile Saint-Louis). La baignade dans la Marne est interdite en 1970. La piscine Deligny disparait en 1993 après avoir été heurtée par une pénich, elle sera remplacée par la piscine Joséphine Baker (bassin de 25 mètres) en 2006 installée quai François Mauriac (Paris 13 e).
Les milieux naturels n'échappent pas au phénomène de pollution biologique, bactériologique ou chimique. Des masses de bactéries affluent là où de trop grandes quantités de matières polluantes sont déversées dans les eaux, parce qu'elles y trouvent une abondante nourriture. Mais « ces bactéries consomment beaucoup d'oxygène qui ne tarde pas à devenir déficitaire. Les bactéries meurent remplacées par des micro-organismes qui peuvent vivre avec peu, voire sans oxygène dissous. Les poissons ne peuvent plus y vivre et montent vers la surface où la température élevée de l'eau peut leur être funeste et le frai est décimé. Les bactéries aérobies cessent à leur tour de vivre, remplacer par des micro-organismes anaérobies qui se développent à l'abri de l'air et qui putréfient les matières organiques ».
Un cours d'eau peut être contaminé pour diverses raisons : produit toxique déversé accidentellement ou volontairement - débordement des eaux d'égouts - fuite d'une péniche transportant un produit toxique, endroit utilisé comme décharge, eau polluée par les détergents, médicaments (26 tonnes/an), herbicides, insecticides. On distingue les macro-polluants dont la toxicité est due à une concentration trop élevée : acides, bases, sels (nitrates phosphates), oxydant (Javel), gaz (CO2, SO2) et les micro-polluants plus nocifs à dose très faible et capables d'accumulation dans l'environnement : mercure, plomb, cadmium, arsenic, chrome, cuivre, béryllium, nickel, strontium. Les micro-organismes sont principalement issus des activités énergétiques agricole et industrielle : pesticides, solvants, hydrocarbures, esters phtaliques ou phosphoriques, agents tension actifs. Un litre d'huile minérale suffit à rendre impropre un million de litres d'eau.
Les risques d’origine infectieuse peuvent se trouver augmentés par la température des eaux, sa stagnation, la présence de courants et la pluviométrie. La mairie de Paris et la préfecture de la région Île-de-France se veulent rassurants sur la tenue des XXXIIIe Olympiade : 19 jours de compétition du 26 juillet au 11 août 2024, 35 sites de compétition (32 sports), 329 épreuves, 10 500 athlètes, 45 000 volontaires, 9,7 millions de spectateurs, 6.000 journalistes accrédités, plusieurs milliards de téléspectateurs, 350 000 heures de diffusion. Au mois d’août 2023, la Coupe du monde de natation en eau libre et l’épreuve de para-triathlon avaient été annulées en raison de fortes précipitations sur l’Île-de-France les jours précédents et le déversement d'eaux d’assainissement dans la Seine à la suite d'une vanne non fermée !
Au mois de janvier 1910, la cote de la Seine avait atteint 8,62 m à Paris-Austerlitz suite aux pluies torrentielles tombées sur les bassins-versants de l’Yonne et de la Marne propagées par les égouts a fait 150.000 sinistrés. Des travaux furent entrepris pour en améliorer l'écoulement : rehausses des ponts, des quais et des parapets, batardeaux, creusement du lit du fleuve, démolition du barrage-écluse de la Monnaie. Après à la crue de janvier 1924, cote à 7,32 m, il fut décidé la création de quatre grands lacs artificiels en amont de la capitale : « en cas de crue, l’eau des rivières est prélevée, stockée pour en limiter l’amplitude ; puis restituée progressivement au fleuve ; on estime aujourd’hui que ces barrages permettraient, dans le cas d’une crue de type 1910, de diminuer d’environ 70 cm la hauteur d’eau de la Seine à Paris ». Ces installations mises en service entre 1950 et 1990 sont gérées par l’Institution Interdépartementale des Barrages Réservoirs du Bassin de la Seine.
« Les installations de dépollution seront prêtes à temps pour accueillir les J.O », était une des mesures du « plan eau » annoncé par Emmanuel Macron pour répondre aux vagues de sécheresses. Les eaux usées issues des stations d’épuration seront traitées et récupérées pour servir à l’irrigation en agriculture. Le réseau de la capitale transporte les eaux usées et les eaux pluviales vers les stations d’épuration (réseau dit unitaire), mais en cas de fortes précipitations, le trop-plein est rejeté dans le fleuve. « En quatre ans, plus de la moitié des bactéries fécales rejetées dans le fleuve ont ainsi été éliminées. Jusqu’ici, la priorité était donnée à l’élimination des macro-polluants : carbone, azote et phosphore notamment. Et moins aux matières fécales » J.Michel Mouchel, hydrologue et professeur à la Sorbonne. Selon le préfet d'Île-de-France, Marc Guillaume : « Au pire, les épreuves pourraient être décalées de deux jours, en cas de « très fortes pluies », grâce aux travaux qui viennent d’être entrepris » (conférence de presse du 13 mars).
Des travaux pharaoniques et dispendieux (on parle de 1,4 milliard d'euros) sont toujours en cours d'achèvement pour limiter le déversement des eaux pluviales dans la Seine. Un puits de 30 mètres sous le square Marie-Curie (Paris) prolongé par une canalisation de 3 mètres de diamètre sur près de 9 kilomètres achemine les eaux usées vers les stations d’épuration de Valenton (Val-de-Marne), de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), et pourra en cas de forte pluie « contenir 50 000 m3 d’eau ». Autre point noir, les 30 000 raccordements directs (estimation) dans la Seine et dans la Marne qui représenteraient 80 % de la pollution bactériologique de la Seine dans la capitale, et on évoque « une réduction de 75 % de la pollution bactériologique dans la Seine depuis le lancement du plan baignade »...
Le programme olympique de la natation se déroulera à Nanterre, à l'Arena Paris, à La Défense. Les 30, 31 juillet départ des triathlètes à la hauteur du pont Alexandre-III, le 5 août 1 500 m de nage, les 8 et 9 août la natation marathon de 10 km, les 1 et 2 septembre, para-triathlon. Sur quatorze prélèvements effectués au niveau des ponts Alexandre-III et de l’Alma (2023 et 2024) pour mesurer les concentrations en bactéries Escherichia coli et entérocoques (espèce de streptocoque hôte de l'intestin de l'homme et des animaux), treize se sont révélés « au-dessus, voire très largement au-dessus des seuils recommandés » (étude de l'ONG Surfrider Foundation d'avril 2024). Au mois d'août 2023 une cinquantaine de triathlètes avait souffert de diarrhées et de vomissements après leur participation aux Championnats du monde de triathlon à Sunderland (Angleterre).
Le seuil de la concentration en bactérie fécale E.Coli retenu par les fédérations internationales de nage en eau libre pour autoriser la tenue d’épreuves est de 1.000 unités/100 ml, pendant la période du 10 au 16 juin, ce seuil a dépassé les 5.000 unités ! « La qualité de l’eau reste dégradée du fait d’un contexte hydrologique et météorologique défavorable : pluies, débit élevé, faible ensoleillement, températures en dessous des normes de saison, et. Le fort débit du fleuve, qui ne favorise pas une bonne qualité de l’eau, est le fruit de cette météo très pluvieuse ».
Les risques bactériens font encourir gastroentérite, infection urinaire et/ou la leptospirose, appelée aussi maladie du rat qui se transmet via les urines et les cadavres de petits mammifères. La contamination est d'autant plus importante que le produit est toxique, sa concentration élevée, la durée d'exposition est longue et présence d'écorchures ou de blessures. Les organisations conseillent à leurs nageurs d’eau libre : la vaccination contre : la typhoïde, l’hépatite A, le choléra, le tétanos, la diphtérie et leptospirose - une alimentation riche en probiotiques et glucides - de recouvrir toute égratignure d'un pansement étanche - d'éviter de « boire la tasse » ; l'épreuve terminée de se rincer, se savonner et se désinfecter avec un antiseptique chirurgical avant de se rhabiller, voire prendre des antibiotiques. Tout ce qui a été en contact avec l'eau doit être désinfecté.
« À la veille des JO, nous sommes dans de la communication politique. L’eau de la Seine s’est améliorée, mais pas au point que tout le monde puisse s’y baigner dans les délais évoqués. Car malgré les efforts entrepris, il reste sans doute encore plusieurs milliers de branchements à supprimer » (Michel Riottot, France Nature Environnement). « le débit du fleuve ne pose pas qu’un problème pour la qualité de l’eau, mais aussi pour la sécurité des épreuves ». Le 5 janvier 2018 une plongeuse de la Brigade Fluviale de la Préfecture de Paris effectuant une plongée dans le bras de Seine en crue à la hauteur de Notre-dame était portée disparue. Son corps ne fut retrouvé que plusieurs semaines plus tard. Une correction, une précision, une remarque ?
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